CONTRIBUTION
Un taux de croissance de 7,1 %, avait pavoisé le gouvernement. Le démenti officiel vient de tomber. Un rapport 2018 de la Banque mondiale sur le Sénégal, publié sur son site internet, nous prévient qu’«un taux de croissance supérieur à 7 % reste un objectif à atteindre dans les prochaines années» et qu’il risque d’être compromis «par les pressions budgétaires et externes». Voilà donc une controverse nettement tranchée.
En vérité, même les chiffres de croissance supérieurs à 6 %, annoncés par le gouvernement pour 2016 et 2017, sont sujets à caution, pour ne pas dire frauduleux. Car il s’agit d’estimations et de prévisions. Or, le taux de croissance d’une année doit être définitivement calculé et publié dans un délai d’un an. En 2018, le taux de croissance de 2016 aurait dû être définitif et non estimé. Depuis 2014, le gouvernement ne publie que des estimations. On devine aisément pourquoi : les taux réels sont probablement inférieurs aux 4,8 % de 2014.
Cette conclusion est plus nette encore quand on s’intéresse à l’évolution du Pib tel qu’elle figure dans le même rapport de la Banque mondiale (montants en milliards de dollars courants) :
– 2000 : 4,68
– 2012 : 14,22
– 2014 : 14,68
Il apparaît ainsi nettement que, si la gestion Wade a plus que doublé la richesse du Sénégal, la gestion Sall peine à maintenir le niveau atteint en 2012, s’il ne nous a pas appauvri depuis lors. Il serait naïf d’expliquer cette contre-performance par le seul facteur de l’incompétence des gestionnaires de nos finances. En vérité, l’économie sénégalaise n’est pas seulement mal gérée. Elle subit une véritable saignée ces dernières années. Comme si des circuits de dérivation sont installés un peu partout pour orienter le fruit de notre travail ailleurs que vers la satisfaction de nos besoins prioritaires.
Dans la foulée d’une manipulation politico-médiatique digne d’être enseignée dans les écoles de guerre, des mains étranges semblent avoir pris le contrôle des leviers de commande de notre économie. Des mains se souciant du sauvetage d’Alsthom plutôt que de celui de JLS. D’offrir des contrats juteux à quelques jeunes cadres venus d’ailleurs, arrogants et pédants, au lieu de résorber le chômage et le sous-emploi des jeunes cadres sénégalais. En somme de déshabiller Modou Diop pour habiller Pierre Dupont.
Quand nos investisseurs protestent contre les risques de faillite de nos potentiels champions nationaux du fait de l’accumulation de la dette intérieure qui avoisine les 1 000 milliards de francs Cfa, combien de milliards le Trésor public dépense-t-il dans le cadre du Ter, un projet incohérent dont la perversité tutoie la cruauté ? Combien de milliards pour l’achat des avions d’Air Sénégal International, alors qu’une grave pénurie de médicaments est annoncée comme conséquence du non paiement d’une dette de 17 milliards de la Pharmacie nationale d’approvisionnement ? Combien pour ces nuées d'”experts” qui affluent comme des criquets, quand le non-paiement des bourses étudiantes fait un mort et plusieurs blessés graves ?
Ces atteintes répétées contre nos finances asséchées ont engendré des effets psychologiques que certains analysent bizarrement comme l’émergence d’un “sentiment anti-français”. Au vrai, personne n’est “anti-français”, car nous sommes tous, à des degrés divers, remplis d’une part d’âme française. Personne ne rejette non plus un partenariat intelligent avec la France et l’Europe, mais à condition qu’il s’agisse d’un partenariat gagnant-gagnant, à la place de ces jeux à somme nulle qui nous noient dans la pauvreté depuis si longtemps.
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal