CONTRIBUTION
Tant qu’il était resté à Doha au Qatar, loin du Sénégal, Karim Wade n’avait pas de souci à se faire. L’amende de 138 milliards de francs Cfa qu’il doit payer à l’Etat du Sénégal ? C’est pas important, le pays peut s’en passer, pourvu que l’ancien «ministre du ciel et de la terre» s’abstienne de fouler le sol sénégalais pour déjouer les plans de réélection du président Macky Sall dont le second mandat prime sur le recouvrement des deniers publics. Seulement, depuis quelques temps, l’information toujours livrée par le Pds et de plus en plus confirmée par des médias étrangers (La Lettre du Continent, Jeune Afrique) et ayant trait à un imminent débarquement de Karim Wade sur le tarmac de l’aéroport Blaise Diagne de Diass, flanqué de son Abdoulaye Wade de père et d’une centaine de journalistes, de militants des droits de l’Homme et autres, fait trembler la République. C’est la panique générale à bord du navire Etat/Apr où les réactions tous azimuts ressemblent plus à une débandade qu’à autre chose. Les pressions de l’Etat du Sénégal sur le Qatar n’y ont rien fait. Les médiations et autres bons offices menés par des Amis du Sénégal, non plus. Il a même été fait état de propositions faites à Karim Wade par l’Etat du Sénégal pour qu’il renonce à son retour.
Entretemps, les admonestations du Comité des Droits de l’Homme des Nations- Unies envers l’Etat du Sénégal sont tombées comme un couperet et ont redonné du poil à la bête au camp de Karim Wade. Dans ses «constatations» datées du 22 octobre 2018 et rendues publiques le 14 novembre dernier, l’organe onusien «recommande la mise en oeuvre d’une procédure permettant une révision effective et substantielle de la déclaration de culpabilité de M. Karim Wade, enjoint l’Etat du Sénégal de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus à l’avenir et souhaite recevoir de l’Etat-partie, dans un délai de 120 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations». Il n’en faut pas plus pour que Seydou Diagne, l’un des avocats de Karim Wade, qui dénonce de longue date cette juridiction d’exception, assène : «C’est le dernier clou sur le cercueil de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Si l’Etat sénégalais n’en tire pas les conséquences, il restera un Etat délinquant».
Ce verdict a l’heur de plaire aux partisans de Karim Wade déjà confortés par les camouflets précédents du pouvoir de Macky Sall avec ses nombreuses commissions rogatoires internationales infructueuses, et les nombreuses fois que l’Etat du Sénégal a été débouté à chaque fois qu’il a saisi les juridictions internationales au sujet de Karim Wade. Retour sur les revers subis par l’Etat du Sénégal face à Karim Wade : La Cour de justice de la Cedeao, dans son arrêt du 22 février 2013, au sujet de l’interdiction de sortie du territoire sénégalais opposée à Karim Wade et à cinq autres anciens ministres Pds, rend cette décision sans appel : «La justice sénégalaise viole leur droit à la liberté d’aller et de venir» et leur «droit à la présomption d’innocence» a lui aussi «été violé» dès lors que «cette disposition [l’interdiction de sortie du territoire sénégalais] ne peut concerner les requérants puisqu’ils ne sont ni poursuivis en justice, ni inculpés par une autorité judiciaire compétente». Le 19 juillet 2013, la même Cour de justice de la Cedeao en remet une nouvelle couche en estimant, dans son arrêt, que les anciens ministres, dont Karim Wade, soupçonnés d’enrichissement illicite dans l’exercice de leurs fonctions, sont passibles de la Haute Cour de justice, et non de la Crei. Par la suite, le Tribunal de Grande instance de Paris rejette la requête des avocats de l’Etat du Sénégal demandant la confiscation des biens de Karim Wade recensés sur le sol français. Une décision confirmée par la Cour d’Appel de Paris. A son tour, le Parquet national financier de Paris classe sans suite une plainte pour «biens mal acquis» déposée à son niveau par l’Etat du Sénégal contre Karim Wade. Pour sa part, le Groupe de Travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire constate le caractère inéquitable du procès subi par Karim Wade et proclame le caractère arbitraire de son emprisonnement. Dans la même veine, le tribunal correctionnel de Monaco refuse de confisquer les sommes saisies dans les comptes monégasques de Karim Wade, comme le souhaitait ardemment l’Etat du Sénégal.
La longue série de déconvenues judiciaires infligées à l’Etat du Sénégal par toutes ces juridictions internationales qui refusent l’exécution de l’arrêt rendu le 23 mars 2015 au Sénégal par la Crei, prouve que cet arrêt n’a pas de valeur juridique. Toutes ces décisions sont donc défavorables à l’Etat du Sénégal, mais le régime de Macky Sall, mauvais perdant, les a rejetées les unes après les autres et en bloc, se mettant ainsi au ban de la communauté internationale parce que cette posture de l’Etat du Sénégal entre en totale violation des principes de droit reconnus par la communauté internationale dans les traités et conventions signés et ratifiés par le Sénégal, parties intégrantes de sa Constitution. Envoyés au charbon, Mimi Touré et Ismaïla Madior Fall, suivis des autres séides de la galaxie Etat/Apr, des plus illustres aux plus farfelus, à tous les étages de la maison de «l’armée mexicaine», chantent à l’unisson la rengaine et ritournelle : «Soit il paie l’amende, soit il retourne en prison». Mais, ces voix de seconds couteaux n’étant pas suffisamment audibles de l’autre côté, le président de la République et président de l’Apr a cru devoir monter au créneau pour se faire plus explicite à ce sujet. Sur France 24, Macky Sall a été on ne peut plus clair : «Ce sera la contrainte par corps s’il ne paie pas l’amende». A noter que durant tout l’entretien, Macky Sall, le visage grave et les traits tirés (signes d’inconfort), s’est gardé de prononcer le nom de Karim Wade. Enfantillage ou fétichisme ?
Toujours est-il que le tollé général soulevé par les déclarations du chef de l’Etat, qui a profité de l’occasion pour solder des comptes avec la section sénégalaise d’Amnesty International, est immense. L’on reproche à Macky Sall, comme ses prédécesseurs, de toujours réserver la primeur de ses grandes déclarations à la presse étrangère. Mais, les menaces de Macky Sall n’ont pas semblé suffire pour refréner ou émoustiller les ardeurs des «bleus», entendez le Pds, qui remettent au goût du jour, pour Macky Sall, le qualificatif de «peureux» à lui attribué par Idrissa Seck, pour lui signifier qu’il ne les impressionne pas. C’est alors que le ministre-conseiller chargé de la communication de la présidence de la République, El Hadji Hamidou Kassé, est entré dans la danse. Dans l’émission «Grand Jury» sur la Rfm du 18 novembre dernier, le communicant en chef du Palais a fait étalage de ce qu’il sait faire de mieux : l’intox, la désinformation, les fakenews. En déclarant que «c’est la famille de Wade qui a demandé à Macky Sall la grâce pour Karim Wade», El Hadji Hamidou Kassé cherche à tromper les Sénégalais en installant le doute dans les esprits.
Mais c’est tellement cousu de fil blanc que ces allégations prêtent à sourire. Mais, pour qui connaît bien ce grand sophiste et mythomane devant l’Eternel, l’on n’est guère surpris de ces saillies. Cet hurluberlu qui n’a jamais rien compris, et nullement dérangé par la communication désastreuse du Palais, croit naïvement et niaisement que pour exister et pour plaire à son patron de Macky Sall, il suffit de toujours taper sur Me Abdoulaye Wade qu’il prend pour un punching-ball, voire pour son souffre-douleur. Le président Macky Sall collectionne les bourdes communicationnelles, le sieur Kassé fait le mort. Le président Macky Sall se goure et se fourvoie dans ses sorties médiatiques, cela laisse de marbre le sieur Kassé. Alors, tour à tour, le président Macky Sall crée le scandale à chacune de ses déclarations publiques : l’affaire des desserts des tirailleurs sénégalais, le Magal de Touba comme célébration du… retour d’exil de Bamba, la Salâtou Alâ Fâtiha, l’oraison funèbre pour Bruno Diatta sur fond de discours-polémique autour de sa nomination comme ministre chargé du protocole de la présidence de la République, etc. Avec l’interview accordée par le président Macky Sall à France 24, un journaliste sénégalais de renom, grand analyste politique, a fait des observations pertinentes en ces termes : «Le service de communication de la présidence de la République n’a pas travaillé avec le journaliste de France 24 sur les questions à poser et sur celles susceptibles d’être posées. Le président Sall a été jeté en pâture face à un journaliste totalement libre dans le choix des questions, alors qu’il devait être encadré et assisté, vu le contexte politique où chaque mot a son poids. Et, à la face du monde. Macky Sall n’a pas pu cacher sa surprise d’entendre des questions posées sur ses deux principaux adversaires (…) Il était à l’étroit sur France 24, ce qui lui a inspiré des propos maladroits à l’égard de ces institutions internationales [le Groupe de Travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire, le Comité des Droits de l’Homme des Nations- Unies, la Cour de justice de la Cedeao]. Il ne lui restait qu’à annoncer le retrait du Sénégal de la Cedeao et des Nations- Unies ».
Tout cela est l’oeuvre du responsable de la Communication de la présidence de la République qui s’érige en spin doctor du Palais alors qu’il est à des années-lumière des grands gourous de la communication dont des régimes impopulaires comme celui de Macky Sall ont besoin de s’attacher les services pour rebondir. Très mal coaché, insuffisamment encadré et conseillé dans sa communication, le président Macky Sall multiplie les bourdes langagières et discursives faisant qu’à chaque fois qu’il ouvre la bouche, tout le monde se bouche les oreilles. Ses sorties manquées à répétition étonnent et détonnent au sein de la République. Maintenant que le retour au Sénégal de leur candidat à l’élection présidentielle de 2019 se précise au fil des jours, les libéraux du Pds laissent entrevoir que dans les stratégies qu’ils ont concoctées, à côté des nombreux journalistes venus du monde entier pour regarder, voir, observer, témoigner, commenter et rendre compte, les militants des droits de l’Homme présents pour jouer le rôle de sentinelles, il y aura ces centaines de milliers ou ces millions de Sénégalais qui vont constituer cet impressionnant bouclier humain pour ne serait-ce que différer le transfèrement de Karim Wade à Rebeuss dès sa descente de l’avion.
En tout état de cause, voilà un Macky Sall qui avait pensé se débarrasser pour de bon de la patate chaude en graciant Karim Wade et en le faisant exiler au lointain Qatar, mais qui malheureusement, comme un effet boomerang, reçoit le projectile en pleine figure. Un juste retour des choses. Il lui faudra, dès lors, bien manoeuvrer et communiquer avec tact, dextérité et intelligence, pour se sortir de ce guêpier. La communication devrait donc jouer un rôle fondamental à ce niveau afin que le président Macky Sall puisse sauver la face, tout en préservant la paix et la stabilité sociales. Ce devrait enfin être le moment pour lui de discipliner ses troupes qui tirent dans tous les sens, à tort et à travers et très souvent au détriment du chef de l’Etat. Sauf que ceux qui sont habilités à bien calibrer la communication officielle du Palais et en la dotant cette résonnance et cette tonalité qui la rendent plus convaincante et plus efficace, trainent des lacunes criardes car porteurs de discours orientés et subjectifs, trop partisans, d’allure manichéiste et passablement crédibles. Bref, une communication désastreuse.
Pape SAMB