En Afrique, le mythe entourant le président de la République, perçu comme un monarque régnant infaillible, veut que sa santé est, elle-même, un sujet hors de discussion. Le cas Ali Bongo, dont les compatriotes n’ont que peu de nouvelles sur son état de santé et sur la nature de la maladie, est symptomatique de cet état de fait. Tour du continent de quelques bulletins de santé de ceux qui nous gouvernent.
Malgré des avancées indéniables dans les domaines des médias et de la liberté d’expression, malgré une forte intrusion des réseaux sociaux dans la sphère publique et privée, la santé de nos dirigeants relève encore du secret-défense. Au Sénégal, comme partout ailleurs sur le continent, les bulletins médicaux sont entourés de l’absolu tabou, pour ne pas dire du secret d’Etat, laissant libre cours à la rumeur. Au Gabon, en l’absence d’une communication officielle de la Présidence de la République, depuis son premier communiqué qui faisait état de «fatigue passagère» du chef de l’Etat, les spéculations vont bon train. Selon les informations de l’agence Reuters, Ali Bongo a été victime d’un AVC. La Lettre du continent, bulletin confidentiel réputé pour la fiabilité de ses informations sur les palais africains, parle, pour sa part, d’un œdème cérébral. Le journal Le Monde en rajoute une couche : Ali Bongo serait maintenu en «coma artificiel». A la présidence gabonaise, pas de nouvelle communication. Dans les rues de Libreville, on évite un sujet qui, pourtant, s’invite dans toutes les discussions. Même le principal opposant, Jean Ping, a eu la pudeur de l’évoquer dans une adresse à la Nation, lui qui pourtant croit, dur comme fer, qu’il a été élu Président en 2016 et que son challenger aurait truqué les résultats pour se maintenir au pouvoir.
Au Nigéria, le Président Buhari a séjourné pendant plusieurs mois dans une clinique londonienne sans que ses compatriotes ne sachent de quoi il souffre exactement. Son absence prolongée pour un congé médical à Londres, début 2017, avait suscité de nombreuses interrogations sur la nature de sa maladie. Il était finalement rentré dans son pays début mars de la même année après plus de huit semaines de traitement sans que personne ne sache la nature de sa maladie. Tout semblait indiquer que le Président ne parvenait plus à assumer les lourdes fonctions qui sont les siennes à la tête de l’Etat. De quoi faire sortir la société civile nigériane de son mutisme surtout que l’émirat pétrolier ouest-africain avait vécu un lourd traumatisme consécutif au décès en fonction d’Umaru Yar’adua le 5 mai 2010 après une longue période d’hospitalisation en Arabie Saoudite. Dans une lettre ouverte, les signataires, parmi lesquels des juristes, des politologues et des défenseurs des droits humains, demandent au Président Buhari, affaibli par la maladie, de déléguer le pouvoir à son vice-président, Yemi Osinbajo, conformément à la Constitution. En vain.
Au Bénin, le Président Talon a été opéré en France dans une parfaite opacité. Ses compatriotes ignorant tout de ce pour quoi il a subi cette opération. Dans un premier temps, les rumeurs sur son état de santé ont été démenties. De retour à Cotonou, dans une sorte de rattrapage, Talon annonce, en Conseil des ministres, lundi 19 juin, avoir subi deux opérations chirurgicales à la prostate et à l’appareil digestif lors de son séjour à Paris, d’où il est rentré après presque un mois d’absence. Heureusement pour ses compatriotes, le successeur de Yayi Boni s’acquitte, depuis, de ses fonctions dans un apparent bon état de santé.
Au Cameroun, le Président, réélu à 85 ans pour un 7ème mandat, est réputé pour ses longs et coûteux séjours dans une clinique genevoise. Au pouvoir depuis 1982, rares sont ses compatriotes qui se souviennent du dernier Conseil des ministres présidé par Biya, plus fréquent dans sa ferme que dans son palais.
Présidence télécommande
Le cas le plus pathétique est celui de Bouteflika qui, depuis qu’il a fait un Accident vasculaire cérébral (Avc) qui l’a cloué un bon moment sur un lit d’hôpital en France, est obligé de gouverner son pays, par «télécommande», à partir d’un fauteuil roulant. Son parti, le FLN, a pourtant annoncé sa candidature pour la prochaine présidentielle.
Le Sénégal n’échappe pas à la règle. Ici aussi, c’est «Circulez, y a rien à voir !». Vers la fin des années 1990, il a fallu que le journal Le Témoin, à l’époque hebdomadaire, révèle que le Président Diouf a été aperçu sortant d’une clinique dakaroise avec un gros bandage au cou pour que le gouvernement veuille bien communiquer sur la mystérieuse maladie du chef de l’Etat. Et c’est Serigne Diop, à l’époque ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui est envoyé au charbon. Il déclare que le Président Diouf souffre d’un lumbago qui l’oblige à s’éloigner du pays pour des soins en France. Une maladie d’apparence bénigne qui, selon le site spécialisé, doctissimo, est «un traumatisme léger, passager, ne durant que quelques jours sans dépasser quatre semaines».
Sous Wade, en 2005-2006, une grosse frayeur s’empare du pays. En un battement de cils, une rumeur selon laquelle le président de la République est décédé fait le tour des salles de rédaction avant de déborder dans la rue. Les mêmes qui avaient créé la rumeur de toutes pièces s’empressent de l’informer que la presse a annoncé sa mort. Furax, Wade appelle son Premier ministre. Comme par hasard, celui-ci recevait les patrons de la presse sénégalaise dont aucun organe n’avait eu la témérité de publier la fausse nouvelle. Quelques jours plus tard, Wade rentre au pays. Au Pavillon présidentiel, face caméras, il révèle avoir subi une opération de la cataracte et que, maintenant, il «voit tout». Hormis ce malheureux précédent, l’opinion ne fait cas du bulletin de santé du successeur de Diouf que sous l’angle d’une feutrée guerre de succession, évoquant le fait que son homme de confiance d’alors, Idrissa Seck, a fourré son nez dans son dossier médical pour, éventuellement, documenter les éléments d’une mise à la «retraite anticipée» de son mentor. Un peu comme Ben Ali l’avait fait avec Habib Bourguiba en 1987. Info ou intox ? Complot ourdi pour se débarrasser d’un «fils» devenu encombrant ? La déclassification des secrets de la République le dira un jour.
Plus de deux décennies auparavant, Senghor, sentant des signes de fatigue et d’usure de son pouvoir, n’aura laissé le temps à personne de fouiner dans son dossier de santé. Prétextant des «pertes de mémoire», il cède le fauteuil présidentiel à son Premier ministre et dauphin constitutionnel, Abdou Diouf.