Seize ans que le bateau Le Joola a sombré au large de la Gambie, emportant avec lui près de deux mille personnes, voilà ce qu’il en reste : À Dakar et à Paris, les juges ont classé l’affaire sans suite. Et toutes leurs décisions, devenues définitives, sont insusceptibles de recours. Rebelote sur un dossier enterré.
Ce mercredi 26 septembre 2018 marque le 16e anniversaire du naufrage du bateau Le Joola. Un prétexte saisi par WalfQutidien pour faire le point sur la situation judiciaire du dossier. En effet, la décision de non-lieu rendue par la Chambre d’accusation de Paris, le 16 juin 2017, a été le dernier acte judiciaire posé dans le dossier Le Joola. Une décision survenue après que les juges d’instruction d’Evry ont suivi l’avis du parquet, en raison des «dispositions internationales qui les empêchent d’engager des poursuites en France». En fait, la Cour d’Appel de Paris n’a fait que confirmer l’ordonnance de non-lieu rendue le 16 octobre 2014 par les juges d’Instruction d’Evry (en banlieue parisienne), au profit des personnalités sénégalaises visées par le mandat d’arrêt international. Conséquences : les sept personnalités sénégalaises ciblées sont, désormais, exempts de toute poursuite, car blanchis en dernier ressort. Mais cette décision a aussi sonné la fin d’un long épilogue qui aura duré plus d’une décennie.
Au départ, sept personnalités ont été visées par le mandat d’arrêt international, à savoir : l’ancien Premier ministre Mame Madior Boye et Youba Sambou, ex-ministre des Forces armées. L’ex-chef du Bureau de la sécurité maritime Gomis Diédhiou ; le Général de Division Babacar Gaye ; le Capitaine de Vaisseau Ousseynou Kombo ; le Capitaine de Frégate Mody Singuine ; le Colonel Meissa Tamba ; le ministre Youssouf Sakho et Abdoul Hamid Diop. Mais ils seront libres de circuler, suite à l’annulation desdits mandats, par la Cour de cassation de Paris, en janvier 2010.
Tous les 9 mandats d’arrêt annulés
Survenu dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002, au large de la Gambie, ce naufrage qui avait fait plus de 1 800 morts. Chez nous, la justice sénégalaise avait classé le dossier en 2003, en concluant à la seule responsabilité du commandant de bord. Ce fut une contradiction car l’Etat avait, auparavant, infligé des sanctions administratives aux auteurs désignés. Mais le classement sans suite n’avait pas entrainé la réhabilitation de ces personnes. De plus, toutes les violations à l’origine des sanctions administratives par l’autorité n’ont jamais conduit à un procès, à savoir : «lenteur des secours», «non déclenchement de l’alerte Sar», «dépassement du nombre de billets», entre autres. Comme sanction disciplinaire, l’ex-directeur de la Marine marchande, Abdoul Hamid Diop, a été traduit en Conseil de discipline, pour sa responsabilité dans les manquements relevés par le rapport d’enquête, notamment la délivrance du permis de navigation.
Pour la tutelle, «la Marine marchande a pour obligation légale la faculté d’empêcher tout départ en cas d’insécurité». Six autres militaires impliqués ont aussi été relevés de leurs fonctions, à savoir : les Chefs d’Etat-major de la Marine, le capitaine de vaisseau Ousseynou Kombo (qui sera réhabilité), et de l’Armée de l’Air, le colonel Meïssa Tamba. Les marins de permanence, durant la nuit du naufrage au centre radio n’ont pas échappé à la grande purge opérée dans les Armées sénégalaises. L’officier Cheikh Omar Sagna a été puni de 45 jours d’arrêts de rigueur, plus un avertissement pour «absence de contrôles inopinés de ses subordonnés entre 22h et 7h 25 du matin». Quant à lui, l’opérateur radio de service, François Mbaye, sera traduit en Conseil d’enquête, en vue de sa radiation.
Pourquoi la France et le Sénégal ont classé le dossier
La responsabilité administrative du commandant de la base navale d’Elinkine et de l’escale de Carabane a également été établie, pour avoir «contribué à la surcharge du bateau en autorisant la vente de nouveaux billets et l’embarquement de fret et de passagers à Carabane, malgré le constat de surcharge». Curieusement, la Marine marchande a payé à la place des responsables du ministère du Transport, sauf pour le ministre Youssouph Sakho. Il a démissionné puis réhabilité et nommé patron du Comité des transporteurs sénégalais. «Le ministère des Transports chargé de la Marine marchande n’avait pas exécuté son obligation légale d’interdire Le Joola d’appareiller, malgré sa connaissance de la surcharge et de l’insécurité à bord du bateau, et malgré l’absence des principaux documents de sécurité en cours de validité», soutient-on. Lorsque la justice sénégalaise s’en est ainsi lavée les mains, les victimes se retournèrent vers celle française. Il s’en est alors suivi l’ouverture d’une information judiciaire, devant le tribunal d’Evry. Pourtant, dès les premières heures de cette procédure, le juge d’instruction du tribunal d’Evry avait assuré aux familles des victimes françaises qui ont porté plainte qu’il ne se «sent pas lié par le classement sans suite du dossier pénal décidé par la Cour d’appel de Dakar». Mais rien.
Pape NDIAYE