CONTRIBUTION
Que retient-on de cette campagne russe de nos chers Lions ? La brume de l’élimination se dissipant peu à peu, je partage ci-après ma tentative d‘analyse.
C’est un sentiment mitigé qui m’habite, un mélange de déception et d’espoir. Bien qu’éliminés dès le 1er tour, nous n’avons pas été ridicules. L‘ espoir est permis car nous avons vu une nette amélioration du niveau de jeu. Mais joueurs et staff technique peuvent mieux faire.
Les joueurs
Comme bonnes surprises, on peut noter la performance de haut niveau de Sabaly (dont la sortie sur blessure lors de Sénégal-Colombie explique en partie notre défaite), la présence de Sané (qui doit encore parfaire sa communication avec son gardien et son partenaire en défense centrale), l’activité d’Alfred Ndiaye face à la Pologne, l‘implication de Niang (notemment quand il évolue sur le côté) et l’apport offensif de Wagué (qu’il faut couvrir lors de ses innombrables montées). A cette liste, on peut ajouter le sérieux de Koulibaly. Contrairement aux joueurs susmentionnés, certains Lions (tels que Khadim, Mané, Sarr et Pape Alioune) censés porter l’équipe n’ont pas été à la hauteur de nos attentes.
Khadim Ndiaye: Je ne vais pas tirer sur le vieux soldat Khadim, car il nous a rendu de sacrés services lors des éliminatoires (Ouagadougou, Praia, Polokwane). Mais en terre russe, il a souvent été absent, que ce soit en tant que dernier rempart ou en tant que commandant en chef de sa défense. Le second but japonais résume sa coupe du monde ratée: très mauvais dégagement du ballon (directement sur un japonais), sortie plus que hasardeuse sur le centre nippon qui suit alors que Sané va au duel aérien.
Mané: En club ou sous les couleurs nationales, Sadio est un sacré client pour les défenses adverses. En effet, sa vivacité, son jeu porté vers l’avant, sa qualité de passes et sa bonne conduite de balle finissent toujours par user les adversaires. En terre russe, toutes ces qualités l’ont trahi. On peut citer deux actions pour illustrer le manque de réussite de notre n°10. -1er exemple: l’action ayant mené au penalty litigieux lors du 3e match: avec un Mané à son niveau, il n’y aurait jamais eu de polémique. Il avait suffisamment d’avance sur le défenseur pour bien contrôler le ballon et frapper au but.
-2e exemple: cette très bonne situation de contre à la 86e ou 87e minute: Wagué prend le boulevard à gauche lorsque Mané reçoit le ballon au milieu. Ayant au moins 5 mètres d’avance sur le plus proche colombien, le Sadio des grands jours aurait, soit accéléré, soit fait une passe rapide à gauche en direction du latéral. Malheureusement, il s’est fait rattraper car ayant choisi de garder le ballon tout en ralentissant sa course.
Bref, durant ce mondial, on a vu un Mané hors de forme et lessivé. Est-ce la conséquence de la très longue et harassante saison de Liverpool?
Pape Alioune Ndiaye: Des cinq milieux c’est le plus technique et aussi le plus offensif. On s’attendait donc à ce qu’il fournisse de bons ballons à nos attaquants. Ce qui ne serait aucunement une nouveauté pour lui. Il a en effet joué ce rôle en Turquie (Osmanlispor, Galatasaray), où il récupérait énormément de ballons au milieu et se projetait très vite en avant. Ce style de jeu lui a permis d’être à l’origine de plusieurs buts. Mais où est donc passé ce Badou décisif?
Ismaila Sarr : Avec son audace et sa vitesse, ce jeune homme a un avenir prometteur. Encore faudrait-il qu‘il exploite au mieux ces deux qualités. Il a largement facilité la tâche aux défenses adverses en jouant de façon très prévisible: récupération de ballon, accélération sur 30 ou 40 mètres le long de la ligne de touche. Cela finit toujours par un mauvais centre, une sortie de but ou une perte de balle. Par ailleurs, ces longues courses lui ont bouffé tellement d’énergie qu’il a perdu toute sa lucidité lorsqu’il avait des situations intéressantes dans la surface adverse.
Je suis certain que ses coachs en clubs mais aussi dans la tanière vont l’aider à aller de l’avant. Les courses sur les ailes sont une arme très importante lorsqu’elles sont nécessaires. En attendant, j’inviterais Sarr à visionner des matches de Henri Camara afin de s’en inspirer. Camara aussi allait très vite sur le côté mais faisait des courses nécessaires et intelligentes en utilisant ses coéquipiers comme relais.
Ces quatre joueurs (Khadim, Mané, Badou, Sarr) ne sont pas les seuls à avoir été en deçà de ce qu’ils peuvent produire. En effet, on pourrait dire que nous avons été éliminés car notre attaque fut souvent brouillonne et notre défense manqua par moment de concentration.
De façon générale, que nous a-t-il manqué?
En guise de réponse à cette question, je dresse une liste de 5 facteurs: un grand gardien, un spécialiste de balles arrêtées, un meneur de jeu, un avant-centre efficace et le leadership de Kara Mbodji.
1- Un gardien qui assure et qui rassure ses coéquipiers: L‘adage: „Point de grand tournoi sans grand gardien“ s’applique parfaitement au Sénégal (Tony Sylva en 2002 et pour les U20: Ibou Sy en 2015 et Mohamed Mbaye en 2017).
Pour la Can 2019 (qualifications et phase finale), le poste de gardien n°1 reste donc plus que jamais ouvert. C’est regrettable que Diallo ait perdu sa place de titulaire à Rennes suite à sa blessure. Alors compétitif et en prêt en Turquie, il avait disputé 3 matches lors de la CAN 2017 sans encaisser le moindre but, exception faite de la séance de tirs au but face aux Camerounais. On se rappelle de son calme et de sa sérénité lors de cette compétition. Diallo a donc intérêt à retrouver du temps de jeu, quitte à partir en prêt. C’est également le cas pour Alfred Gomis, que j’avais trouvé intéressant face à l’Afrique du Sud. Alfred avait démarré la saison en tant que titulaire avant de perdre la place de n°1 qu’il retrouva en fin de saison suite à la blessure de son concurrent.
2- Un spécialiste de coups de pied arrêtés: Tout d’abord, un constat s’impose: sur les 5 dernières années, nous bénéficions en moyenne de 6 «bons coups francs» par match. Grâce à Kouli Diop, Pape Souaré, Henri Saivet et Keita Baldé, ces balles arrêtées ont souvent aidé à débloquer des situations bien compliquées. Je pense que notre staff technique a sous-estimé l’importance de ces balles arrêtées. En effet, Diop ayant pris sa retraite, Souaré n’étant pas encore prêt suite à son grave accident de la circulation, nous nous sommes privés de Saivet tandis que Keita Baldé est resté sur le banc pendant les 2 premiers matches.
Mondial 2018 : Quels enseignements ?
3– Un meneur de jeu qui se projette vite en avant: Ce n’est point une nouveauté, cela fait des années que nous l’attendons. Encore une fois, notre couteau suisse (Henri Saivet, homme à tout faire) aurait pu dépanner à ce poste. En décidant de se passer de Saivet, le staff aurait pu tenter le coup avec Santy Ngom. A ce poste aucun autre Lion n’a été aussi convaincant que le Nantais, même s’il n’a disputé qu’une seule rencontre amicale.
4- Un avant-centre efficace: Nous avons vu 3 de nos „n°9“ pour un bilan alarmant: aucun but, aucune occasion de but, aucune déviation intéressante. D’ailleurs, le fait que le coach opte pour Niang en pointe est un désaveu adressé aux 4 attaquants de pointe restés sur le banc. Mais Coach Cissé ne peut blamer personne d’autre puisque c’est lui qui a établi la liste des 23. On ne va pas refaire le monde mais je reste convaincu qu’un Demba Ba aurait pu nous aider (même si on ne lui donnait que 20 à 30 minutes par match).
5- Le leadership de Kara Mbodji: Quel dommage qu’il soit resté 5 mois sans compétition! Il est le vrai patron de notre défense et l’un des leaders de cette équipe.
Pris individuellement, Sané et Koulibaly ont fait le job. Toutefois, la complicité entre ces deux centraux n’était pas à la hauteur de ce que le duo Kara-Koulibaly a montré. Par moments, on a constaté un manque de communication entre Khadim, Sané et Koulibaly. Ce qui a donné des moments d’errance qui ont coûté cher, notemment face au Japon. Par ailleurs, qu’il s’agisse de défendre ou d’attaquer, Kara est le meilleur Sénégalais dans les airs. J’espérais le voir lors du 3e match dans un système 4-1-4-1 avec Sané en sentinelle devant la défense. Voila une possible piste que notre staff technique pourrait explorer en vue des rencontres à haute intensité.
Quid du staff technique ?
Tout d’abord, il faut reconnaître que les Lions ont fait des progrès sous la houlette de Coach Cissé: ils sont retournés en coupe du monde après avoir de nouveau atteint le 2e tour de la CAN. De la CAN à la coupe du monde, on a également noté une nette amélioration du contenu et de l’approche des matches. Ce n’est pas suffisant mais c’est un bon début après notre longue traversée du désert. Si l’objectif n’a pas été atteint, c’est qu’il y a bien des rectificatifs à faire.
– Une liste des 23 plus équilibrée: On a eu l’impression que tous les 5 milieux sélectionnés avaient le même profil: des bagarreurs capables de récupérer beaucoup de ballons mais qui en font rarement bon usage. En lieu et place du 4e avant-centre, il aurait fallu un meneur. De toute façon, peu d’équipes font appel à autant de „n°9“.
– La gestion des changements: A mon avis, Sadio Mané et Mbaye Niang n’avaient pas plus de 75 minutes dans les jambes. C’est un Mané très fatigué qui a débarqué en Russie. Quant à Niang, son activité débordante lui pompe toute son énergie. Nous aurions donc dû mieux gérer ces deux joueurs importants.
– Mbaye Niang en pointe, quel gâchis! Nous avons déstabilisé la Pologne grâce à son activité sur les côtés. Ce joueur aime partir de loin et le placer au sommet de la chaîne offensive réduit considérablement nos chances de succès.
– Coups francs vendangés: On s’est souvent permis de petites combinaisons ou des passes latérales alors que nos „géants“ attendaient dans la surface adverse. Le staff aurait dû rappeler à l’ordre les joueurs concernés.
Je suis certain que Coach Cissé et son staff feront leur autocritique et rectifieront très vite le tir car les affaires reprennent dès le mois septembre.
A.T. DIALLO