CONTRIBUTION
En réponse à un sujet de l’Académie de Dijon (c’était en 1753) intitulé : «Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ?», Rousseau a rédigé ce qui deviendra en 1755 le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Cet ouvrage dont l’intérêt pédagogique est une belle illustration de ce que peut faire le génie humain, surtout lorsqu’il est stimulé, aurait pu inspirer le président de la République et son gouvernement. Ce modèle aurait pu être choisi pour non seulement inciter les enseignants à la recherche et à la saine émulation, mais aussi à la solution des nombreux problèmes pédagogiques qui se posent actuellement.
La question est aujourd’hui de savoir quel impact positif le Grand Prix du chef de l’Etat pour l’Enseignant a sur la motivation et la qualité des enseignants ? Mais aussi, comment faire pour que ce prix sorte du registre du folklore pour trouver une place dans l’agenda et la vie de l’institution scolaire ? Comment, par ce prix, rentabiliser davantage la créativité des enseignants ? Les problèmes pédagogiques auxquels le système est confronté ne peuvent nullement être pris en charge, du moins, de façon probante, par une quelconque bureaucratie. Il nous faut des enseignants craie en main pour des solutions révolutionnaires. Ce prix aurait pu être une occasion de mettre à profit la créativité et l’esprit d’initiative des enseignants. Ç’aurait été plus judicieux de faire de ce prix le couronnement d’une recherche ou d’une expérience pédagogique codifiée et validée par des autorités académiques.
Il est impératif de se défaire de la culture de l’oralité comme norme d’évaluation : les témoignages oraux sont certes importants et crédibles, mais la prestation écrite est la meilleure preuve de la valeur intellectuelle d’un travail. Puisqu’il s’agit d’un prix du chef de l’Etat, il doit avoir une valeur universelle et son attribution une objectivité incontestable.
Les problèmes de société, les questions qui agitent le monde actuel, les enjeux de l’éducation à l’ère du numérique, etc., devraient faire l’objet de réflexions permanentes. Les défis pédagogiques et les autres problèmes liés à l’école ou qui concernent les rapports entre l’école et la société doivent aussi être pris en charge par les enseignants eux-mêmes. C’est aux enseignants de trouver des formules susceptibles de jeter les bases de la révolution pédagogique dont notre système éducatif a besoin. Mais pour ce faire, il faut que cela soit organisé suivant les standards internationaux au lieu de faire de l’informel et du sensationnel les bases de notre rapport à l’école. Il y a énormément de productions de fascicules (aussi bien dans le secondaire que dans l’élémentaire) qui devraient être soutenues par une politique de l’édition scolaire bien pensée et bien structurée à travers des thèmes et des objectifs pédagogiques précis.
Le Grand Prix du chef de l’Etat pour l’Enseignant n’a de sens que s’il permet à l’école d’abord, et à l’enseignant ensuite, de se bonifier qualitativement. Il faut se méfier des prix à connotation pécuniaire : la satisfaction morale d’être édité ou d’être soutenu dans la recherche a plus de valeurs pour l’enseignant que l’argent liquide. Il faut avoir une idée franchement ridicule de l’école pour instaurer un prix de cette nature. C’est à la limite manquer de respect aux enseignants et à l’école que de penser pouvoir créer l’émulation chez eux par un prix aussi mal conceptualisé.
Un homme d’Etat, c’est d’abord un leadership, c’est-à-dire, une exemplarité qui suscite l’admiration, le respect et l’enthousiasme. Le leadership, c’est l’exemplarité dans la vision, dans les qualités intellectuelles et morales (excellence et vertu) et dans la générosité (c’est-à-dire la disponibilité totale pour l’humanité tout entière). Un chef d’Etat ne peut fonder son leadership sur la peopolisation de son action, or c’est justement le mode de gouvernance de Macky Sall.
Comment peut-on organiser un sommet sur le financement de l’éducation sans les acteurs de ce secteur et sans aucune forme de débat scientifique sur la nécessité d’articuler les financements à l’urgence d’une réorientation de l’école ? Comment parler de l’éducation si le public qui est censé écouter les autorités en parler est plus prompt à danser sur les sonorités de Youssou Ndour qu’à entendre les propos des autorités ?
Mais Macky Sall a une faiblesse pour le spectacle, et son amitié avec Youssou Ndour pourrait s’expliquer par des mobiles qui dépassent le cadre strict de l’opportunisme politique. Toute sa politique est gravement infectée par le souci tragique d’être au-devant de la scène : pour des futilités de tout genre, il mobilise toute la République et les médias. Comme le président Sarkozy en France, Macky Sall veut envahir les télés et les autres médias parce que, dans son entendement, la presse est un auxiliaire nécessaire pour la conquête et la conservation du pouvoir. Mais il aurait demandé conseil à Sarkozy et ce dernier lui aurait expliqué la signification du proverbe américain : «Celui qui règne par la presse périra par la presse».
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal