Pour la première fois depuis l’ouverture du procès, il y a deux semaines, les prévenus ont pris la parole. Hier, face au juge, chacun a livré sa part de vérité.
Après deux semaines de préliminaires, place maintenant au jugement proprement dit. Le juge Malick Lamotte est finalement entré dans le fond du dossier. Il a entendu hier les co-inculpés de Khalifa Sall, poursuivis pour détournement présumé dans l’affaire dite de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar.
MBAYE TOURE : DAF de la ville de Dakar
«Je remettais 30 millions chaque mois à Khalifa qui le gérait de façon discrétionnaire»
Interrogé par le juge, le Directeur administratif et financier (Daf) de la mairie de Dakar, Mbaye Touré, a démontré la légalité de la Caisse d’avance. «Avant 1983, le maire de la ville de Dakar n’était pas ordonnateur, il était juste le président du Conseil municipal. L’ordonnateur était un administrateur nommé par décret. Ce sont les percepteurs qui avaient continué à alimenter les caisses de la mairie car, comme nous, ils considéraient que ce sont des fonds politiques. Tous ces actes que j’ai eu à poser, c’est dans le cadre de l’utilisation de la caisse en fonds politiques. Celle-ci n’est pas une caisse d’avance car elle ne répond pas aux caractéristiques d’une Caisse d’avance», a-t-il expliqué.
Le Daf de la Ville de Dakar trouve que «ce mécanisme a été toujours été accepté par les différents maires et les huit percepteurs qui se sont succédé à Dakar l’ont accepté». Non sans préciser que «le percepteur actuel, Ibrahima Touré, avait refusé à son arrivée d’alimenter la caisse par ce mécanisme, mais après avis de ses supérieurs, il a continué à l’alimenter. Ce sont des fonds politiques et la Caisse d’avance n’est qu’un mécanisme de décaissement». «L’arrêté signé par le maire Pape Diop en 2003 définît les dépenses éligibles sur la Caisse d’avance. Je fais remarquer l’existence d’une rubrique fourre-tout ‘apporter aide et assistance à toutes personnes en cas de nécessité’. Depuis que je suis gérant de la Caisse d’avance, je récupérais la somme de 30 millions mensuellement que je remettais à la disposition du maire qui le gérait de façon discrétionnaire», a également détaillé le Daf de la Ville de Dakar.
YAYA BODIAN : comptable de la mairie de Dakar
«Même avant Khalifa, c’était comme ça»
Poursuivi pour «association de malfaiteurs, faux et usage de faux, détournement de deniers publics et complicité d’escroquerie», le comptable de la mairie de Dakar a nié les faits qui lui sont reprochés. Yaya Bodian s’est défaussé sur son supérieur hiérarchique, soutenant agir sur ses instructions. Devant le juge hier, il a soutenu que Mbaye Touré lui avait ordonné de lui trouver des factures. Il s’est alors rapproché de Mme Fatou Touré, secrétaire du maire Khalifa Sall, pour trouver des pièces justificatives. «C’était juste pour la forme parce qu’il n’y avait ni livraison de produit ni décaissement d’argent au niveau de la mairie. Elle a accepté et chaque mois, elle me signait des factures, tout en sachant que ce n’était pas des produits qui seront livrés, mais que c’était pour justifier les dépenses», a-t-il détaillé. Plus explicite dans sa version des faits, il déclare : «C’est un mécanisme qui a été proposé par un percepteur. Il nous avait dit que l’on savait tous que ce sont des fonds politiques et nous a suggérés de verser des factures pour couvrir ces décaissements. Il lui fallait ces factures pour justifier ces décaissements puisque le support de ces dépenses était une caisse d’avance». Avant de poursuivre en ces termes : «Cela datait d’avant l’arrivée du maire Khalifa Sall. Même avant lui c’était toujours comme ça». Avant de préciser : «C’était juste pour régler un problème comptable. Mais comme c’était devenu récurent, la trésorière du Gie (Groupement d’intérêt économique) Tabaar m’a donné les références du président du Gie et on a continué. Je faisais ça juste pour aider mon supérieur hiérarchique. Les fournisseurs établissaient les factures».
AHMADOU MACTAR DIOP : Inspecteur des affaires financières de la ville de Dakar
«Je signais sans vérification»
Contrairement aux autres prévenus qui ont disculpé le maire de Dakar, l’inspecteur des affaires financières de la ville de Dakar a adopté une toute autre stratégie de défense. «On me présentait des procès-verbaux dans le circuit administratif de la ville de Dakar. Un jour, il m’a été présenté un procès-verbal qui avait une facture et un bon de commande, j’ai appelé le comptable de la ville de Dakar qui se trouve être Yaya Bodian et il m’a dit que c’étaient des bons destinés à la ville de Dakar. Et chaque mois, l’on me présentait des bons de commande et je signais sans vérification. On m’a affecté à la piscine olympique, mais je continuais de signer ces factures», a-t-il révélait au juge, soulignant au passage que ce qu’il signait ne se conformait pas à la réalité. «C’est Yaya Bodian qui me présentait les documents pour que je les signe. J’ai signé l’ensemble des documents pour les années 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 : deux procès verbaux par mois. Je savais que le Gie ne recevait pas l’argent. Et sans le procès-verbal et ma signature, c’était impossible de décaisser ce montant», a-t-il expliqué au juge.
FATOU TRAORE CHARGE YAYA BODIAN
«C’est le comptable qui faisait la facture»
«C’est le comptable de la mairie de Dakar, Yaya Bodian, qui m’a demandé de lui prêter le papier en-tête du Gie de notre famille (Tabaar) pour lui permettre de justifier les dépenses de la Caisse d’avance de la ville de Dakar. Je le lui ai prêté. C’était en 2010. Il établissait les factures pour justifier les dépenses. C’étaient des factures de riz et de mil destinés au démunis. C’est le comptable Yaya Bodian qui faisait la facture. Moi, j’y apposais le cachet du Gie et signais en qualité de trésorière du Gie».
Magib GAYE