CONTRIBUTION
« Prévenir la trahison, débusquer le faux ami, le jaloux parent, le traître avant qu’il inocule son venin est une opération aussi complexe que de nettoyer l’anus d’une hyène ». Ahmadou Kourouma
«Dans les prochains jours, je déclarerai solennellement ma candidature après avoir consulté mes frères de parti ainsi que toutes les personnes et organisations qui voudront bien m’apporter leur soutien». C’est en ces termes que l’avocat de Karim Wade (candidat du Pds aux élections de 2019) a annoncé sa décision de se présenter à ces mêmes élections. Il faut dire que cette déclaration pose problème aussi bien dans la forme que dans le fond. Dans la forme, une candidature aussi spontanée et déclarée au terme d’un si long louvoiement, met en exergue une démarche d’une sournoise incompatibilité avec la légitimité que requiert une candidature sérieuse à des élections présidentielles. Sur le fond, cette candidature soulève plusieurs questions relatives à la légitimité, à la loyauté et en fin de compte à la cohérence.
Première question : Comment, en effet, un militant peut-il prétendre se présenter comme alternative à la candidature hypothétique de celui qui est choisi par le parti sans avoir l’aval de celui-ci ? Cette procédure presque libertaire de se présenter au nom d’un parti comme candidat de substitution consacrerait, à coup sûr, la mort de ce parti. Car les militants les plus légitimes tant du point de vue de l’ancienneté que dans celui de la représentativité contesteraient avec raison cette candidature autoproclamée. Combien de présidentiables y a-t-il au Pds ? Que deviendrait ce parti si chaque militant pouvait, de manière spontanée, proclamer sa candidature comme substitution à celle de Karim Wade ?
Deuxième question : Quel impact cette candidature aura-t-elle sur la bataille politique que le Pds et ses alliés mènent contre le régime en place ? Il n’y a pas l’ombre d’un doute que la candidature de Madické Niang est plus dangereuse contre Karim Wade que contre Macky Sall. C’est une candidature dont le premier impact est d’asseoir dans la conscience collective que la candidature de Karim est caduque, invalide, puisqu’elle ne peut plus être portée par son propre avocat et frère de parti. Le fait que l’avocat de Karim Wade (sur l’affaire de la traque des biens mal acquis au terme de laquelle il a été condamné et radié par le ministre de l’Intérieur des listes électorales) déclare sa candidature est un véritable coup de poignard dans le dos du Pds. Les adversaires du Pds ont désormais un argument sous forme d’«élément standardisé de langage» pour ancrer dans l’opinion l’irréfutabilité et l’irrévocabilité de l’invalidation de la candidature de Karim Wade. En déclarant la sienne, l’avocat de Karim vient d’entériner la décision politique du régime de liquider un concurrent. Madické sait bien que les militants originels du Pds ne voteront pas pour lui, mais au moins il aidera à affaiblir le Pds dans la bataille de l’opinion. Sous ce rapport précis, il rend un grand service au pouvoir. Dans une démocratie d’opinion, les décisions politiques ont comme pyromètre l’adhésion ou non de l’opinion. Et Madické sait très bien qu’en Afrique, justice et politique sont dans un voisinage que seule l’opinion peut démêler lorsqu’elle réussit à instaurer un rapport de force. Bien souvent, le rapport de force politique fait infléchir les juges : le syndrome Paul Yao N’dré est une véritable endémie en Afrique. En déclarant sa candidature comme substitution à celle de Karim Wade, Madické a abdiqué et déposé les armes devant son adversaire. Le régime ne pouvait pas espérer mieux pour qui connait la longévité et la complexité des relations entre Wade et Madické Niang.
Troisième question : Que ferait Madické Niang si les instances régulières du Pds rejetaient sa candidature ? Il dit qu’il déclarera sa candidature après avoir consulté ses frères de parti : ce serait intéressant qu’il dise aux Sénégalais quels seront le cadre, la forme et la valeur de cette consultation. La question de la légitimité de la candidature de Madické Niang est à la fois morale et politique. Le fait qu’il (lui, l’avocat de Karim Wade) parle de la possibilité de l’invalidation de la candidature de Karim est quand même l’aveu d’une défaite programmée et peut-être même planifiée. Rien ne pourrait empêcher quelqu’un de penser que l’avocat de Karim était, durant tout le procès, un agent double. On peut logiquement penser qu’en tant qu’avocat, Madické a tiré profit de la débâcle judiciaire de son client. Au meilleur des cas, Madické a commis un délit d’initié. Sa candidature est un acte prolixe : dans le cas d’espèce, FAIRE c’est DIRE, c’est même donner un VERDICT. Qu’on ne vienne pas nous opposer l’argument du serment, car l’acte de candidature est en lui-même une forme de parjure !
Quatrième question : Le réalisme politique peut-il opérer de façon efficiente dans l’incohérence et l’inconstance ? Madické a juré qu’il ne trahirait jamais Wade, mais à moins de parler de trahison de secret professionnel, il a fait un double parjure. Ceux qui trahissent un secret professionnel le font généralement par une série de suggestions orales ou d’actes suggestifs. Or cet acte est une véritable suggestion : les carottes sont définitivement cuites pour Karim. Le plus gênant, c’est que Madické a évoqué le fait que Wade soit son condisciple comme gage de sa fidélité. En plus du danger que représente le fait de convoquer l’appartenance confrérique dans les affaires politiques et judiciaires, cette référence à Cheikh Ahmadou Bamba dans ces luttes politiciennes est vraiment déplacée. La politique n’est pas la morale, mais elle requiert un minimum d’éthique : sinon la notion de légitimité elle-même se viderait de son sens et aucune valeur ne pourrait réguler les joutes politiques. Il y a double parjure : d’abord parce que le Pds et Wade n’ont jamais agréé la candidature de substitution, ensuite parce qu’après avoir évoqué le nom de Serigne Touba pour gager de sa fidélité à Wade, le voici proclamer sa candidature contre celle du camp de Wade.
Les Sénégalais sont dégoutés par la politique et cela risque d’empirer, car la justice et la politique se pratiquent à leur insu et contre eux. Pourquoi la machine de la Crei n’a jamais examiné les dossiers des autres dignitaires de l’ancien régime ? Quel rapport y a-t-il entre cette posture inconfortable de Madické Niang et la suspension des poursuites annoncées par l’ancien procureur spécial et qui dorment encore sous un certain coude ?
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal