Le son et lumière qui a précédé les deux finales du 100 mètres [le 28 septembre] était impressionnant : la piste était illuminée, les projecteurs braqués successivement sur chaque athlète tandis que leurs noms s’affichaient le long de la ligne d’arrivée. Certes, l’affaire a un peu traîné en longueur, mais c’est exactement de ça que l’athlétisme a besoin – plus de battage, de mise en scène, d’enthousiasme et de ferveur. Dans l’obscurité, peu importait où se déroulaient les épreuves. L’élite du sport était sur le point de s’affronter, les yeux du monde étaient braqués sur elle. C’était l’heure du grand spectacle.
Jusqu’à ce que les gradins soient éclairés. Il serait faux de dire qu’il n’y a pas eu d’ambiance durant les premiers jours de ces championnats du monde d’athlétisme.
Plus de 40 % des marathoniennes ont dû abandonner en raison de la chaleur.
Dans un pays où presque personne n’a coutume de venir assister à des événements sportifs en direct, des centaines de travailleurs immigrés africains amenés en bus dans l’enceinte climatisée du stade international Khalifa ont chanté, dansé et applaudi avec un empressement remarquable.
La finale du 10 000 mètres féminin, dominée par les Kényanes et les Éthiopiennes, a eu lieu dans une joyeuse cacophonie. Mais l’ennui, avec un public majoritairement africain, c’est que quelques minutes plus tard, pour la finale du 100 mètres masculin, beaucoup de spectateurs étaient repartis, ayant déjà vu leurs héros. Le sprint est loin de passionner tout le monde.
Et ainsi Christian Coleman a-t-il foncé vers la médaille d’or, alors que la controverse faisait rage au sujet de contrôles anti-dopage manqués [il est passé à deux doigts d’une suspension], dans un stade où une grande partie des sièges étaient recouverts de bannières, les premiers rangs étant à moitié vides, dans un silence pesant. Shelly-Ann Fraser-Pryce et Dina Asher-Smith [médailles d’or et d’argent du 100 mètres féminin] ont effectué leurs tours d’honneur devant des tribunes désertes. Bienvenue dans le sport au Qatar.
Difficile de ne pas éprouver de la sympathie pour Sebastian Coe, le président de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), à qui l’on demande régulièrement de justifier la décision d’organiser ces championnats du monde à Doha, décision prise sous une présidence précédente visée par de multiples accusations de corruption. En réaction, Coe a mis l’accent sur la nécessité de mieux faire connaître le sport en l’exportant vers de nouveaux pays. Il est probable que cette déclaration sera péniblement reprise à l’envi si le Qatar, après avoir obtenu d’orchestrer la Coupe du monde de football 2022, réussit à décrocher les Jeux olympiques.
Même sans tenir compte de l’attitude lamentable du pays dans le domaine des droits de l’homme et dans le traitement de divers segments de la société – ce qu’on ne peut de toute façon pas ignorer –, ces championnats du monde constituent un terrifiant avant-goût de ce que deviendra le sport s’il continue à vendre son âme au Moyen-Orient, où les fans sont rares et où le climat est incompatible avec les performances de haut niveau.
Un athlète a déjà dépeint la compétition comme un “désastre”. Une autre, qui a survécu à l’horrible marathon féminin noc- turne, que plus de 40 % des concurrentes n’ont pu terminer, a dénoncé le “manque de respect” pour les sportifs. Le 29 septembre, sans doute lassée de la couverture négative des épreuves au Qatar, la responsable de la communication de l’IAAF a supplié les médias “de susciter un peu l’intérêt des gens”, en dressant la liste des fabuleux exploits accomplis sur la piste et ailleurs ces derniers jours. Elle a raison. Il y a de formidables athlètes qui ont fait des choses extraordinaires à Doha. Mais ils méritent mieux que d’être ici.
Ben Bloom
Correspondant du journal britannique The Daily Telegraph pour les sports