Une enquête sur les circonstances des jeunes tués lors des dernières manifestations contre le report du scrutin présidentiel et les bavures policières contre les journalistes. C’est ce que demande Human Rights Watch aux autorités sénégalaises.
Les autorités sénégalaises devraient «immédiatement» ouvrir des enquêtes indépendantes sur les violences survenues lors des manifestations des 9 et 10 février 2024, à la suite du report de l’élection présidentielle. Dans un communiqué, Human Rights Watch (Hrw) indique qu’au moins deux jeunes hommes et un garçon de 16 ans sont morts, des dizaines de personnes ont été blessées et au moins 271 personnes ont été arrêtées lors des affrontements entre forces de défense et de sécurité et jeunes manifestants. L’organisation de défense des droits humains demande en outre aux autorités de libérer toutes les personnes détenues pour avoir exprimé leurs opinions politiques, garantir le droit à la liberté de réunion, et mettre fin aux agressions contre les journalistes. «Les récents décès et blessures de manifestants ne devraient pas conduire à de nouveaux abus. Les autorités devraient contrôler les forces de sécurité, enquêter sur les personnes impliquées dans les abus et les tenir responsables», martèle Ilaria Allegrozzi, chercheuse à Human Rights Watch.
Post Facebook de Sidiki Kabasupprimé
Par ailleurs Human Rights Watch indique avoir mené des entretiens téléphoniques avec 29 personnes, dont cinq manifestants, sept activistes de la société civile, huit membres de l’opposition, cinq journalistes, deux avocats et des proches de deux personnes blessées. Mieux, elle a également examiné les dossiers médicaux des personnes blessées ou tuées, des photographies et des vidéos montrant les morts et les blessés, de nombreuses images des manifestations, ainsi que des rapports publiés par les médias nationaux et internationaux. «A Dakar, des témoins ont déclaré que les forces de sécurité avaient dispersé des centaines de manifestants et d’autres citoyens autour de la Place de la Nation, tirant à bout portant des balles réelles et en caoutchouc et des gaz lacrymogènes», renseigne Hrw. Ailleurs dans le pays, notamment à Mbour, Mbacké, Tivaoune, Touba, Saint-Louis et Ziguinchor, les forces de sécurité auraient également eu recours à une force excessive pour disperser les manifestants.
Alpha Yero Tounkara, un étudiant en géographie âgé de 22 ans, est décédé le 9 février lors de manifestations dans une université de Saint-Louis, dans le nord du pays. Hrw fait savoir aussi que le 10 février, le ministre de l’Intérieur a déclaré dans un post Facebook qui a ensuite été supprimé que «le procureur de la République a été prié de mener une enquête pour déterminer les causes et les circonstances du décès» mais que les forces de sécurité «ne sont pas intervenues sur le campus universitaire où le décès est survenu». Toutefois Hrw estime que cette enquête sur la mort de Tounkara ne devrait pas être influencée par les déclarations de responsables gouvernementaux.
«Héritage désormais menacé»
Human Rights Watch signale que lors des dernières manifestations à Dakar, les forces de sécurité ont agressé et intimidé des journalistes et les ont empêchés de couvrir les événements qui se déroulaient. Alors que le droit international des droits humains et la Constitution sénégalaise protègent le droit à la liberté de réunion et d’expression et interdisent le recours excessif à la force par les responsables de l’application des lois. Aussi les lignes directrices de l’Union africaine pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique prévoient que les responsables de l’application des lois ne peuvent recourir à la force que proportionnellement à la gravité de l’infraction, et que le recours intentionnel à la force meurtrière n’est autorisé que lorsque cela est strictement inévitable pour protéger la vie. «Le Sénégal est depuis longtemps considéré dans la région comme un exemple de la manière dont une démocratie peut encourager la liberté d’expression, la libre association et la participation politique. Cet héritage est désormais menacé. Face à cette crise politique, les autorités doivent respecter les droits fondamentaux», explique Ilaria Allegrozzi.
Samba BARRY