Le blocage de la présence de l’avocat dès l’interpellation de son client ne se situe plus au niveau des commissariats de police et des brigades de gendarmerie, mais au niveau des cabinets des juges d’instruction. Les avocats ont saisi, hier, la Chambre criminelle pour dénoncer ces errements de certains magistrats qui, selon eux, font tout pour leur fermer les portes.
Même si le règlement n° 5 de l’Uemoa autorisant la présence de l’avocat dès l’interpellation est entré en vigueur au Sénégal, depuis le 1er janvier 2015, des dysfonctionnements planent toujours sur son application. Ce constat a été établi, hier, par certains avocats, en marge de la session de la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar. Selon ces robes noires qui défendaient une bande de quatre malfaiteurs poursuivis pour «association de malfaiteurs, vol en réunion commis la nuit avec usage d’armes, consommation de drogue», les juges, dans les enquêtes de fond, mentionnent des déclarations dans les procès-verbaux de renvoi que ces derniers n’ont pas tenues. Dans leurs plaidoiries sur les exceptions de nullité de la procédure, ils accusent aux juges d’instruction, en voulant interroger un accusé sans la présence de son conseil, lui prêtent des propos de ce genre : «Je renonce expressément à la présence de mon avocat lors de mon entendement. Je peux me défendre personnellement». «Avant de demander à l’inculpé s’il veut être entendu sans la présence de son avocat, il faut d’abord convoquer dûment ce dernier. Ce qui n’a pas été fait. C’est le juge qui dit qu’il y a eu la présence d’un interprète. Quand l’inculpé ne sait pas lire, ni écrire, il doit être assisté. Dans ce cas, il ne peut pas renoncer expressément à la présence de son avocat, lors de son audition devant le juge d’instruction», a soulevé, hier, Me Martin Diatta, avocat d’Abdoulaye Bâ, sur la mention portée sur le procès-verbal de renvoi faisant état que c’est son client qui a renoncé à sa présence. Il poursuit : «Mon client n’a pas accepté expressément, comme l’a noté le greffier dans la lecture du procès-verbal de renvoi, à la présence de son conseil. L’article 92 stipule clairement qu’il doit être assisté par un interprète car il ne comprend pas le français. Le juge n’a pas de preuve sur cela».
«Les accusés ont été auditionnés sans la présence de leurs avocats»
Pour sa part, Me Bamar Faye, avocat de Mamadou Diabaté, fait savoir que le conseil doit être régulièrement convoqué l’avant-veille de l’audition de son client par une lettre recommandée et accusée de réception. Ce qui n’est jamais respecté. «Le non-respect de cette prescription entraine la nullité de la procédure. C’est une règle qui garantit les droits de nos clients. Il y a eu des vices de forme des dispositifs des articles 105 et 164 du Code de procédure pénale. Les accusés ont été auditionnés sans la présence de leurs avocats. Dans les textes, il est bien dit que l’avocat doit être convoqué à l’avant-veille de l’audition, mais les juges envoient les convocations 24 heures avant. C’est une violation des droits de la défense. C’est pour bloquer leur présence», explique-t-il.
«Il faut que la procédure pénale soit beaucoup plus encadrée»
A l’en croire, le fait de faire dire à un accusé de renoncer expressément à la présence de son avocat n’est pas une preuve. C’est seulement une mention portée sur le procès-verbal de renvoi. «Cela doit être corroboré par un élément de preuve. Il n’est pas prouvé qu’il a dit cela. Il faut qu’on lui donne un interprète pour lui lire le contenu du procès-verbal. Ce sont des pratiques qui sont là. Il faut que la procédure pénale soit beaucoup plus encadrée. Il faut que tout se passe dans les règles de l’art», soutient Me Faye. Avant d’ajouter : «Les commissions d’office posent aussi problème. Un avocat peut être commis d’office, mais après l’assistance judiciaire, les parents de l’accusé peuvent le libérer et commettre d’autres avocats. Parce qu’ils n’ont pas été informés de sa constitution, au premier jour. L’avocat en personne peut juger nécessaire de ne pas continuer la procédure car n’ayant pas des informations suffisantes du dossier ou elle ne l’intéresse. Le juge peut continuer à mentionner son nom dans les procès-verbaux d’enquête. Alors qu’il est hors de la procédure, il ne connait même pas ce qui se passe. C’est un dysfonctionnement qui peut être rétabli».
«Les commissions d’office posent aussi problème»
Ces exceptions de nullité plaidées par les avocats ont conduit à la mise en délibéré au 18 juin 2019 des affaires en question, le temps de statuer sur ces errements des juges des cabinets d’instruction. Les accusés sont au nombre de quatre. Il s’agit de Mamadou Diabaté, Abdoulaye Bâ, Amadou Sall (20 ans), Mamadou Diabaté, Kénouté Diabaté. Ils ont été arrêtés en 2014.
Salif KA