En 2018, à quelques encablures de la Présidentielle de 2019, le président de la République, Macky Sall, avait commis un succès de librairie: Le Sénégal au cœur! Un ouvrage dans lequel il retraça, pêle-mêle, son enfance, son parcours professionnel et son ascension, de l’école primaire de Foundiougne au sommet de l’Etat. Ses «nègres» prirent soin d’y insérer un élément d’humanisation, le passage de «la bande à Sandrine», histoire de nous rappeler que nous avons élu le Président qui nous ressemble et devrons réélire parce qu’il a les mêmes défauts, les mêmes qualités voire fait les mêmes petites escapades que nous. Une phrase y marqua aussi les esprits. Le Président Macky Sall y avait écrit que le mandat qu’il convoitait était le second et dernier qu’il entendait exercer à la tête de l’Etat. Verba volant, scripta manent, disent les Latins. Autrement dit, «les paroles s’envolent mais les écrits restent».
Malheureusement, ce qu’il avait couché sur du papier le rattrapera, cinq ans plus tard. Quand on y ajoute la négation absolue de l’article 27 de la Constitution, «Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs», on se rend compte que l’oraison funèbre sur les intentions de troisième mandat était définitivement prononcée. La tentation demeurait pourtant très forte. Le changement de cap intervient au lendemain de la Présidentielle quand, répondant à un journaliste sur la possibilité pour Macky Sall de briguer un autre mandat, Ismaïla Madior Fall se fendit d’un énigmatique «en principe». Lui, le «tailleur constitutionnel haute couture» et les autres «vendeurs de tissus», chantres invétérés du troisième mandat, sont promus dans le protocole d’Etat. Ceux qui ont le toupet de lui rappeler sa promesse de s’en limiter à deux mandats et les dispositions constitutionnelles sont rabroués et privés des avantages d’Etat, au nom d’une discipline de parti à géométrie variable.
Cinq ans après cette promesse écrite sur du marbre dans son livre, c’est vraisemblablement à contrecœur que Macky Sall se résout à quitter la scène. Le rapport de force imposé par un Ousmane Sonko, maître de la rue, l’y oblige. Son dernier bras de fer avec le Conseil constitutionnel l’y contraint. Macky Sall a quand même trôné pendant 12 ans sur le Sénégal: l’équivalent de trois mandats présidentiels américains. Mais, comme disait l’autre, le pouvoir est comme une drogue. Plus on en prend, plus on a envie d’en prendre. Ce qui se vérifie avec le successeur de Wade qui, chaque jour que Dieu fait, montre que c’est malgré lui qu’il quitte le Palais. La répétition est pédagogique, dit l’adage. Mais, la tendance obsessionnelle à répéter une chose incline à penser qu’on veut le contraire de ce que l’on veut faire croire à son monde. Le 3 juillet 2023, au cours d’une adresse solennelle, le Président Sall annonce qu’il ne briguera pas de troisième mandat. Plus exactement, il dira qu’il y «renonce». Une faveur qu’il fait à ses compatriotes malgré que la loi lui «permet» de repartir à la conquête des suffrages. Le 3 février, sept mois après cette «renonciation volontaire» dictée par un «code d’honneur», le chef de l’Etat interrompt le processus électoral enclenché par son décret de convocation électoral qu’il ensevelit six pieds sous terre. Et répète encore s’en tenir à ses deux mandats. Jeudi 29 février, à 10 h 10, Macky Sall poste un tweet pour nous répéter, pour la énième fois, que le 2 avril, il quitte ses fonctions. C’est acté, décidé et c’est irrévocable. Il y a quelque part comme une envie présidentielle de souhaiter qu’on le retienne par la manche de la chemise. «Comme il y a controverse sur l’après 2 avril, évidemment nous allons saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il nous donne sa lecture sur cette situation de l’après 2 avril. Bien entendu j’ai évoqué, dit et redit ma position, ma préférence. Il reste que cet avis qui sera sollicité par le président de la République devra nous donner une ultime position qui devra permettre à tout le monde de s’accorder sur cette décision», a encore dit le président de la République lors de la cérémonie de remise du rapport issu du Dialogue national. C’était le lundi 4 mars. On sent un glissement sémantique chez le chef de l’Etat qui, désormais, parle de «préférence». Un terme que le dictionnaire en ligne définit comme suit : «expression d’un choix, en raison de critères soit subjectifs plus ou moins conscients, soit objectifs, basés sur des critères clairement énoncés et conscients.» On n’est plus dans une décision actée et définitive mais dans un choix que la Décision (avec d majuscule) du Conseil constitutionnel a, évidemment, changé. Point besoin d’y revenir. La messe est dite. Ce qui est à retenir, c’est que, dans le discours comme dans les postures de Macky, Freud, s’il ressuscitait, aurait vraiment de la matière à étudier.
Aujourd’hui, c’est donc malgré lui que Macky voit le pouvoir lui filer entre les doigts. De maître des horloges, capable, par son seul décret, de renverser le calendrier électoral, il passe spectateur, observant impuissant le train présidentiel s’éloigner de la gare, sous les coups de boutoir d’un Conseil constitutionnel revigoré par ses différentes décisions et d’une population qui, visiblement, veut essayer autre chose. Aussi, les mémoires de Macky Sall pourraient légitimement s’intituler Le Sénégal à contrecœur tant il a démontré, au final, sa capacité à renoncer à un mandat mais son incapacité à renoncer au pouvoir.
Par Ibrahima ANNE