CONTRIBUTION
Il est loin le temps où, fraîchement plébiscité à l’élection présidentielle de 2012, le président Macky Sall, en état de grâce, paradait à tout va et prenait tout le temps des bains de foule à chacune de ses sorties publiques en s’en donnant à cœur joie. Mais, à mesure que l’on avançait, l’euphorie de la victoire s’estompait, les nuages et effluves du succès qui grisaient le nouveau régime commençaient à se dissiper et, au contact de la dure réalité, c’était le début du désenchantement. Tour à tour, les slogans pompeux, chantés à tue-tête, à cor et à cri et de manière lassante, qui prônaient «la gouvernance sobre et vertueuse», «la rupture» ou «la patrie avant le parti», sonnaient creux à l’épreuve du réel. Dans le même temps, la promotion des contre-valeurs fait office de mode de gouvernement. Face à la presse, le 16 avril 2015 à Kaffrine, le président Macky Sall fait l’apologie de la transhumance.
Le népotisme est érigé au sommet de l’Etat avec l’apparition du concept de «Dynastie Faye-Sall». Le débat sur l’homosexualité fait rage comme il ne l’a jamais été au Sénégal. La corruption fait florès, mais les proches du régime épinglés par les corps de contrôle de l’Etat n’en ont cure, car couverts par Macky Sall himself qui met le coude sur tous les dossiers compromettants pour ses protégés. L’impunité couronne toutes les malversations des pontes du régime. La présidente de l’Ofnac, Nafi Ngom Keïta, pour avoir fouiné le nez là où il ne fallait pas, est limogée sans ménagement. Les scandales du Coud, de la Poste, de Dakar Dem–Dikk, du Prodac, etc., sont étouffés et tués dans l’œuf. Pour avoir dénoncé les magouilles fiscales de l’Assemblée nationale, l’inspecteur des impôts et domaines, Ousmane Sonko, est radié de la Fonction publique sans autre forme de procès. C’est l’acharnement et la terreur exercés sur ceux qui disent «Non» et le «maatey» pour les partisans du régime. Un véritable recul démocratique comme le pays n’en a jamais connu.
Au plan économique, c’est presque le désastre, avec le Sénégal qui figure parmi les 25 pays les plus pauvres au monde. L’indice de développement humain (Idh) du Pnud classe le Sénégal aux rangs peu enviables de 30ème en Afrique et de 162ème mondial. Les campagnes agricoles sont dramatiques d’année en année avec des paysans laissés à eux-mêmes. Les rares industries existantes ferment et mettent la clef sous la porte, allongeant ainsi la liste des chômeurs. Le taux de croissance de 7,5 % tant vanté ne se reflète pas dans le panier de la ménagère, car porté pour l’essentiel par le capital étranger qui rapatrie ses bénéfices.
Le front social est en perpétuelle ébullition avec les syndicats de tous les secteurs socioprofessionnels en ordre de bataille. L’Ecole et l’Université sénégalaises se meurent. La santé est malade. Pendant ce temps, le régime de Macky Sall reste dans sa bulle en créant à tout bout de champ des institutions aussi inutiles que budgétivores (Cese, Cndt, Hcct), engage des dépenses de prestige (Centre de conférence de Diamniadio, nouveau palais présidentiel de Diamniadio) et ne cesse d’augmenter son train de vie comme l’atteste le nombre pléthorique de ministres, ministres-conseillers ou ministres d’Etat (plus de 80 dénombrés).
C’est ce tableau apocalyptique qui a fait étrenner au chef de l’Etat une autre contre-valeur : le reniement ou «wax waxeet». En effet, conscient et informé par les sondages qu’il a commandités qu’il lui sera très difficile de remplier dans ces conditions en 2019, le président Macky Sall met à contribution le Conseil constitutionnel à travers un avis-décision qui lui permet de revenir sur son engagement claironné urbi et orbi aux quatre coins du monde qu’il allait réduire son mandat de 7 à 5 ans. Histoire de se faire une rallonge de deux années supplémentaires, le temps de faire quelques réalisations et de combler le retard afin de pouvoir présenter aux Sénégalais un bilan qui pourrait le faire réélire. Le plus rigolo à ce niveau, c’est que celui qui avait déclaré avec une certaine dose de vanité qu’il n’était pas élu pour faire des routes mais pour consolider l’Etat de droit, a fini par passer tout son temps à «baptiser des enfants d’autrui», c’est-à-dire à inaugurer des infrastructures mises en place par le régime précédent, à inaugurer même des chantiers inachevés et à s’auto-glorifier du kilométrage d’autoroute réalisé et qui serait supérieur au cumul des travaux faits à ce niveau par tous les autres régimes qui se sont succédé à la tête du pays.
Mais, puisque tout cela ne saurait suffire pour contrebalancer le passif et arriver à l’échéance de 2019 avec toutes les chances de succès, le président Macky Sall s’en est pris aux candidats à l’élection présidentielle susceptibles de mettre en péril son projet de second mandat qui l’obnubile et l’obsède à mort : Karim Wade et Kalifa Sall. Malgré tout, la route de la victoire en 2019 n’est toujours pas encore bien balisée. C’est ainsi qu’il a sorti de son chapeau de magicien le fameux parrainage pour, d’une part, épuiser physiquement et financièrement les candidats à la candidature, dans une campagne très éprouvante de collecte de parrainages, et d’autre part, faire invalider par le Conseil constitutionnel entièrement dévoué à lui, les autres «trublions» de candidats qu’il n’est pas parvenu à faire embastiller. Par la suite, la loi sur le parrainage sera votée aux forceps à l’Assemblée nationale, et sans débats s’il vous plaît, par la majorité mécanique de Benno Bokk Yaakaar. Mais, pour y arriver, le quartier du Plateau de Dakar a été quadrillé avec un impressionnant arsenal de guerre avec des policiers armés jusqu’aux dents pour mater toute tentative de manifestation de la part des anti-loi sur le parrainage qui appelaient à un «23 juin-bis». De là à mettre le cœur de la capitale du Sénégal en état de siège, pour voter tout juste une loi…
Mais, ce n’est pas tout. Le président Macky Sall, qui ne voulait certainement pas assister à un bain de sang qui pouvait toujours arriver en cas de confrontation entre les manifestants et les forces de l’ordre, avait préféré fuir le pays, le jour du vote de la loi, pour aller se rendre à la lointaine Chine pour, dit-on, prendre part à un sommet Chine-Afrique de je ne sais quoi. La dérobade. Avec une lâcheté innommable comme il le fait à chaque fois que le pays brûle.
Chat échaudé craint l’eau froide. Le président Macky Sall a encore en mémoire la terrible après-midi du 31 juillet 2015 à l’Ucad où il avait été accueilli par un Intifada mémorable. Ayant retenu la leçon, il a cette fois-ci pris les devants et a fait déployer sur toute l’étendue du campus universitaire, le temple du savoir, un impressionnant dispositif de sécurité, transformant, ce 4 octobre 2018, l’institution académique à une garnison militaire. Pourtant, il s’agissait tout simplement d’une inauguration de nouveaux pavillons servant de logements pour les étudiants. La notion de «visite à hauts risques» n’est donc pas fortuite, car c’est indéniable que le chef de l’Etat s’est rendu ce jour-là dans un champ miné où il est mal aimé. Et pour cause. Sinon il ne s’y serait pas rendu au moment où la plupart des étudiants, encore en vacances, sont hors de Dakar. Et il n’aurait pas aussi besoin de mobiliser toute cette armada.
Paranoïaques, Macky Sall et sa sécurité voient maintenant le danger partout. Voilà un président qui n’ose plus aller au contact des populations, qui se barricade derrière un rideau de fer car habité et hanté par une psychose, celle du fameux «Casse-toi pauv’ con» du président Sarkozy en réponse à une personne refusant sa poignée de main et lui ayant déclaré : «Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis !». C’était à l’occasion au Salon de l’agriculture de Paris de 2008 quand, alors qu’il avait une cote de popularité très basse, comme c’est le cas actuellement pour Macky Sall, Nicolas Sarkozy s’était risqué à un bain de foule, pour finir avec cette mésaventure qui a fortement marqué son seul et unique mandat.
Pour en revenir à la visite sous haute sécurité du président Macky Sall à l’Université Cheikh Anta Diop, le commentaire d’un auditeur d’une radio privée, dans une émission «wax sa xalaat», avec une analyse pleine de subtilité, a fait remarquer que si le président Macky Sall était en odeur de sainteté avec les étudiants, il pouvait se rendre tranquillement à l’Université, avec comme éléments de sécurité, tout juste quelques… Asp (agents de sécurité de proximité). Sans blagues. L’on s’étonne aussi de voir que Cheikh Oumar Hanne est toujours dans la place. Pourtant il avait été épinglé par l’Ofnac pour mauvaise gestion, laquelle institution avait non seulement demandé son limogeage rac-tac de la Direction du Coud, mais avait également recommandé qu’il ne soit plus nommé de sa vie à la tête d’une structure de l’Etat du Sénégal. Pourtant, le bonhomme est toujours en poste, bien engoncé dans son fauteuil douillet, là où d’autres qui ont fait beaucoup moins que ça sont au gnouf. Lui, le maire de Ndioum, qui fait un pied de nez aux Sénégalais indignés, se gargarise d’avoir organisé un bel accueil du chef de l’Etat à l’Ucad. Et puis, comment le président Macky Sall, dans son discours, sous très haute surveillance, devant un public trié sur le volet, peut-il dire, en bombant le torse : «Je suis venu, j’ai paradé et pas même du coton ne m’a été́ jeté́ !». Vous avez bien lu. C’est signé Macky Sall. Décidément, le ridicule ne tue pas dans ce pays.
Avec les sorties publiques du chef de l’Etat, sous haute escorte policière, l’interdiction systématique de toute manifestation de l’opposition ou de la société civile, matée au besoin avec la plus grande brutalité, le Sénégal sous Macky Sall plonge dans un régime de terreur, un Etat très policier qui s’emploie à confisquer les libertés démocratiques et à mettre en berne l’Etat de droit. Non content de toujours lancer aux trousses des manifestants pacifiques ses deux «dragons» qui crachent de l’eau chaude sur ces derniers, le président Macky Sall s’est récemment fait livrer, sur commande, des 4X4 blindés et des véhicules anti-émeute, par son homologue Recep Tayyip Erdoğan, qui dirige la Turquie d’une main de fer et est réputé être très dur avec son opposition. La répression tous azimuts, pour conserver le pouvoir par tous les moyens, voilà le dessein sombre que le président Macky Sall a pour le pays. Un défi que tout le peuple sénégalais se doit de relever en se tenant debout comme un seul homme pour faire face et, tel un rouleau compresseur, balayer proprement ce régime qui n’a que trop duré. Certes, sept années (temps du 1er mandat) ne signifient pas grand-chose à l’échelle de l’histoire d’un pays, mais au regard de toutes les misères que Macky Sall, son clan et sa clique font vivre aux Sénégalais, 7 ans c’est presque une éternité.
Pape SAMB