Lilian Thuram est inquiet. Pour l’ancien défenseur des «Bleus», vainqueur de la coupe du monde de football 1998, la campagne présidentielle française se déroule dans un climat de peur croissante. Lequel creuse de dangereux fossés entre les Français.
Un immeuble historique, au cœur du quartier intellectuel parisien de Saint-Germain-des-Prés. Au mur: une affiche d’époque du bureau recruteur des troupes coloniales françaises. Lilian Thuram affiche l’ancrage historique et social de sa fondation. Ambassadeur de la francophonie, l’ancien défenseur de la Juventus de Turin et des Bleus revient justement de Pékin, où les jeunes l’ont interrogé sur la présidentielle française.
Le Temps: Vous avez participé, fin février, à la manifestation de soutien au jeune Théo, violenté par la police à Aulnay-sous-Bois. La France de 2017 vous inquiète?
Lilian Thuram: Je suis inquiet parce que je vis, en 2017, dans une France où l’Etat, surpuissant, n’est jamais coupable. S’il n’y avait pas eu de vidéo à Aulnay, que se serait-il passé? Est-ce que Théo n’aurait pas été immédiatement présenté comme le coupable? La violence est de plus en plus installée dans les têtes. Peut-on accepter qu’en France, un syndicaliste de la police appelle les personnes noires «Bamboula»?
Le rapport à l’espace public n’est pas le même quand on est de couleur blanche ou non blanche, homme ou femme. Ce qui me semble dramatique aujourd’hui, c’est qu’on autorise les policiers à user plus facilement de leurs armes et à tirer, sans réaliser que cette violence va se retrouver dirigée, une fois encore, contre les plus pauvres et plus particulièrement contre les non-Blancs. Le rapport de la police aux plus pauvres raconte le rapport du pouvoir aux plus pauvres. Vous ne trouvez pas cela inquiétant, vous? Si vous ne le trouvez pas inquiétant, c’est parce que vous n’avez ni la couleur ni la classe sociale visées.
– Cette dérive s’est accélérée ces dernières années?
– Le discours de l’extrême droite s’est terriblement banalisé. Beaucoup de responsables politiques des grands partis ne rejettent pas de façon claire ce discours. La présence au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen est d’ailleurs donnée comme acquise. Résultat: en 2017, certains Français se considèrent plus légitimes que les autres. Sur quoi se fonde cette légitimation? Sur l’apparence? On voit bien, aussi, que les Français croient de moins en moins en leurs élus. D’où le taux d’abstention, comme les hésitations.
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