CONTRIBUTION
C’est une honte que l’Italie ait interdit à ce bateau, l’Aquarius qui venait de recueillir près de 700 Africains naufragés qui tentaient de joindre l’Europe d’accoster dans ses ports
C’est une honte pour l’Europe et pour l’Union Européenne. C’est une honte pour l’Afrique surtout. On a condamné les passagers de l’Aquarius dont des femmes enceintes et des enfants à bas âge, à une terrible odyssée à travers la Méditerranée pendant 9 jours avant que l’Espagne ne les accueille enfin.
C’est là non seulement une violation du droit international, de la Déclaration de New York pour les Réfugiés et les Migrants et de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer notamment, mais aussi un déni du devoir d’assistance à personne en danger. C’est aussi une atteinte à ces fondements de la civilisation dont l’Europe s’est fait le héraut pendant des siècles : la compassion, le respect et la protection de la vie humaine. On aurait pensé que de tous les pays du monde, l’Italie serait le plus compréhensif et le plus tolérant face à l’émigration, qu’elle provienne d’Afrique, du Moyen Orient ou d’ailleurs.
C’est qu’en la matière, ce pays détient le record mondial : des années 1880 à 1914, en trente-cinq ans, pas moins de 13 millions d’Italiens ont migré vers différents pays du monde. Pas moins de 4 millions vers les seuls Etats Unis. Et aussi vers l’Amérique Latine, l’Argentine et le Brésil et même vers l’Algérie. Les Italiens émigraient pour les mêmes raisons qui poussent aujourd’hui les Africains et les Arabes du Moyen Orient à l’exode vers l’Europe.
La misère crée par le chômage de masse, les bas salaires, la dégradation de l’agriculture traditionnelle et l’oppression politique et sociale. Mais les Etats comme les hommes ont la mémoire sélective.
On ne retient de l’histoire ce dont on veut bien se souvenir. Comme disait Birago Diop, « quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plait ». Ainsi 65% des Italiens estiment aujourd’hui « qu’il y’a trop d’émigrés puisque que leur pays a recueilli 630 000 migrants depuis 2014 et 50% d’entre eux souhaitent la fermeture des frontières
Aussi le « contrat de gouvernement » conclu par la coalition entre le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue plébiscité par les électeurs italiens lors des élections législatives le 5 mars dernier avait annoncé clairement la couleur déjà pendant la campagne électorale. Non seulement il ne serait plus permis à un bateau transportant des émigrés d’accoster dans un port italien, mais l’ensemble 600 000 émigrés entrés dans le pays à partir de 2014 serait expulsé.
C’est en réalité la même chose partout ailleurs en Europe, de l’Angleterre à l’Allemagne, de la Hongrie à la France : les citoyens sont conditionnés contre les migrants et les politiques les plus répressives en la matière sont plébiscitées. D’ailleurs la République de Malte aussi a interdit à l’Aquarius d’accoster dans ses ports. La France a fait semblant de n’avoir pas entendu ses appels de détresse
On est arrivé là parce qu’au cours des trente dernières années, dans tous ces pays une race de politiciens médiocres et opportunistes est arrivée au pouvoir avec la connivence de médias dévoués et manipule les angoisses des citoyens désemparés face à la mondialisation et au chômage. On a ainsi fait de l’émigration la source de tous les malheurs des citoyens européens et fait de l’émigré un bouc émissaire.
L’Union Européenne, représentant de 28 Etats, qui aurait dû incarner la conscience morale de l’Europe, a au contraire cédé face à la xénophobie, à la tentation du repli identitaire et au mirage du « containment ». De traités en conventions, d’année en année, elle a pris en compte, de plus en plus, les vieux mythes racistes de « seuil de tolérance », de « résistance culturelle » et l’objectif « d’immigration zéro ».
Elle a voulu devoir édifier l’Europe en une forteresse inaccessible et après avoir détruit l’Etat de Libye, elle a pactisé avec des chefs de guerre à qui elle a sous-traité la mission de contenir l’émigration vers l’Europe, à tout prix.
On sait ce qui s’en est suivi : les marchés d’esclaves comme du temps d’avant les colonies, les viols et les atteintes quotidiennes de toutes sortes aux droits de l’homme. L’Europe a ainsi depuis lors perdu son honneur en foulant aux pieds ses propres valeurs fondatrices.
Elle aurait pourtant pu, à défaut de mettre en avant des valeurs morales, faire comprendre aux Etats et aux peuples, que la mondialisation de l’économie et de la culture étant irréversible, il était de l’intérêt bien compris de l’Europe de rester ouverte à l’Afrique comme au reste du monde.
Elle aurait pu rappeler aussi que la richesse et la sécurité que les jeunes Africains viennent chercher ont été acquis par les Européens en grande partie par la mise en esclavage des Africains et par l’exploitation des richesses du continent pendant des siècles. Mais il suffit de dénoncer l’iniquité et le racisme de l’Europe.
Ce qu’il faut dénoncer surtout et que la tragédie de l’Aquarius démontre encore une fois, c’est l’irresponsabilité des hommes et des castes qui dirigent les 54 pays du continent et qui tiennent l’Union Africaine. Chacun l’aura remarqué : pas un n’a à ce jour élevé la voix ne serait-ce que pour s’émouvoir de ce dernier drame qui affecte des centaines de jeunes africains. C’est qu’ils sont directement en cause.
Face au désespoir de la jeunesse africaine, accablée par le chômage de masse, la violence, l’insécurité et préoccupée par la survie de leurs familles, ces chefs d’état, quand ils n’ont pas recours à la répression, ne proposent que des vœux pieux et la promesse d’une « émergence » qui serait financée grâce à la bienveillance « des partenaires du développement ».
On ne l’a pas assez dit, ces chefs d’Etat souvent faillis, ces politiciens corrompus pour la plupart, qui sont incapables de réagir même quand « les événements leur tombent sur la tête comme des tuiles », comme disait Cheikh Anta Diop, sont les véritables responsables de l’exode des jeunes Africains comme de tous les maux qui gangrènent l’Afrique aujourd’hui.
Alymana BATHILY