CONTRIBUTION
Le problème (vrai ou faux) de l’interdiction du port du voile dans un collège privé catholique pose à notre avis d’autres problèmes plus graves, dont deux principalement. Le premier est le fredonnement sournois de quelques réflexes identitaires qui se font de plus en plus jour dans notre société. Nous ne disons pas que cette histoire du port du voile reflète un problème identitaire : nous constatons simplement qu’il surgit au mauvais moment, c’est-à-dire, à un moment où les problèmes identitaires se dévoilent de façon dévergondée sur la place publique, dans les réseaux sociaux et même dans les lieux de travail !
Le second problème de fond que pose l’interdiction présumée du port du voile dans une école privée catholique est la nature de notre République : avons-nous vraiment une République sénégalaise ? Les défenseurs de cette interdiction avancent généralement l’argument de la laïcité, mais la nôtre tolère-t-elle ou, au contraire, combat-elle la religion ? L’école privée catholique propose-t-elle un enseignement catholique ou laïc ? Ceux qui se demandent si une école coranique accepterait un jeune chrétien avec une croix, sont-ils vraiment sérieux ou font-ils fausse route ? L’école coranique (Dhaara) ne fait pas un enseignement laïc, elle ne reçoit pratiquement pas de subvention de la part de l’État et ses enseignements ne sont jusqu’ici ni contrôlés par l’État ni couronnés par un diplôme reconnu par lui. La question n’est donc pas de savoir si une école coranique accepterait une croix dans son enceinte : la bonne question est de savoir ce qu’un jeune catholique irait chercher dans un Dhaara ? Car tout le monde sait que les enfants musulmans ne vont pas dans une école privée catholique pour des préoccupations religieuses. Dès l’instant que le privé catholique produit un enseignement laïc et délivre des diplômes d’Etat et qu’il n’a pas pour vocation d’assurer un enseignement religieux je pense qu’il doit appliquer le principe de la laïcité qui régit l’école sénégalaise.
Le problème reste maintenant à déterminer ce qu’est la laïcité pour nous. Est-ce une laïcité contre la religion ou une laïcité vis-à-vis de la religion ? Je pense, pour ma part, que la laïcité sénégalaise est spéciale, même si nos institutions politiques refusent de s’y arrimer. Cette laïcité est à mon avis la tolérance positive, interreligieuse ou relationnelle. Cette tolérance n’est pas seulement l’acceptation de la différence, c’est surtout le respect (au sens kantien du terme, c’est-à-dire le représentation d’une valeur qui porte préjudice à mon amour-propre) de la différence. Le port du voile est devenu culturel dans notre pays, c’est même un phénomène de mode et non un culte. Si on persiste dans cette logique d’homogénéisation à outrance, certains prénoms vont être la prochaine cible et ensuite certains ports vestimentaires…. Suivez mon regard.
L’exemplarité de la minorité chrétienne est, à notre avis, moins dans le fait que le comportement du jeune chrétien est en soi irréprochable, c’est plutôt la prouesse d’avoir réussi, dans un univers à majorité musulmane, à conquérir les musulmans et à les convaincre de leur confier l’éducation de leurs enfants. C’est sans nul doute une grande preuve d’exemplarité à méditer. La tolérance a des limites me dira-t-on : je répondrai que certes, mais elle a également un coût. Aimer c’est souffrir pour ceux qu’on aime. Il n’y a rien de plus beau que de voir des jeunes musulmans dans une école qui est la propriété de l’église catholique : les prophètes Jésus (paix et salut sur lui) et Mouhamad (paix et salut sur lui) seraient fiers d’une telle preuve de tolérance positive.
Quant à la question de savoir si les musulmans ne devraient pas s’en vouloir à eux-mêmes parce qu’ils devraient être en mesure d’ouvrir des écoles « musulmanes », je trouve qu’elle n’a aucun sens et qu’elle est à la limite dangereuse. Il ne faut même pas encourager une telle idée, car elle serait le début d’une scission de la société qui serait fatale à la nation et à la paix. L’école est républicaine, les situations historiques ont fait que l’école catholique a généreusement contribué à la construction de l’école sénégalaise et à la formation d’une élite. Il ne faut jamais faire germer dans les esprits l’art du manichéisme : chaque homme, chaque culture, chaque communauté a son identité, ses valeurs et ses bienfaits. Mais dès l’instant qu’on veut se construire dans une logique de l’extraverti (du genre « nous aussi..), on sème les germes de la destruction de soi et plus tard, de l’entreprise de la destruction de l’autre. Car l’échec d’une telle entreprise ne fera qu’attiser la convoitise, la jalousie et la haine.
Par Alassane KITANE