L’industriel est actuellement entendu avec deux autres dirigeants de son groupe dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre.
C’est une véritable bombe judiciaire. Comme l’avait annoncé Challenges, Vincent Bolloré est entendu aujourd’hui par les juges parisiens Serge Tournaire et Aude Buresi et a même été placé en garde à vue, comme vient de l’annoncer Le Monde. Selon nos informations, le directeur général du groupe, Gilles Alix, et Jean-Philippe Dorent, le responsable du pôle international de Havas sont également en garde à vue. Les dirigeants sont auditionnés dans les locaux de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), à Nanterre. Ces juges, habitués des grandes enquêtes politico-financières, soupçonnent son groupe d’avoir financé la campagne électorale de dirigeants africains qui, par la suite, lui ont accordé des concessions portuaires. Deux pays sont dans le collimateur: la Guinée d’Alpha Condé et le Togo de Faure Gnassingbé, qui ont tous les deux bénéficié des conseils de l’agence Havas durant leurs campagnes en 2010.
Après avoir saisi de nombreuses pièces comptables, lors de leurs perquisitions chez Havas, en 2014 et 2015, puis au siège de Bolloré, à Puteaux, en avril 2016, les enquêteurs ont acquis la conviction que des dépenses électorales des deux présidents ont été prises en charge par le groupe Bolloré. Ils ont notamment récupéré des factures adressées par Havas à Bolloré Africa Logistics pour de prétendues prestations de communication en Guinée. Des factures, payées par BAL, qui correspondraient en fait à des prestations destinées à la campagne d’Alpha Condé. Le risque judiciaire pour les dirigeants du groupe est à prendre au sérieux, avec des qualifications pénales potentiellement lourdes: abus de bien social et trafic d’influence. “En Guinée et au Togo, le groupe Bolloré a été choisi uniquement pour ses compétences et sa capacité à réaliser les investissements portuaires, que ses concurrents n’avaient pas réalisé par le passé”, rétorque un porte-parole du groupe.
Expulsion du port de Conakry
L’affaire avait déjà défrayé la chronique en Afrique. En mars 2011, le nouveau président de Guinée, Alpha Condé, élu en novembre 2010, envoie la gendarmerie pour déloger le concessionnaire du port de la capitale Conakry, le français Necotrans. Motif: “les investissements promis n’ont pas été réalisés et le personnel local n’a pas été formé”, souligne, à l’époque, Dominique Lafont, qui dirigeait la filiale Bolloré Africa Logistics avant de quitter le groupe en 2014. Des journalistes sont même invités à visiter le site pour constater l’état de déliquescence des installations. Les autorités guinéennes ont ensuite attribué le marché à l’entreprise arrivée en deuxième position dans l’appel d’offres, Bolloré, au grand dam de Necotrans, qui dénonce alors un “hold up” et une “éviction arbitraire”.
Même scénario à Lomé, la capitale du Togo, où c’est l’industriel franco-espagnol Jacques Dupuydauby, qui a été évincé, manu militari, de la concession portuaire en 2009. Mais le fondateur du groupe Progosa a déposé deux plaintes visant le groupe Bolloré, qu’il accuse d’avoir corrompu les dirigeants togolais. Lui-même condamné par la justice espagnole pour détournement d’actifs, Dupuydauby dit avoir fourni de nombreux documents à la justice française – il a été reçu deux fois par le juge Tournaire – sur les pratiques de Bolloré au Togo mais aussi au Gabon, au Cameroun et en Lybie. Conseillé par l’avocat William Bourdon, ce rival historique de Bolloré en Afrique compte bien être admis comme partie civile au dossier pour faire valoir ses droits.
Havas très actif en Afrique
Cette affaire n’a rebondi que récemment, de façon incidente, suite aux investigations des enquêteurs de l’OCLCIFF dans une autre enquête visant la société Pefaco. Basée en Espagne, cette entreprise est dirigée par Francis Pérez, proche de plusieurs chefs d’Etat africains, qui a beaucoup investi dans l’hôtellerie et les jeux en Afrique. C’est en examinant les relations entre Francis Pérez et Jean-Philippe Dorent, responsable du pôle international de Havas Paris, que les policiers sont remontés jusqu’à Bolloré. Francis Pérez a d’ailleurs lui aussi été placé en garde à vue ce matin en même temps que les dirigeants de Bolloré.
Dans ce dossier, Jean-Philippe Dorent, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, est un homme clé. Très actif pour développer les activités africaines d’Havas, il a multiplié les prestations de conseil sur le continent. “C’est un fantasme de penser qu’un coup de main à la campagne d’un candidat à la présidentielle qui faisait figure d’outsider comme Alpha Condé permettrait l’obtention d’un port”, déclarait-il au Monde, en avril 2016, au sujet de l’affaire du port de Conakry. Havas a aussi affirmé à l’AFP avoir cessé “toute communication politique” depuis 2011. Cela n’a pas empêché Jean-Philippe Dorent de conseiller Paul Biya, président du Cameroun depuis 35 ans, lors de la COP 21 en 2015 ainsi que l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, pendant la campagne présidentielle au Bénin, début 2016, ou Denis Sassou Nguesso depuis l’automne 2017.
Challenges