CONTRIBUTION
Le Sénégal a connu entre 2014 et 2016 une série de découvertes des ressources pétrolières et gazières au large de ses côtes. Au-delà des passions suscitées par cette question, il est particulièrement important de se projeter sur les conséquences aussi réjouissantes que dangereuses qui peuvent en résulter. En effet, les rapports entre les hydrocarbures et la santé sont empreintes d’une réelle complexité et s’analysent en deux facettes. D’une part, on peut admettre que ces ressources peuvent profiter à la santé par le prisme du développement économique et social et donc du bien-être qu’elles peuvent engendrer. La notion de bien-être étant un élément de définition caractéristique de la santé aux yeux de l’Oms, qui considère la santé «comme un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence d’infirmité ou de maladie». D’autre part, l’on ne peut manquer de souligner les nombreux risques qui s’attachent à l’exploitation de ces ressources sur la santé publique.
Aux termes d’une étude réalisée en 2012 par l’Institut national de santé publique du Québec, les populations, surtout vivant à proximité des sites, s’exposent à des émanations de produits toxiques provenant non seulement du pétrole, mais aussi de dispersants utilisés et de contaminants résultant des incendies ou des accidents (naufrages de navires, problèmes de plateformes de forage, déversements à la suite de ruptures d’oléoducs, déraillements de wagons de chemin de fer). La pollution des eaux, des sols et de l’air expose les populations à des maladies qui peuvent être dangereuses. Il a été souligné que la contamination de l’eau suite à un déversement de pétrole peut être à l’origine de complications cliniques dont des céphalées, des irritations de la peau, des muqueuses et des yeux ainsi que divers problèmes respiratoires. De même, on a fait constater que les poussières et les particules de sols contaminés, portées par le vent, peuvent représenter un réel danger pour les populations avoisinantes, que ce soit par inhalation ou par ingestion des particules emportées ou encore par contact cutané avec ces dernières.
Les études ayant trait aux effets des polluants de l’air sur la santé montrent également que les expositions de courte et de longue durée à ces polluants peuvent entraîner des effets sanitaires néfastes, notamment des effets cardiorespiratoires. C’est le cas du rapport de 2013 du Centre international de recherche sur le cancer de l’Oms qui estime à 3,7 millions le nombre de décès prématurés provoqués dans le monde par la pollution ambiante (de l’air extérieur) dans les zones urbaines et rurales en 2012. Cette mortalité est due à l’exposition aux particules d’un diamètre de 10 microns ou moins (PM10), qui provoquent des maladies cardiovasculaires et respiratoires, et des cancers. Un lien de causalité a également été établi entre la pollution atmosphérique et l’augmentation du nombre de cancers des voies urinaires/de la vessie (Oms, 2014). En 2016, on estimait à 4,2 millions le nombre de décès prématurés provoqués dans le monde par la pollution ambiante (de l’air extérieur) dans les zones urbaines, périurbaines et rurales.
Un tour d’horizon dans certains Etats pétroliers peut confirmer ce constat. En République démocratique du Congo, dans la région de Moanda, un fléau sanitaire lié à la maladie des yeux avait envahi les populations voisines entre 2009 et 2012, dont les causes seraient rattachées aux activités de l’industrie pétrolière Perenco. Dans le même sens, selon un article paru dans le journal Le Monde Afrique du 23 novembre 2017, les fuites de pétrole causeraient la mort de 16 000 nourrissons par an au Nigéria. Une situation qui serait liée à la pollution de l’eau et des poissons suite aux rejets des puits de pétrole. Dans le bassin d’Alberta au Canada, presque 1 000 000 de litres de pétrole sont extraits des sables. Le sable est chauffé à la vapeur avec de nombreux solvants qui, une fois utilisés, sont jetés dans des «piscines» qui se transforment en lacs toxiques qui expliquent une augmentation des maladies cardiaques dans la région.
En définitive, par analogie à un adage populaire, on peut affirmer que tout ce que les hydrocarbures peuvent donner à la santé par la main droite, elles le récupèrent par la main gauche. Tels sont ainsi les nombreux risques sanitaires auxquels sont exposées les populations sénégalaises à l’épreuve de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, qui commandent un encadrement rigoureux des compagnies en place. Il appartient à l’Etat du Sénégal de prendre des mesures juridiques et techniques nécessaires afin que les avantages de ces ressources puissent largement dominer les inconvénients. En tant que garant de la protection de la santé publique, en vertu de l’article 17 de la Constitution, l’Etat doit veiller à l’application rigoureuse de l’article 51 de la loi n°98-05 du 8 janvier 1998, portant code pétrolier. En effet, ce dernier article impose aux exploitants d’«assurer la conservation des ressources nationales et à protéger l’environnement. A cette fin, les entreprises doivent mener leurs travaux à l’aide de techniques confirmées de l’industrie pétrolière et prendre les mesures nécessaires à la prévention et à la lutte contre la pollution de l’environnement, aux traitements des déchets et à la préservation du patrimoine floristique et faunique ainsi que des eaux du sol et du sous-sol».
On peut cependant regretter le silence dudit code sur la nécessaire protection de la santé en laissant sous-entendre cet aspect à travers la question environnementale. Bien qu’étroitement liée à l’environnement, la protection de la santé est d’une importance telle qu’elle mérite un traitement différencié qui ferait ressortir ses véritables enjeux dans l’exploitation des hydrocarbures. Au-delà des obligations légales, les exploitants doivent s’investir davantage dans le domaine de la santé au nom de leur responsabilité sociale pour participer au financement des programmes de lutte contre les maladies chroniques à soins couteux. Les populations, de leur côté, doivent s’approprier cette problématique et s’organiser en associations pour mieux défendre leurs intérêts en parfaite collaboration avec les Ong. Tous ces efforts conjugués peuvent tendre à la réalisation du juste équilibre entre le nécessaire développement économique et la protection de la santé publique. Un équilibre particulièrement voulu par l’Oms qui invite sans cesse les Etats membres à respecter les lignes directrices relatives à la qualité de l’air et les seuils de pollution à ne pas dépasser pour ne pas nuire à la santé publique.
Tapsirou Bocar BA
Docteur en droit public à l’Université de Bordeaux
Spécialisé en droit de la santé
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