Le spectacle auquel le public a eu droit, hier, au deuxième jour du procès Khalifa Sall, n’a rien à envier d’une scène théâtrale.
Les parties prenantes ont été partagées entre règlements de comptes et jugements de valeur.
Du théâtre. Voilà comment peut-on résumer le second jour du jugement de Khalifa Sall qui a repris depuis mardi. Un grand procès politique de cette dimension a toujours été l’occasion de faire l’apologie du verbe, de par les arguments juridiques. Occasion au cours de laquelle apprentis-juristes, étudiants en droit, journalistes et auxiliaires de justice s’initient à la loi et à la justice. Mais cette tradition a semblé être rompue, hier. En lieu et place, le public a eu droit à des invectives, des attaques-répliques sur fond de règlements de comptes, des jugements de valeur sur les acteurs du procès, des incidents et troubles d’audience, etc. Bref, des dérapages de toutes sortes venant de tout bord. Me Ndèye Fatou Touré est allée jusqu’à taxer publiquement le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, qui a occupé le banc du ministre public, de «dévergondé». En effet, le maître des poursuites a nié vouloir la tête de Khalifa Sall, comme on le lui reproche très souvent. «Vous avez vu ma tête? C’est la boule à zéro. Je me rase tous les matins», précise-t-il. Il sera vite rappelée à l’ordre par Me Touré : «Ce n’est pas respectueux de votre part, devant cette salle d’audience, de faire l’apologie des têtes rasées. J’ai été très affectée. Nous sommes devant un dossier très sérieux. Nous n’avons pas quitté nos cabinets depuis des jours pour discuter de votre tête rasée. Je suis preneuse d’un débat technique, mais pas d’un débat philosophique, ce n’est pas votre rôle en tant que représentant de la société. Je ne fais pas allusion à votre tête rasée. Je ne comprends pas dans un tribunal où il y a des hommes et des femmes et des enfants, vous osez parler de tête rasée et de rasoir». Et le procureur a, comme qui dirait, fait preuve de dépassement en faisant mine de ne rien entendre des remontrances de l’avocate.
Mais de tous les avocats constitués dans le dossier, l’élément le plus incontrôlable au procès a, sans doute, été Me Ousseynou Fall de la défense, de par ses attaques intempestives à l’endroit du camp adverse. Passionné, il n’a pas hésité à rabrouer sa consœur du même bord, Me Borso Pouye, qui a tenté de le raisonner. Me Fall lui a sèchement balancé en pleine figure : «On ne m’apprend pas mon métier». Elle-même sera victime d’une moquerie de la part de l’agent judiciaire de l’Etat, Antoine Félix Diome, qui riait pendant sa plaidoirie. Dépitée, Me Pouye de lui lancer sur un ton ferme : «Rira bien qui rira le dernier. C’est indécent d’un État, inadmissible et indigne. Vous pouvez rire, vous pouvez perturber car vous n’avez pas votre place ici, vous allez quitter ce procès. L’objectif de votre présence c’est uniquement d’avoir la tête de Khalifa Sall, un adversaire politique. Vous n’avez pas votre place dans ce procès. Vous êtes exclu d’office». Malgré les innombrables mises en garde du tribunal, les échanges de propos aigres-doux continuent. Comme à ses habitudes, le juge Lamotte tente de concilier les parties : «Il est impératif de faire régner l’ordre dans la salle d’audience. Que chacune des parties puisse librement s’exprimer sans être interrompue et organiser sa défense comme elle le souhaite. J’y veillerai». Mais cet avertissement n’y fera rien.
Après la pause vers 15h 44, ce fut Me El Hadj Amadou Sall (défense) de se faire distinguer en utilisant, dans son propos, le terme «couille» en wolof. En fait, Me Sall a voulu répondre au proverbe d’un avocat de l’Etat qui a indiqué : «Tchin beunoul feukhoul, yakh bafa nékone diogué fa». En rétorquant, il fait lâche : «guaate gua lakk ba yakh ba sèyye». Un langage que le juge qualifie de «terme inapproprié». «Il y a des mots indécents qu’on ne doit pas utiliser dans cette juridiction par respect aux institutions», avertit-il encore. Réponse du berger à la bergère, l’avocat qui était retourné à sa place revient à la charge. «Monsieur le juge, je vous respecte et je respecte ma profession. Et, donc, je ne dirais jamais des mots qui pourront manquer de respect cette profession et, vous manquer de respect. J’ai dit en langue wolof ce proverbe en français : «la marmite ne brûle pas, mais c’est son derrière qui brûle».
Un peu avant 17 heures, Me El Hadji Diouf s’invite au show. Il effectue une entrée spectaculaire dans la salle d’audience, accompagnée d’incessants va-et-vient. Sa plaidoirie ponctuée de signes d’approbation du public va encore égayer le public. Une attitude qui va à nouveau susciter l’exaspération du juge qui est à son comble. «Nous sommes à la limite du tolérable. Ceci est mon dernier avertissement : quiconque sera pris en train d’applaudir ou de troubler l’audience, le Code de procédure pénale lui a sera appliqué», menace Malick Lamotte, serein malgré tout. Et c’est Me Baboucar Cissé, avocat de l’Etat qui répondait à El Hadji Diouf, de s’adresser à la défense et au tribunal en haussant le ton. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au juge qui va déplorer son attitude. «Ce qu’on respecte d’un avocat, c’est l’image et la politesse. Il faudra que vous concertiez entre vous. L’autorité est ici et non à l’inverse. Ce que vous faites là, ça ne continuera pas». Me Cissé réplique : «Vous ne pouvez pas laisser les avocats de la défense faire ce qu’ils veulent et nous empêcher de réagir». Dépassé, le juge Lamotte s’emmure longtemps dans un silence. Jusqu’à ce que l’ex-bâtonnier, Me Yérim Thiam, présente des excuses pour le comportement de son confrère.
Le procès Khalifa Sall et Cie reprend ce jeudi. Mais il ne sera pas question du jugement proprement dit des prévenus car c’est toujours le stade des préliminaires.
Pape NDIAYE