Etre second de Wade n’est pas une sinécure. D’abord, parce que le job vous prédestine à devoir jouer les gilets pare-balles pour un turbulent secrétaire général biologiquement formaté pour donner des coups et, donc, à en recevoir. Ensuite, parce que, fatalement, les seconds de Wade sont destinés à subir le rouleau compresseur d’un secrétaire général qui aura le plus usé et abusé de ses lieutenants.
Le musée du Pds est riche de portraits de ces victimes dont la liste est longue comme un bras. Serigne Diop, Fara Ndiaye, Ousmane Ngom, Idrissa Seck, Macky Sall ont en commun d’avoir été les jardiniers des rêves d’un Wade patrimonial et possessif à souhait. Un trait de caractère qui lui vient de l’histoire de ce parti qu’il a enfanté, tété, porté à bout de bras, vu grandir et dont tout lui appartient. Les caricaturistes diront que même les chaises portent son nom. C’est peut-être exagéré. Mais, c’est expressif de ce rapport que Wade entretient avec les ressources de son parti, aussi bien matérielles qu’humaines. Empruntons la machine à remonter le temps. On est au milieu des années 1980. Après 1978, Wade essuie sa seconde défaite à la Présidentielle, face au dauphin de Senghor dont il pensait faire une bouchée. Le Ps entreprend – déjà – de réduire le Pds «à sa plus simple expression ». Le parti au pouvoir braconne dans les rangs de l’opposition parlementaire incarnée par le Pds. Plus jeune député de l’histoire du Sénégal, enseignant à la Fac de droit, Serigne Diop a le Cv dont rêve tout parti. A-t-il été aiguillonné par le Ps ou l’a-t-il fait de son propre chef ? En tout cas, Serigne Diop, appuyé par un groupe de dissidents, entreprend, méthodiquement, de prendre le pouvoir du parti des mains de Wade. Un congrès est même organisé pour en exclure le mythique secrétaire général à qui il est reproché d’avoir dévié de l’orientation du parti. Le tribunal saisi pour départager les protagonistes, la bataille judiciaire tourne, finalement, à l’avantage du célèbre avocat de la rue de Thiong. Serigne Diop et ses compagnons n’ont d’autre choix que de quitter la maison du père. Mais, c’est pour s’installer juste à côté en créant le Pds/Rénovation, plus proche de l’embouchure (Ps) que de la source (Pds).
Serigne Diop parti, Wade mise sur un nouveau cheval de Troie en la personne de Ousmane Ngom. Physiquement et moralement, ce dernier fait les frais de la proximité avec Wade. Au lendemain des élections mouvementées de 1988, il est embastillé, jugé pour atteinte à la sûreté de l’Etat et expédié à la prison de Kolda. Il ne devra son élargissement qu’au vent de décrispation qui souffle sur le pays, après la rencontre entre Diouf et Wade où ces derniers ont discuté «de tout avec un grand T», selon l’expression du Pape du Sopi. De tout, y compris de l’entrée dans le gouvernement. Dans la foulée de la restauration du poste de Premier ministre confié à Habib Thiam, Wade, nommé ministre d’Etat sans portefeuille, entraine, dans son sillage, Ousmane Ngom (Santé), Jean Paul Dias (Intégration africaine) et Aminata Tall (Langues nationales). Quand Wade est rattrapé par ses penchants de vieil opposant, Ousmane Ngom commence à faire des caprices et traine les pieds pour sortir de la majorité présidentielle. Le pouvoir socialiste flaire le bon coup et participe à densifier les lignes de fractures entre Ngom et Wade qui atteignent leur point de non-retour avec la célèbre phrase du premier selon laquelle, le second «parle en démocrate mais agit en despote». La rupture est définitivement consommée. En 2000, coup de tonnerre dans le ciel africain post La Baule. Pour la première fois dans l’histoire du continent, une alternance politique sans bruit de bottes, sans effusion de sang et non dictée par une conférence nationale, intervient dans un petit pays appelé le Sénégal. Après 26 années d’opposition, Abdoulaye Wade gagne, enfin, une élection présidentielle. Sa proximité avec Idrissa Seck est telle que celuici s’impose comme le numéro deux, de facto, de l’Etat et du parti. Tout puissant ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, Idy nomme et dégomme, lance la machine de la transhumance sur fond de chantage judiciaire.
«Dieu chronos»
Puis, en 2003, s’installe ce que les chroniqueurs politiques appellent «dualité au sommet de l’Etat» entre Wade et Idrissa Seck, passé, en 2002, Premier ministre. Sous prétexte de détournement des fonds destinés aux chantiers de Thiès pour la fête de l’Indépendance, en 2004, Idrissa Seck entame sa descente aux enfers. Après une démission-reconduction en 2003, il est finalement défenestré de son poste. Commencent pour lui les ennuis judiciaires qui aboutissent à sa mise sous mandat de dépôt pour sept longs mois à Rebeuss. La machine judiciaire (détournement de deniers publics et atteinte à la sûreté de l’Etat) ne lui laissera d’autre choix que de faire face à son ancien mentor, «ancien spermatozoïde, futur cadavre», avec lequel la rupture sera consommée. Nommé Premier ministre en remplacement d’Idrissa Seck, Macky Sall goûte à la sauce réservée aux numéros deux. «A partir du moment où il a dit qu’il est, maintenant, le numéro deux de Wade, je me suis dit qu’il vient de signer son arrêt de mort», soulignera, dans un entretien à Walf Quotidien, le Pr Ousseynou Kane. Le chef de département de philosophie de l’Ucad avait signé, deux ans auparavant, une contribution restée célèbre dans les mêmes colonnes «la République couchée» en allusion à l’allégeance du Président talibé Wade au khalifat de Touba. «Wade, c’est comme le dieu chronos», ajoutera-t-il. Dans la mythologie grecque, ce dieu a la caractéristique d’avaler ses enfants. Alors qu’il est en plein dans les opérations de renouvellement des fédérations départementales, Macky est stoppé net par Wade. Dans la même veine, ce dernier fait signer par ses fédérations des résolutions tendant à légitimer la suppression du poste de numéro deux. La suite, très récente, peut se passer de commentaires.
Battu à la Présidentielle par celui dont il avait mis le pied à l’étrier avant de précipiter sa chute, Wade ne veut rien lâcher de son parti. Tout en restant secrétaire général, il dessine les contours d’un poste d’adjoint plus ou moins accommodant et compatible qui ne lui fera pas d’ombre. Le casting révèle que Oumar Sarr a le profil de l’emploi. Il est nommé coordonnateur et secrétaire général adjoint. Un titre simplement honorifique vu que tout part et tout revient à Wade qui est, plus qu’une constante, l’alpha et l’oméga. Oumar Sarr est juste chargé de chauffer le siège que les mauvaises langues prédestinent au prince héritier, Karim, «exilé» au Qatar après son élargissement obtenu après une grâce présidentielle signée en 2016. Macky Sall réélu, ouvre les vannes du dialogue. Oumar Sarr participe à la cérémonie de lancement, prenant le contrepied de Wade. Un crime de lèse-majesté qu’il va payer cash. Wade remanie son secrétariat national. Oumar Sarr est le grand absent de ce relifting qui signe la résurrection voire le retour en force de la Génération du concret.
Ibrahima ANNE