Le contexte est propice à un élargissement de ses pouvoirs. Et Macky ne s’en prive pas. Entre loi d’habilitation, pouvoir de crise et dialogue avec son opposition radicale, c’est lui qui voit ses pouvoirs particulièrement renforcés.
A quelque chose, malheur est bon, serait-on tenté de dire. Ce qu’il n’a pu obtenir par les effets combinés du fast-track et de la suppression du poste de Premier ministre, Macky Sall l’a avec le coronavirus : le renforcement de ses pouvoirs. L’exposé des motifs de la loi portant suppression du poste de Premier ministre exhalait un parfum d’aveu d’impuissance d’un président de la République qui, sitôt réélu, n’eut autre chose en tête que de renforcer sa stature sous le prétexte d’un recentrage de ses pouvoirs déjà hypertrophiés : nomination aux emplois civils et militaires ; droit de grâce ; droit de déclarer la guerre, etc. Lundi, dans son adresse à la Nation, Macky Sall a envisagé l’éventualité d’une saisine de l’Assemblée aux fins d’obtenir une habilitation afin de prendre, pour une période de 3 mois, des mesures qui, en temps normal, relèvent du domaine de compétence du pouvoir législatif. Ainsi, le président de la République pourrait, par ordonnance, lever l’impôt, amnistier, etc. Ce qui, en temps normal, relève de la compétence exclusive du Parlement. Tout dépend de la matière et de la temporalité sollicitées et obtenues des députés qui ne vont ni politiquement ni moralement courir le risque de s’opposer à ses volontés en temps de guerre contre le coronavirus.
Ainsi habilité, le chef de l’Etat, dans les limites de temps (3 mois) et de compétence fixées par la loi d’habilitation, prend des ordonnances qui entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation. L’Assemblée nationale ne pouvant que les amender à l’occasion du vote de la loi de ratification.
Cerise sur le gâteau, ce que tous ses appels au dialogue ne lui ont pas permis de faire depuis 2016, Macky Sall est en passe de le réussir avec le virus. Hier, toute la journée, ses opposants les plus irréductibles ont défilé dans ses bureaux. Au-delà de la photo officielle de chacun d’entre eux avec le maître de céans, il y a que, du point de vue de la symbolique, le président de la République gagne en légitimité. C’est la première fois, depuis qu’il est réélu, qu’il se voit appeler, par Ousmane Sonko, avec ses titres et attributs.
Et dans l’éventualité d’un confinement qui pourrait intervenir en cas de non recul de l’épidémie, le président de la République pourrait être amené à faire application de l’article 52 de la Constitution. «Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation», dispose cet article qui consacre la «dictature» constitutionnelle du Président.
Ainsi, quelle que soit l’issue de la guerre contre cette saleté de coronavirus, Macky Sall aura gagné en pouvoirs, en stature et en légitimité.
Ibrahima ANNE