CONTRIBUTION
Dans la mythologie grecque, Narcisse était un jeune homme d’une grande beauté. Une beauté tellement luminescente qu’elle finit par éblouir le jeune homme et lui fit perdre la tête et finalement la vie. En effet, il était tellement fasciné par son physique que plus rien n’existât en dehors de sa propre personne. Il passait son temps devant tout objet susceptible de lui renvoyer sa propre image. Un jour qu’il était au sommet d’une montagne, il vit son image se refléter sur l’eau argentée du lac qui coulait au pied de ladite montagne. Naturellement il se mit à se mirer et au mépris de tout danger, se penchait de plus en plus pour mieux se contempler. Ce qui devait arriver, arriva. Il perdit l’équilibre et fit une chute mortelle.
Dans la gestion de la cité, il arrive aussi que le prince, comme Narcisse, finisse par se couper de la réalité, ivre de pouvoir et de l’illusion de puissance qu’il confère, au point de se prendre pour un démiurge. C’est assurément le cas de Macky Sall.
19 mars 2000 – 19 mars 2018. Voilà 18 années, jour pour jour, que le Sénégal connaissait pour la première fois l’alternance démocratique. Les Sénégalais qui sont nés cette année-là, sont aujourd’hui majeurs. On aurait espéré en dire autant de notre démocratie. Malheureusement, force est de reconnaître que contrairement à ces compatriotes avec qui elle partage le même an de grâce, notre démocratie, tel un bébé souffrant d’une maladie congénitale qui empêche toute production d’hormones de croissance, reste à l’état de prématuré scorbutique :
– Les députés sont demeurés les mêmes larbins qui, à force de faire tapis devant le président, ont fini par se transformer en descente de lit sur lequel celui-ci essuie ses chaussures, car persuadés qu’ils doivent leur statut non au peuple qui les a élus, mais à Macky qui a validé leur noms sur les listes.
– La justice est demeurée toujours aussi timorée et sans caractère. Conjonction constante n’est certes pas connexion nécessaire, cependant, la coïncidence entre les jugements rendus et les intérêts du président nous laisse perplexe, dubitatif et circonspect quant à son indépendance.
– La société civile, bouillonnante et combative sous Wade, est devenue aphone et invisible.
– L’indépendance de la presse est en réalité une illusion d’optique, une vue de l’esprit avec des journalistes sous-payés (s’ils sont payés) car dopés au per diem et obligés de quémander le «transport» dans les séances de dédicaces ou de conférences.
– L’opposition est en mille morceaux, désarticulée, démantelée, désossée et démantibulée.
Tous les piliers de notre démocratie se sont effondrés. Tous les contre-pouvoirs, gages de stabilité institutionnelle et garants de bonne gouvernance et de respect des droits de l’homme, se sont évanouis. Il ne reste plus rien. Le néant total. La vacuité absolue. Comme Narcisse seul au sommet de la montagne, Macky reste calfeutré dans sa tour d’Ivoire. Comme Narcisse qui se mire dans l’eau au mépris de tout danger, Macky contemple son image idéale et surtout idéelle que lui renvoient les chants de rossignols de la pléthore de larbins flagorneurs et dithyrambiques dont il s’est entouré : Indifférent aux cris de détresse des paysans qui ne trouvent pas preneurs pour leurs récoltes. Insensible à la famine qui est en train de s’installer dans le nord du pays. Sourd à l’appel des enseignants pour une meilleure prise en charge de l’école. Méprisant devant l’invitation de l’opposition quant aux conditions d’organisation des prochaines élections.
Penda Mbow, Abdou Latif Coulibaly, Sidiki Kaba, Moubarack Lô phagocytés, Abdoulaye Bathily gommé, Tanor réduit, Niass muselé, Karim exilé, Khalifa Sall embastillé, le chemin qui mène vers le palais en 2019 est donc un grand boulevard pour Macky. En tout cas, il y croit dur comme fer. Cependant, s’il avait réussi à arracher un îlot de lucidité à l’océan d’ivresse dans lequel il s’est perdu, il aurait découvert une vérité toute simple, un truisme, que dis-je une lapalissade : A force de faire le vide autour de soi, on finit par faire le plein… contre soi.
Serigne Mbacké NDIAYE