CONTRIBUTION
En conclusion de ma précédente contribution (Wal Fadjri et Sud quotidien du mardi 6 février 2018), je mettais l’accent sur une conséquence grave de la «générosité» politicienne et irréfléchie du vieux président-politicien et de son digne successeur : le gonflement inquiétant de la masse salariale, qui fera l’objet de cette contribution. La prolifération des agences nationales que j’avais déjà annoncée, sera passée en revue dans la toute prochaine.
Donc, nos deux politiciens ne se sont jamais souciés des conséquences désastreuses de leur folle «générosité», notamment sur la masse salariale. Pourtant, des alertes ont été toujours données et, parfois, par les gouvernants eux-mêmes, évidemment sans conviction. Déjà, lors du vote du budget (2014) du ministère de la Fonction publique, du Travail, du Dialogue social et des Organisations professionnelles, le ministre titulaire, M. Mansour Sy, attirait l’attention sur les risques de l’explosion de la Fonction publique, du fait d’une masse salariale que l’Etat avait de plus en plus de peine à supporter. Il rappelait que nous n’étions pas loin des critères de convergence de l’Uemoa (35 %), puisque nous étions presque à 33 %, malgré «les plus de 100 milliards de masse salariale qui sont camouflés dans le budget matériel», pour payer les volontaires et vacataires de l’Education. Nos gouvernants trichent donc sans état d’âme. Un secret de Polichinelle. Le courageux ministre ajoutait que, «si l’Etat avait joué la carte de la transparence, nous serions à près de 42 %». Ce qui signifierait, précisait-il, qu’«on prendrait des recettes (budgétaires) pour payer des salaires (…), et ce serait difficile pour les partenaires qui viendraient investir» (Le Quotidien du lundi 2 décembre 2013, page 3).
Le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Bâ, n’était pas indifférent au gonflement continu de la masse salariale, du moins dans ses déclarations d’intention. A l’occasion du «Mémorandum sur les réformes économiques pour 2015» (L’As du mardi 2 septembre 2014, page 6), il déclarait : «En 2014, nous sommes 100 450 fonctionnaires, soit moins de 1 % de la population. Les dépenses de salaires et autres indemnités que nous payons à l’ensemble des agents de l’Etat font 717 milliards pour 2014, soit 43,3 % des recettes budgétaires de la même année (1 548 milliards). Je pense que cela n’est pas soutenable». Il lançait alors l’avertissement qu’on ne pouvait pas continuer de prendre près de la moitié des recettes de l’Etat pour les donner à moins de 1 % de la population et vouloir l’émergence et une société solidaire. A côté de cette masse salariale considérée comme budgétivore, il pointait du doigt les subventions, notamment celles à la Senelec et à la Sar et avertit : «Aujourd’hui, les marges de manœuvre budgétaires sont très limitées. Après ces trois postes, il ne reste des recettes budgétaires que 559 milliards pour faire face aux besoins de fonctionnement de l’administration et aux besoins d’investissement dans tous les secteurs.» «Une telle situation, regrettait-il donc, ne permet pas une mise en œuvre du Pse».
Cette situation est donc grave, pour des gens qui font du succès du Pse leur principal cheval de bataille. Ils devraient donc réagir rapidement par des mesures correctives vigoureuses. Nous verrons si leurs pratiques ultérieures sont en accord avec leurs déclarations d’intention. En tous les cas, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan poursuit ses alertes, en pointant du doigt, cette fois-ci, le régime indemnitaire, un très gros morceau. Sans mettre de gants, il passe à l’offensive : «Ce qu’il y a, c’est qu’il faut revoir le régime indemnitaire. Ce n’est pas la masse salariale en soi qui pose problème, ce sont les indemnités. La masse salariale tourne autour de 492 milliards pour cette année (2014) ; ça veut dire qu’il y a des indemnités d’égal montant à peu près aux salaires. C’est sur les 300 milliards d’indemnités qu’il faut voir, discuter avec l’ensemble des acteurs sociaux, avoir une politique de réallocation de ces ressources.»
Les choses sont claires pour le lecteur qui s’attend à des mesures vigoureuses mais surtout justes, après ce diagnostic sans équivoque. Malheureusement, la suite fait déjà douter. Le ministre pense que «la solidarité doit commencer par une nouvelle réorientation des ressources de l’Etat». Nous sommes tous d’accord, mais il ajoute : «C’est pour cela que mes services ont procédé à un audit des dépenses de l’Etat, tout en travaillant sur les recettes pour améliorer les capacités». Un audit des dépenses de l’Etat ! Des audits, il y en a tellement pour la galerie ! Ici, le diagnostic est déjà très clair : «Il faut revoir le régime indemnitaire.» L’esquive du ministre ne nous fera pas oublier nos attentes : des mesures correctives, notamment une réallocation juste et solidaire des ressources de l’Etat.
En tout cas l’ancien ministre de la Fonction publique, du Renouveau du Service public et de la Rationalisation des effectifs, Mme Viviane Bampassy, visait dans la même direction que nous et, apparemment, elle était sincère. Et peut-être, c’est ce qui allait la perdre. Elle déclarait fermement : «Le chef de l’Etat sait qu’il y a un problème et aujourd’hui, nous travaillons à trouver des solutions avec nos collègues des Finances pour avoir, à terme, un nouveau système de rémunération des agents de l’Etat qui sera juste et équitable.» Un nouveau système de rémunération des agents de l’Etat, c’est cela que nous attendons. Et l’étude qui a été commanditée dans ce sens a déposé, depuis plusieurs mois, ses conclusions.
Selon Mme Bampassy, cette étude menée sur le système de rémunération des agents de l’Etat a révélé «un système désarticulé et à plusieurs vitesses avec des disparités en termes de traitement salarial». Elle poursuit : «La question des rémunérations est une question récurrente, et le Forum sur l’Administration a été un débat ouvert entre le président et les directeurs nationaux sur plusieurs questions, notamment sur cette question cruciale.» Elle ne s’arrête pas en si bon chemin. Rappelant que «l’étude était un engagement avec les partenaires sociaux», elle lance une bombe : «Des agents de l’Etat qui sont d’une même catégorie ont des disparités énormes en termes de traitement salarial et il faut tout remettre à plat.» Son ministère ne gère pas les salaires, précise-t-elle, mais il a proposé de «revoir déjà la grille salariale qui date de 1961, de revoir tout le package d’indemnités données aux agents de façon désordonnée». Elle enfonce le clou en soulignant que «des indemnités ont été données à des corps et pas à d’autres», une situation qui a créé des frustrations parfois carrément insupportables. Je les ai largement passées en revue dans mes contributions précédentes, qu’on peut trouver dans mon Bloc de xalima.com (http://xalimasn.com/rubrique/chroniques/mody-niang/) ou dans les quotidiens Wal Fadjri et Sud quotidien. Et Mme Bampassy revient sur «tout (ce) dispositif bâti depuis 1961 qu’il va falloir revoir» et sur les nombreux dysfonctionnements révélés par l’étude dont, notamment, des indemnités octroyées de «façon anarchique».
Après avoir rappelé ces passages de l’interview qu’elle a accordée au journal Le Quotidien du 14 avril 2016, (page 2), on peut comprendre, peut-être, pourquoi le président-politicien a relevé de façon surprenante cette dame compétente, pour nommer à sa place une autre dame qui n’a vraiment pas le profil de cet emploi. Il la nommera ensuite, peut-être par acquit de conscience, ambassadrice au lointain Canada. Pourtant, elle a eu une appréciation bien correcte des dysfonctionnements du système de rémunération des agents de l’Etat et n’a pas hésité à les mettre sur la place publique, pendant que nous nous demandons ce qu’est devenue l’étude qui a révélé ces dysfonctionnements, et quel sort lui sera réservé. Mme Bampassy avait en tout cas raison, bien raison. Elle sera confortée d’ailleurs par le président-politicien lui-même, pratiquement obligé de reconnaître l’évidence.
Ainsi, dans une conversation avec des fonctionnaires à la fin du Forum national sur l’Administration à Diamniadio, il déclarait sans ambages : «L’Etat va harmoniser le système de rémunération de ses employés, dans le souci de corriger les inégalités entre plusieurs secteurs d’activité, en matière de traitement salarial.» «Une décision sera prise pour tout remettre à plat. A un moment donné, il faudra tout harmoniser pour avoir une administration qui marche à la même vitesse», lançait-il. Il poursuivit son ndëpp (c’en était un) en ces termes : «Une administration ne peut pas avoir des corps super-privilégiés et d’autres complètement sacrifiés.»
Et le président-politicien, comme il ne savait rien de tout cela, de se lancer dans une tentative de justifier la situation qu’il donnait l’impression de déplorer. Voici l’argument facile, qui ne le dédouane pas du tout : «L’inégalité de traitement des salaires dans l’administration est une situation malheureuse dont nous avons hérité. Certaines catégories ont des avantages que d’autres n’ont pas, tout en ayant les mêmes profils et les mêmes ressources.» Il révèle enfin «l’audit commandité par le gouvernement dans le but d’équilibrer le système de rémunération des employés du secteur public».
Dans ma prochaine contribution, je passerai largement en revue cette fameuse profession de foi, si on peut l’appeler ainsi. En attendant, je renvoie le lecteur à mes contributions précédentes, particulièrement à celle du mardi 6 février 2018. Il se rendra déjà compte que nos gouvernants se couvrent, depuis sept ans, du manteau peu honorable de la fourberie, de l’hypocrisie et du mensonge.
Mody NIANG