Monsieur Ousmane Tanor DIENG,
Quand il arrive, à un moment donné de l’histoire d’une nation, qu’un homme ou une femme ou un groupe d’hommes et de femmes se retrouve devant l’impérieuse nécessité de dissoudre son affiliation avec un mouvement politique, le respect dû à nos concitoyens exige à ce qu’on donne les raisons de cette séparation. C’est pourquoi, je tiens à exposer dans cette lettre les raisons profondes de notre rupture avec le Parti socialiste.
La Jeunesse pour la démocratie et le socialisme (Jds) a été créée le 16 octobre 2004 à Thiès par un groupe d’élèves et d’étudiants. Ils décidèrent d’adhérer au Parti socialiste le 08 janvier 2005, cinq ans après sa défaite de 2000. Nous voulions aider le parti à faire sa mue. Jeunes lycéens et collégiens, nous avions participé aux mobilisations et aux protestations populaires pour le départ d’Abdou Diouf. Par la suite, nous avons vu le Parti socialiste se battre dans l’opposition. La dignité dont avait fait preuve Ousmane T. Dieng, après la défaite, nous avait ému. Nous avions tressailli d’espérance. Nous croyions à « un nouveau départ » pour le changement. En 2009, nous étions les organisateurs du meeting de la Place de France que le Pds avait tenté de saboter en brûlant la bâche sous laquelle étaient installés les militants socialistes. Nous avions soutenu les Assises nationales en 2008 ; nous étions devant l’Assemblée nationale lors des évènements du 23 juin 2011 ; nous étions à la Place de l’Obélisque quand le peuple contestait la candidature d’Abdoulaye Wade. Depuis 2012, date de l’avènement de l’ère Macky Sall, nous ne reconnaissons plus l’homme que nous avons porté et accompagné durant ces dernières années.
Alors que nous dénoncions le système Benno Bokk Yaakaar, l’expérience de Manko Taxawu Sénégal, lors des élections législatives du 30 juillet 2017, nous a appris que le mal était plus profond qu’on ne le croyait. Cette entité Manko a reproduit, à notre grand dam, toutes les tares du système des partis politiques traditionnels. Ainsi, la Jds a pris la décision souveraine de quitter le groupement politique dirigé par M. Khalifa Sall à la date du 23 août 2017. Dans cette coalition, toutes les décisions étaient entre les mains d’une petite minorité qui agissait sans consultation, sans rendre des comptes et sans procéder à aucune évaluation sérieuse. Les actes de ce groupe sans vision et sans idées nouvelles devenaient inacceptables pour un mouvement comme le nôtre, qui travaille pour une alternative radicale. Ainsi, la Jds refusa courageusement de subir la dictature de cette minorité inopérante de Dakar. Tout ce rappel consiste à vous assurer, M. Ousmane T. Dieng, que notre combat ne vise pas des personnes. Nous luttons contre des pratiques et des comportements malencontreux d’où qu’ils viennent. Nous n’avons aucun problème personnel avec vous ; par contre, nous avons des divergences politiques certaines. Nous tenons à affirmer clairement que la Jds n’est ni dans le camp de Ousmane T. Dieng, encore moins dans celui de Khalifa Sall. De ces précisions, découle le fait certain que nous ne pouvions nous retrouver que sur un projet et des valeurs. Toutefois, nous constatons et regrettons qu’il n’existe plus de projet politique au Sénégal.
Lors de la réunion de la Jds du 11 juin 2017, portant sur l’évaluation de la marche et du fonctionnement de la liste Manko, Dr. Dieynaba Ndiaye, militante de notre mouvement s’était exprimé dans un discours assez révélateur : « Nous devons rompre avec la culture politique traditionnelle. Le problème est que nous restons toujours dans les schémas classiques. De ce fait, les gens passent tout leur temps à dire : voici la position de Khalifa Sall ; voilà ce que pense Ousmane T. Dieng. Nous devons refuser que le débat se situe entre nous et les politiciens traditionnels. Ni Khalifa Sall, ni Ousmane T. Dieng ne doivent être nos interlocuteurs. Notre seul et vrai interlocuteur devrait être le peuple. Ainsi, il nous faut établir un contact direct avec ce peuple ; ceci implique ultimement que la Jds change d’interlocuteur ».
À l’issue de cette réunion, nous avons enrichi notre réflexion politique. Nous avons intégré dans notre discours l’invite de Dr Dieynaba Ndiaye qui sonne comme un slogan. L’idée de changement d’interlocuteur possède pour nous la signification profonde de renouvellement de paradigme : faire confiance au peuple et rompre avec la culture du clientélisme et d’accaparement de nos maigres ressources. La cause doit donc être bien entendue par tout le monde : nous refusons d’être l’instrument de qui que ce soit. Le seul combat que nous pouvons et devons porter est celui de la cause nationale. Cela signifie concrètement que nous devons être proches du peuple et porter ses préoccupations sur tous les toits du monde. Dans cette avenue, Régis Debray disait : « Pour faire quelque chose, il faut beaucoup aimer, et pour aimer passionnément il faut croire à la folie ». Nous aimons profondément notre pays, notre peuple et notre jeunesse. Nous sommes des passionnés de justice et d’égalité. Malheureusement, le Parti socialiste ne peut plus faire vivre en nous cette grande passion qui fonde notre existence. Au contraire, il nous refroidit dans des combines et de l’égoïsme.
Les faits sont massifs. Nous nous permettons de vous présenter une longue liste de griefs ou de désaccords que nous jugeons notoires. Le Parti socialiste souffre d’un déficit de démocratie interne principalement dû à sa phobie du pluralisme. Comme conséquence, la pensée unique règne à la Maison Léopold S. Senghor. Le parti ne lit plus Senghor, il ne le connait même plus, sinon il se rappellerait la place qu’il donne au pluralisme démocratique. Toute voix discordante est considérée comme suspecte et appelée à subir la violence des injures des chiens de garde du chef. Les textes du parti sont violés par ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de les faire respecter. Les instances ne sont plus convoquées pour débattre et délibérer sur les grandes orientations. On préfère se cacher derrière un secrétariat exécutif restreint pour faire passer des décisions aux antipodes des valeurs et des intérêts des militants. Il n’y a plus de militantisme dans le parti ; le clientélisme y est devenu le lot quotidien. Ceux qui acceptent les règles gravissent facilement les échelons avec le parrainage et le copinage. Par contre, ceux qui n’acceptent pas la gestion antidémocratique sont traduits devant le conseil de discipline et exclus.
Le comité central, le parlement du parti, n’est plus convoqué depuis 2015 en violation flagrante des textes. En 2014, en plein processus de renouvellement des instances, la direction avait pris la décision grave de retirer la candidature de Me Aissata Tall Sall qui était la seule candidate en compétition avec le secrétaire général sortant. C’était un fait suffisant pour monter que le parti est allergique à la compétition démocratique. La Jds ne peut plus tenir ses réunions à la Maison du parti, depuis les correspondances du 28 novembre 2016 et du 09 décembre 2016 que le secrétaire permanent nous a adressées afin de nous signifier que nous n’y avions plus droit de cité. En son temps, nous vous avons saisi par une lettre d’information et de protestation depuis le 05 décembre 2016. Jusqu’au moment où nous vous écrivons ces lignes, vous n’avez pas jugé utile de répondre à notre correspondance. Pourtant, vous êtes la personne morale du parti. Donc, nous sommes tentés de croire que c’est vous qui nous avez empêché d’accéder à la permanence. Nous pensions naïvement que cette Maison était celle de tous les militants socialistes et de tous les opprimés. Enfin, revenons aux évènements du 05 mars 2016. La réalité est que le parti est grandement responsable de la violence de cette journée noire. En refusant de respecter les procédures prévues pour délibérer sur les grandes questions politiques, il incitait les militants à la violence. En emprisonnant ses propres militants, le parti s’engageait dans la voie d’un suicide politique. En définitive, aujourd’hui le parti n’est ni démocratique dans sa structure, ni socialiste dans son orientation.
En réalité, le parti a cessé d’être socialiste depuis Léopold S. Senghor et Mamadou Dia. Abdou Diouf n’a été socialiste que de nom. Le vieux Julius K. Nyerere avait l’habitude de dire : « Pour construire le socialisme, il faut des socialistes ». Malheureusement, nous n’avions pas de socialistes. Des technocrates carriéristes à la solde du FMI et de la Banque mondiale ont porté le manteau du socialisme pour accroître la pauvreté dans le pays. Les conséquences ont été sans appel : le gouvernement d’Abdou Diouf a réalisé les politiques sociales les plus désastreuses de l’histoire de notre pays. Même un libéral comme Abdoulaye Wade, a eu plus de cœur et de compassion à l’endroit de la masse des paysans et des travailleurs. A cette époque sombre de notre histoire, le Parti socialiste a été un parti des élites et au service de la petite bourgeoisie, un parti bureaucratique coupé du peuple à la solde d’intérêts égoïstes et claniques. De ce qui précède, il devient clair que l’orientation du parti ne prend plus en charge, depuis longtemps, les préoccupations des masses pauvres et laborieuses. C’est la raison principale et fondamentale de sa défaite à la date historique du 19 mars 2000.
Comment taire notre déception ?
Aujourd’hui, le Parti socialiste refuse le changement de manière systématique ; il en est devenu incapable. Il perd définitivement tout espoir de reprendre le pouvoir. Dans le sillage de ce désespoir, le parti ne lève plus la tête pour regarder l’avenir et préfère jouir de ce qui reste du legs L. S. Senghor. Cela garantit encore une place à l’Internationale socialiste, quelques invitations dans certains congrès internationaux et une photo de famille avec quelques personnalités du monde. C’est tout. Une telle attitude ne transforme pas la réalité profonde d’une misère qui se vit au quotidien dans nos foyers. Le parti n’a plus de projet. Et 20 ans à la tête d’une formation politique est inacceptable dans une démocratie moderne. Pour se consoler de son manque de résultats, le parti a choisi les strapontins de Macky Sall en cherchant à satisfaire une élite à la retraite et sans perspectives. C’est la mort dans l’âme que nous constatons que le parti de L. S. Senghor est en train de mourir en s’enfonçant inexorablement dans l’abîme du désespoir. Pendant que la gauche s’organise et se mobilise partout dans le monde, celle du Sénégal développe sa logique du gain facile. Malgré tout le potentiel du parti, il stagne en se contentant de deux postes ministériels, quelques députés à l’Assemblée nationale et une institution sans utilité réelle : le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). Tout cela est bien assurément pathétique ; la direction actuelle est fatiguée et n’a plus l’énergie pour continuer la lutte de conquête du pouvoir.
Monsieur le secrétaire général, il y a un peu plus de quarante ans, le professeur Cheikh Anta Diop reprenait dans presque tous ses meetings politiques Ku bëerrey daan (la victoire appartient à ceux qui luttent) afin d’encourager l’action pour le changement et la transformation des institutions politiques. Il faut revenir à la leçon du grand maître ; nous devons accepter et oser lutter pour l’avènement d’un Sénégal nouveau. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé de regarder dans une nouvelle direction. C’est celle de l’espoir en marche, de l’action et de la lutte salvatrices. Nous refusons qu’on nous enterre dans l’immobilisme, le défaitisme et les vieilles routes qui ont mené à l’imposture, à l’échec et à la rupture de confiance avec le peuple. La Maison Léopold S. Senghor a été remise à neuf pour être transformée en une prison politique à l’intérieur de laquelle ne survivront que ceux qui choisiront par paresse et par lâcheté de fermer leurs yeux devant la réalité, ceux qui refuseront de contempler la lumière de la justice. Nous n’accepterons pas d’être enfermés à l’intérieur de la nouvelle bastille socialiste. Nous nous engageons dans une nouvelle route, celle de la liberté et du progrès.
Avant de terminer, nous voulons encore dénoncer l’injustice dont est victime Khalifa Sall. Les criminels économiques sont à chercher dans le camp du régime actuel. Nous vous demandons solennellement, au nom du long compagnonnage que vous avez eu avec le maire de Dakar, de prendre position clairement afin d’exiger sa libération auprès de Macky Sall. Et si votre processus d’exclusion des militants continue de vous tenir à cœur, au moins épargnez les dignes fils innocents du pays de séjourner dans les geôles. Comme disait un illustre combattant de la paix : « Une injustice faite à l’endroit d’une personne est une injustice faite à toute l’humanité. »
À la lumière de tout ce qui précède, je vous prie, M. Ousmane Tanor Dieng, de recevoir au nom de mes camarades, la désaffiliation de la Jeunesse pour la démocratie et le socialisme (Jds) au Parti socialiste du Sénégal.
Dr. Babacar DIOP,
Secrétaire général de la Jeunesse pour la démocratie et le socialisme (Jds)
Dakar, le 30 octobre 2017