À Ziguinchor, le maraichage constitue l’une des principales activités génératrices de revenus pour les femmes. Le département fait partie des zones les plus impactées par le conflit en Casamance. Le processus de paix enclenché par l’État du Sénégal a permis un retour progressif des populations dans leurs villages. Mais l’accès à la terre reste un défi majeur pour les femmes. La gestion durable des périmètres maraichers devient la solution face au risque d’insécurité alimentaire.
À l’extrémité sud du département de Ziguinchor et à la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, la commune de Nyassia est composée de vingt-cinq villages où vivent plus de deux mille âmes. C’est une zone humide dont la majeure partie des espaces inhabités est constituée de forêts denses. Dans cette commune très affectée par le conflit, avec plus de huit villages déplacés, les femmes ont moins accès aux sources de revenus et sont plus exposées aux risques liés à l’insécurité alimentaire.
C’est dans le cadre du processus pour le retour et la résilience des villages déplacés que le Comité régional de solidarité des femmes pour la paix en Casamance (CRSFPC), une association féminine plus connue sous le nom Usoforal (donnons-nous la main, en diola), accompagne celles-ci dans le domaine du maraichage. Pour cela, Usoforal a développé un « maraîchage à base agroécologique » dont le but est non seulement d’assurer l’autonomisation des femmes et répondre aux défis de la sécurité alimentaire, mais aussi d’amener ces dernières à percevoir les bénéfices économiques et environnementaux de l’agroécologie. L’association soutient les femmes des villages affectés par le conflit dans la région de Ziguinchor à travers la mise en place de périmètres maraichers.
Se passer de l’utilisation des intrants chimiques
Ainsi, Usoforal s’appuie sur les services écologiques pour le bien-être rural et la conservation de la biodiversité à travers le recours aux innovations agroécologiques telles que le compostage, la fabrication de biopesticides, les pratiques et technologies endogènes comme la jachère, les rotations culturales, l’utilisation d’excréments de porcins et de volailles. La promotion de l’agroécologie dans un contexte d’insécurité alimentaire dans la commune et de changement climatique constitue une innovation depuis 2016 dans cette partie de la région de Ziguinchor. L’éco-maraichage, plus connu sous l’appellation de « maraîchage-bio », apparaît donc comme une réponse pertinente à la problématique d’adaptation agricole en matière de gestion de l’eau, de préservation et de gestion durable de la fertilité des sols. Cette pratique consiste à utiliser des produits biologiques afin de préserver le sol et lutter contre les bioagresseurs.
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En photo, des femmes dans un bloc maraichers dans le village de Bacounoum
Dans le village de Bacounoum, à un kilomètre de la Route nationale numéro 6, le groupement de promotion féminin (GPF) des femmes gère un bloc maraîcher de deux hectares, financé par Usoforal depuis cinq ans. Après la pose de la clôture en grillage pour sécuriser le périmètre contre les animaux en divagation (ovins), Usoforal a mis en place un «mur écologique». Il s’agit d’une plantation de citronniers sur la première ligne du champ avec une distance de deux mètres entre individus. Une fois les arbres ramifiés, l’entassement entre les branches devient plus dense et constitue un mur plus durable. En plus de ce mur qu’ils représentent, les citronniers réduisent la chaleur sur les cultures et enrichissent le sol en matière organique. Ils constituent aussi une source de revenus grâce aux fruits qu’ils produisent.
La présidente du GPF de Bacounoum, Dénisia Sagna, explique, en quoi Usoforal a intégré une stratégie de gestion communautaire du périmètre maraicher.
« Nous nous sommes organisées pour que chaque membre du groupement gère son propre périmètre, et pour les pépinières, la gestion revient à tous les membres, tandis que pour le matériel et les intrants, la gestion incombe au bureau du groupement ». Dans le bloc maraîcher, plusieurs cultures associées sont mises en place, notamment l’oignon, la tomate, l’aubergine, le piment, la carotte, etc. Chaque femme dispose de dix plants après répartition.
Au début du projet, l’accès à l’eau dans le périmètre demeurait le principal souci des femmes qui s’activent dans le maraichage. « Quand Usoforal est venu, il a mis en place deux puits pour une superficie d’un hectare, ce qui rendait pénible l’arrosage, surtout pendant la saison sèche où nous constatons une descente la nappe phréatique et un tarissement rapide des puits tarissent vite », explique Mme Sagna.
En 2021, le GPF a obtenu un financement supplémentaire de l’Association des jeunes agriculteurs de la Casamance (Ajac). Le projet a permis l’installation d’un mini-forage de 6m3 et des robinets dans tout le périmètre maraicher. Un geste fort qui a soulagé les femmes, selon Mme Sagna, car dit-elle, « les robinets ont réduit l’effort physique que nous fournissons, et cela a permis d’augmenter notre capacité de production. En plus, nous pouvons faire d’autres activités en dehors du maraîchage ».
‘’Nous avons noté une amélioration de la qualité de l’alimentation’’
À Nyassia, la production maraîchère est exclusivement destinée à la consommation locale. En cas de surproduction, une partie de la récolte est envoyée en à Ziguinchor ou à Oussouye. Elle a permis aux femmes d’avoir une activité génératrice de revenus supplémentaires. Ainsi, le maraîchage leur offre une possibilité de subvenir aux besoins du ménage. Après la récolte, chaque membre du GPF donne une contribution de 1 000 francs pour le fonctionnement du bureau.
« Nous avons noté une amélioration de la qualité de l’alimentation dans les familles depuis que nous avons commencé à faire du maraîchage avec l’accompagnement de nos bailleurs. Il y a une nette variation des plats au niveau des ménages. Par exemple l’oignon, nous en consommons pendant six mois à la récolte », se réjouit Mme Sagna. Depuis la mise en place du périmètre maraîcher, en 2016, l’utilisation de fertilisants et pesticides chimiques est formellement déconseillée aux femmes du groupement. En plus des connaissances locales (utilisation d’humus, cendre et déchets animaux) pour renforcer le sol en matière organique et lutter contre les bioagresseurs, elles sont formées à la fabrication de biofertilisants et de biopesticides.
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En photo, séance de préparation de compost
Boubacar Seydi est le directeur du centre de formation Casabio, une structure basée dans le village de Bagadadji et qui s’active dans l’agroécologie. « Nous sommes dans une phase de transition agroécologique et par là, on sous-entend l’abandon des produits chimiques qui non seulement détruisent les terres, mais aussi infectent les nappes d’eau. Le but est d’améliorer les propriétés physico-chimiques et biologiques du sol afin qu’il puisse exprimer sa productivité. Le compost augmente la capacité de rétention de l’eau du sol et contribue ainsi à la réduction du stress hydrique des cultures pouvant être accentué par la variabilité climatique », explique-t-il.
Pour M. Seydi, la région de Ziguinchor a toutes les ressources nécessaires pour se passer de l’utilisation des intrants chimiques dans le maraîchage à travers le compostage pour les biofertisants et les biopesticides contre les maladies et les bioagresseurs. Pour la préparation du compost, les matières organiques d’origine végétale et animale telles que les herbes fraiches et sèches sont mises en fermentation pendant une certaine période afin de réduire leur rapport carbone/azote. « Il permet d’augmenter en quantité et en qualité la production légumière et fruitière tout en préservant la qualité des aliments »,ajoute le spécialiste en agroécologie.
Des connaissances locales pour enrichir le sol
Sept blocs maraichers sont aménagés depuis le début du projet dans la commune de Nyassia. Les femmes sont aussi initiées à la préparation de pesticides biologiques. Pour lutter contre les agresseurs des plantes, l’usage du neem(azadiractaindica) et du poftan (calotropisprocera) représente une alternative écologique pour le traitement des maladies des plantes. Cette pratique réduit le risque de pollution par l’usage des pesticides chimiques et permet aux femmes de faire face aux risques d’attaque sur les plantes de nouvelles maladies liées au changement climatique.
« Nous préparons des infusions à base de neem, poftan et tabanana. Après le mélange, la solution est laissée au repos pendant 24 heures. Ensuite, nous aspergeons le liquide sur les feuilles des plantes. Maintenant nous pouvons, grâce à la formation reçue, fabriquer du compost et des pesticides à base de produits locaux », fait savoir la présidente du groupement. Les vertus du neem sont reconnues dans le milieu de l’agroécologie. C’est un anti-appétant et antiparasitaire. Les insectes se détournent des cultures traitées. Un insecte qui ingère du végétal traité avec de l’huile de neem subit des complications digestives et arrête de s’alimenter.
Pour le directeur du centre CasaBio, ces pratiques sont des connaissances et savoir-faire préexistants endogènes renforcées par la science pour donner des résultats satisfaisants, durables et emmener les femmes vers une transition agroécologique.
Liboire SAGNA