Le Président Sall ne veut absolument pas entendre parler d’un troisième mandat. A cette possibilité qui lui est signifiée, il a opposé l’agacement.
Pour le leader de l’Apr, il n’est pas question de tomber dans le piège qui a emporté son prédécesseur : une intention prêtée.
Sa réaction a été sèche, incisive. A Macky Sall, il ne faut surtout pas parler d’un troisième mandat. Plus ferme qu’Erdogan, il a sorti ce sujet du débat national et a décrété qu’il n’a «pas sa raison d’être». La présence de son homologue burkinabé n’a pas été un facteur bloquant. Le Président a mis à contribution son service de communication pour avoir la possibilité de s’épancher sur la question. «Le nombre de mandats n’a pas été modifié, pourquoi engager une discussion sur un débat de 2024 ? C’est un débat qui n’a pas lieu d’être, parce que je suis dans la logique de ne pas dépasser deux mandats, si le peuple sénégalais me fait confiance en 2019. Ce débat ne doit pas nous faire perdre du temps», a déclaré le chef de l’Etat qui n’a pu masquer l’importance qu’il accorde au sujet.
Pourtant, bien avant lui, Seydou Gueye, qui porte et la parole du gouvernement et celle de l’Alliance pour la République, s’est prononcé sur la question pour clouer au pilori le professeur Babacar Gueye qui a eu le tort d’interpréter la Constitution du Sénégal. Mais, cette sortie du secrétaire général du Gouvernement et celles d’autres membres de la mouvance présidentielle n’ont pas suffi aux yeux de Macky Sall. Cette question est beaucoup trop importante pour être expliquée par ses seuls collaborateurs. Face aux remarques des constitutionnalistes, il faut faire résonner la voix présidentielle. «Cette question a été définitivement fixée par la Constitution. D’ailleurs en 2016, c’était moins le nombre de mandats mais la durée. On devait passer du septennat au quinquennat bloqué. Mais le nombre de mandats est réglé depuis très longtemps», a soutenu le Président Sall.
Macky Sall met ainsi le couvercle sur sa marmite d’engagements ignorés et fait fi de ce qui s’est passé en 2012. Le Sénégal a failli basculer avant son élection parce que la question du nombre de mandats n’était pas réglée. Et, entre-temps, rien n’a pratiquement changé. Les nombreuses équivoques, contenues dans le texte avant sa dernière modification intervenue au travers du référendum du 20 mars 2015, sont loin d’avoir été levées. Le Professeur Babacar Gueye n’a fait qu’en soulever une. Pour le professeur El Hadj Issa Sall, «presque tous les articles de la Constitution prêtent à équivoque». Des considérations qui amènent le coordonnateur national du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) à demander une «révision qui rendrait la Constitution plus explicite et plus intelligible».
Le président de la République, qui a été à la base de la révision de la Constitution, n’a pas cherché à éviter les quiproquos. Comme une cliente à la veille de la Tabaski, il a amené son tissu chez les tailleurs qui le lui ont cousu selon sa convenance. Loin d’avoir fait prévaloir le juridisme, les rédacteurs de la Constitution se sont révélés comme de véritables littéraires qui ont fait danser les mots. L’Article 27 indique : «La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.» Pourquoi avoir senti le besoin d’ajouter l’adjectif «consécutif» ? Pourquoi, si la clarté est de mise, n’avoir pas arrêté la phrase à «deux mandats» ? C’est avec une telle brèche que le président russe Vladimir Poutine a fait plus de deux mandats. Allez savoir comment ! C’est la même chose avec l’Article 26 qui est passé de «le Président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours» à «le Président de la République est élu au suffrage universel direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés». Des mots mis les uns après les autres et pouvant être interprétés de diverses manières.
Macky Sall le sait, la Constitution qu’il a fait modifier est truffée d’équivoques. Si celle que le Pr Babacar Gueye a soulevée l’a exaspéré, c’est qu’elle lui prête une intention qui peut lui causer bien des insomnies. A Me Abdoulaye Wade, il a été prêté l’intention de se faire succéder par son fils. Une dévolution monarchique du pouvoir qui a réussi à catalyser suffisamment de forces pour le terrasser. Macky Sall qui en est l’heureux bénéficiaire ne veut pas tomber dans le même piège. Avant de lui prêter l’intention de briguer un troisième mandat, un énième renoncement, il tient d’abord à accrocher le deuxième.
Mame Birame WATHIE