CHRONIQUE DE MAREME
Abi : prise de conscience
J’ai essayé de la détester, de lui en vouloir pour ce trop plein d’amour de Malick et de cette gentillesse débordante envers elle ; mais je n’y arrive plus. Ce n’est pas de sa faute si Malick l’aime plus que moi ou si notre couple ne marche plus. Elle a juste été le déclencheur, celle qui m’a fait comprendre qu’au fond, lui et moi, nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Il faut le dire, mon mari et moi ne voyons pas la vie de la même manière et malgré mes efforts, il y a toujours quelque chose qui vient heurter notre entente. Je dois l’avouer, Aicha est bien et peut – être que sans elle, je serais déjà divorcée depuis longtemps avec Malick.
Après ce fameux diner quand j’ai vu cet amour fou de mon mari envers une autre femme, j’ai craqué. J’ai pris quelques affaires et je suis partie avec les enfants. Il fallait que je m’éloigne de lui sinon j’allais finir par dire ou faire quelque chose que je pourrais regretter plus tard. Malgré quelques interventions et pressions de sa famille particulièrement de sa mère, le gars est resté de marbre. Moi qui ai toujours cru que l’amour de ces prochains envers moi allait jouer en ma faveur le jour où on aurait des problèmes, j’ai vite déchanté. Toutes ces idées que je m’étais faite, toutes ces largesses envers sa famille n’ont pas pesé sur la balance quand il l’a fallu.
Je crois que j’ai vécu les plus sombres jours de ma vie. Malick n’a fait aucun effort pour me reprendre, deux mois que je suis restée chez maman et pas une seule fois, il m’a appelé ou a essayé de voir ses enfants. Les hommes sont cruels. Des idées noires ont commencé à jaillir au fond de moi. Je voulais qu’ils souffrent autant que moi je souffrais. Entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un seul pas. Ma mère, qui a toujours voulu que j’aille avec elle chez un fétichiste, en a profité pour me convaincre. Pour elle, Aicha était la pomme de discorde entre mon mari et moi alors il fallait la faire disparaître si je voulais retrouver l’harmonie de mon couple. Nous sommes allés à Boundoug un weekend pour rencontrer Gourou – gourou le féticheur de maman. Rien que le nom me faisait frissonner. Le premier jour, le gars m’a posé toutes sortes de questions nom et prénom de mon mari, celui de ma coépouse, leur date de naissance et le pourquoi de ma venue. Ceci fait, il nous demanda de revenir tard le soir quand tous les êtres vivants dormiront. J’ai eu la frousse de ma vie cette nuit-là, moi sortir à deux heures du matin pour aller en pleine brousse rejoindre un homme dont les rastas lui tombent jusqu’aux genoux, en plus seule. J’ai failli rebrousser chemin mais j’ai gardé à l’esprit cette image de Malick dansant avec elle et la regardant comme si elle était la prunelle de ses yeux. La rage au cœur, j’ai rejoint ce sorcier. Quel ne fut mon désespoir quand il me dira que leur amour avait été scellé par Dieu et béni par le ciel, la terre, les étoiles et tous les djinns. Je me suis sentie maudite, trahie et poisseuse. Moi qui étais venue dans l’optique de les séparer, j’ai vite déchanté. La seule possibilité qui s’offrait à moi était de leur rendre la pareille en leur faisant souffrir autant que moi je souffrais. Donc j’avais deux options : lui faire perdre son enfant ou la rendre folle.
Quand je suis rentrée à Dakar, je me suis enfermée dans ma chambre pendant une journée entière complètement déboussolée par ce qui venait de se passer. Étais – je capable de faire mal à quelqu’un par simple jalousie. Est – ce que l’amour valait la peine de vendre son âme au Diable ?
Par la même occasion, j’ai découvert ma mère, une femme cruelle, qui était prête à tout pour protéger ses intérêts. Elle ne comprenait pas le pourquoi de mon hésitation et surtout de ma tristesse. Pour elle, le mal se payait par le mal et m’exhortait à faire payer Malick sa trahison. Je me suis rappelée de ma tante qui avait perdu par deux fois son enfant et qui à la troisième fois avait été amenée à l’étranger. Il y a encore la quatrième femme de papa qui avait perdu la raison pendant presque quatre ans avant de retrouver ses esprits. A cette époque, ce qui enrageait maman, c’était la posture mon père qui est resté auprès d’elle et à continuer de l’aimer malgré sa folie. J’ai toujours entendu les rumeurs que c’était maman la cause de tous ces agissements mais aujourd’hui, j’en ai la certitude. Alors je me demande si cela en vaut la peine, puisque mon père a fini par la quitter. Le mal finit toujours par retourner là où il vient. Comme s’il avait deviné mon tourment, ce soir-là, papa m’a appelé. Dès qu’il m’a posé la question de savoir si j’allais bien, j’ai fondu en larmes. Il a attendu que je me calme pour me dire : « Ma fille, ne laisse pas la jalousie détruire ton couple. Il est vrai que l’amour va avec, on ne peut aimer et ne pas éprouver ce petit pincement au cœur quand on voit une autre personne avec son conjoint. Mais il ne faut jamais la laisser nous dominer. Car, quand elle s’installe dans ton cœur, elle éveille le mal qui est en toi. Abu Dawud, un des fidèles du prophète disait : Méfiez-vous de la jalousie car elle consume les bonnes œuvres comme le feu consume le bois. Oui toutes les bonnes choses disparaissent et on ne se focalise que sur les mauvaises. La jalousie mène à la suspicion, à l’angoisse. On finit par faire du mal à soi et à l’autre, à détruire ce que l’on a mis du temps à construire. Malick m’a appelé et il est dans les dispositions de te reprendre. Tu es la fille de son père et je sais que tu prendras la bonne décision. »
Dès que j’ai raccroché je suis allée aux toilettes déverser le contenu des deux bouteilles que le féticheur m’avait données, soulagé et fière de ma décision. J’ai fait deux rakas et demandé à Dieu de me donner la force d’accepter et de supporter l’amour de Malick pour Aicha. « Parfois la vérité nous fait mal, mais la maturité d’accepter la vérité nous fait grandir ». Cette nuit-là, j’ai rêvé de Aicha habillée tout en blanc, me tendant grandement les bras avec un sourire d’ange. Quand j’ai posé mes mains sur les siennes, elle s’est retournée et j’ai vu Malick se tenir debout au loin avec son sourire de rêve. Le lendemain, je me suis réveillée, l’esprit plus clair. Quand la bonne est venue me dire qu’Aicha m’attendait au salon alors j’ai compris qu’elle n’était pas mon problème mais la solution à mes problèmes.
Aicha : Tabaski
Je suis au terme de ma grossesse, j’ai de plus en plus difficile de me déplacer, mais j’ai tenu à ce qu’on fasse la fête de Tabaski en famille chez Abi, à Fann résidence. Cette dernière en a été très touchée vu que c’était mon tour ; mais qu’est- ce que la fête de Tabaski sans le père de famille. Oumi et ses enfants sont aussi de la partie. Elle s’est encore disputée avec son mari. Je crois que ces deux-là ont atteint un point de non-retour. Il y a des blessures que ni l’amour ni temps ne peuvent effacer.
Oumi (ton moqueur) : Il sort quand ma nièce ? Je caresse mon gros ventre et regarde Malick avec amour.
Moi (sourire aux lèvres) : Ma gynéco m’a déjà barré, là ça peut venir n’importe quand.
Malick (les yeux plissés) : Pitié, pas aujourd’hui. Nous éclatons de rire.
Moi (impatiente) : Cela ne me déplairait pas. Ouf je n’en peux plus vraiment. C’est trop dur.
Oumi : Tu devrais remercier le bon Dieu de t’avoir donné une grossesse aussi facile. Tu me dis que tu n’as vomi qu’une seule fois, une seule fois répéta – t- elle. Incroyable ! En plus, tu t’embellisses de jour en jour. C’est la première fois que je vois une si belle femme enceinte. Regarde-toi, tu brilles. Si j’avais une grossesse comme ça, je te jure que j’en serais déjà à dix et…
Malick (touchant le bois) : Hey laf thiat, car, machalah (ne nous porte pas malheur). Rien n’est encore acquis, attend que l’on franchisse la ligne d’arrivée. Éclats de rire.
Moi (faisant une grimace) : le ‘on’ là vient faire quoi ici schiipp.
Malick (regard qui se veut méchant) : Je t’ai dit de ne plus me chiper. Tu vois Oumi, elle, son signe de grossesse c’est l’impolitesse. Attend d’accoucher rèk fini – t-il en me pointant un doigt menaçant.
Moi (balayant sa main) : Ah, viens m’aider à me lever, petit coin m’appelle. Encore ah. Il me relève doucement et me donne une bise dont lui seul a le secret.
Oumi (ricanant) : Moi j’ai peur que tu retombes vite enceinte vu comment mon frère te dévore du regard.
Moi (horrifiée) : Astahfiroulah, astahfiroulah, astahfiroulah…Eclats de rire.
Je me dirige vers la toilette en tenant mon ventre devenu trop lourd. Vivement que j’accouche. Walaahi, les hommes auraient dû prendre leur part ish. Je passe devant la cuisine et entends Abi donner des directives à la bonne. J’aurai voulu l’aider mais je suis bon à rien du tout.
A mon retour, je la retrouve au salon en train de mettre la table. Malick la taquine et elle rit jovialement. Habillée comme une diva, Abi fait ses va-et-vient entre nous et la cuisine. Une femme africaine dans le vrai sens du terme. De sa démarche endiablée par un déhanchement sulfureux, à son sourire chaleureux et accueillant en passant par ses gestes sensuels et aimants, Abi tient à la perfection son rôle de femme chez soi. Dire qu’il y a quelques mois, ils ont failli divorcer : ha jalousie opium du couple. C’est fou comme les choses ont changé depuis que je suis allée la voir chez sa mère.
Ce jour-là, elle m’a accueilli pour la première fois sans jouer un rôle, sans tricher. Nous avons parlé à cœur ouvert, sans détour. Je lui ai fait savoir que Malick était triste de son départ et que même s’il est très orgueilleux pour l’appeler, il passe tous les soirs là- bas pour voir si elle était rentrée. Les hommes sont ce qu’ils sont, on ne peut les changer. Que c’était à elle de faire le premier pas, pas parce qu’elle est faible, mais juste parce que seule la femme est capable de transcender, de faire taire son orgueil pour sauver son mariage. C’est parce que nous enfantons, que Dieu nous a donné une âme aimante et miséricorde, une âme capable d’accepter l’inacceptable, de pardonner l’impardonnable. Pour moi l’amour d’une femme pour son mari doit être comme l’amour d’une mère envers son fils ; c’est-à-dire aimer sans comprendre, aimer sans retenue et surtout aimer sans rien attendre en retour.
Ce jour-là, Abi m’a pris dans ses bras m’emportant avec elle dans ses pleurs. Elle est rentrée deux jours après et depuis nous sommes plus que des amies. Un mois plus tard, elle ouvrait un atelier de couture et s’y adonnait avec passion. Elle a compris que son véritable problème venait du fait que toute sa vie tournée autour de Malick et de sa famille. Il est certes vrai que rien n’est plus beau que l’amour, rien n’est plus noble que le sacrifice de soi pour l’autre mais il ne faudrait pas s’oublier en cours de route. Quand Malick a vu qu’Abi ne lui prêtait plus beaucoup d’attention, il a commencé à l’appeler le soir pour voir si elle était rentrée. Ha les hommes, quand il voit que tu ne deviens plus leur priorité alors ils éprouvent toujours le besoin de te faire savoir qu’ils sont là.
Bref, aujourd’hui un bel équilibre s’est installé entre nous trois que ma belle – mère vient souvent perturber. Cette dernière devait elle aussi faire partie de la fête mais elle était en froid avec Malick. Encore une fois, nous nous sommes heurtés à ses principes familiaux. Je vais finir par avoir une crise cardiaque à cause de ses exigences si extravagantes. Il y a deux semaines, elle est venue me voir avec une liste de 21 personnes (oncles, tantes, cousins) pour que je demande à mon mari de leur acheter chacun un mouton, car il était riche et qu’il se devait d’aider sa famille. Pour elle, parce que monsieur m’aime à la folie et que je suis enceinte, que je peux lui faire faire tout ce que je veux. Que si je ne réussissais pas à le convaincre d’être plus généreux envers sa famille, c’est parce qu’au fond je voulais juste tout garder pour moi. Pour une fois, j’ai essayé de convaincre Malick car j’étais fatiguée de ses insinuations, de ses piques incendiaires qu’elle me lance à chaque fois que l’occasion se présente et surtout de la mésentente grandissante entre lui et sa maman. Mais c’était sans compter sur l’obstination de celui-ci. Ce jour-là, il m’a dit que sa mère est le genre de personne à qui on offre la main mais qui prend le bras entier il trouve que les erreurs du passé lui ont appris à ne plus répondre à ses caprices. Du coup, une dispute a encore éclaté entre les deux et comme toujours, on disait que j’étais la pomme de discorde. Au début, cela ne m’affectaient pas, je ne me concentrais que sur mon couple. Mais au fil du temps, la pression sociale a joué sur la paix de l’esprit.
Il est quinze heures passé de dix minutes, quand nous nous mettons enfin à table. Il y avait une belle ambiance et les enfants étaient tous excités, parlant de leurs futurs butins. Le jour de la tabaski, les enfants font le tour du quartier pour montrer la beauté de leurs habits et les adultes, en signe de contentement, leur offrent de l’argent. C’est ce qu’on appelle « le ndéwéneul ». Une coutume ancestrale que l’on ne peut leur occulter même si aujourd’hui cela ce fait de façon si désordonnée.
Sokhna (fille de Malick) : Papa, on part quand chez grand-man ?
Malick (mâchoire serrée) : On n’ira pas chez grand mame aujourd’hui, dit – il d’un trait.
Tous les enfants (surprise) : Pourquoi ? Brouhaha, chuchotement en bas…
Malick (ton tranchant et visage fermé) : Parce que c’est comme ça.
Les mines tristes, ils commencent à quitter la table à tour de rôle, disant ne plus avoir faim. Ils marchaient en file indienne, les épaules abaissées comme s’ils avaient tout le poids du monde sur eux. Ça m’a presque donné envie de rire. Quand tous ils ont disparu, Oumi tente de faire une approche.
Oumi (hésitante) : S’il te plait Malick, c’est le jour de la Tabaski, je suis sûre qu’elle est toute triste en ce moment. C’est maman, tu ne pourras jamais la changer.
Malick (ton dur) : Je voudrais juste qu’elle arrête de se mêler de ma vie, de vouloir contrôler mes dépenses, de calomnier Aicha…
Oumi (visage triste) : Je sais tout ça mon frère mais s’il y a des deux un qui doit supporter les caprices de l’autre et c’est toi. C’est ta mère, celle qui ta engendré, t’a éduqué et mis sur le droit chemin. Elle aurait pu se remarier après la mort de papa mais elle a préféré se sacrifier et concentrer toute sa vie sur nous.
Malick (se prenant les mains au visage) : J’aurai accepté le mot sacrifice s’il était désintéressé. Une vraie mère doit être capable de laisser ses enfants voler de leurs propres ailes le temps voulu. Elle va finir par me perdre avec son entêtement à vouloir contrôler ma vie car je ne l’accepterais jamais.
Abi (posant sa main sur le bras de Malick) : Toutes les mères sont possessives avec leurs enfants. Tu devrais essayer d’être moins dur avec elle c’est tout.
Moi (voix triste) : S’il te plaît Malick, profitons de cette fête pour aller la voir, c’est un jour d’amour et de pardon….
Malick (ton plus strict) : Ma décision est déjà prise alors stop.
Oumi (énervée) : C’est comme tu le sens mais moi quand j’irai la voir ce soir j’amènerai les enfants avec moi. Ne les mêle pas à vos histoires.
Malick (regard noir) : Je n’ai aucun droit sur tes enfants mais les miens, ils ne bougent pas.
Abi (surprise) : Il ne faut pas exagérer toi aussi, tu…
Malick (criant) : Assez !
Nous avons toutes sursauté, avant de nous regarder à tour de rôle et de recommencer à manger en silence. Je sentais que les larmes aller se pointer d’une minute à l’autre alors je me suis levée de table pour aller me réfugier dans la chambre d’ami qu’Abi avait aménagée aujourd’hui pour moi. Là, j’ai laissé libre cours à mes larmes. D’une manière ou d’une autre, même si je ne suis pas la responsable de cette situation insupportable, j’en suis la cause. Parce qu’il ne veut pas que je devienne le toutou de sa mère, Malick est plus que possessif avec moi. Toutes les fois où elle m’a invité à aller avec elle à une fête, il a refusé. Je ne suis jamais allée la voir sans lui et à chaque fois que je veux lui offrir de l’argent comme à cette période de la fête, il dit qu’il lui en donne assez. Bref c’est lui qui a mis cette grande barrière entre elle et moi et c’est moi que tante Sokhna en veut à mort. Je ne sais plus quoi faire. J’en ai marre….
Malick : distributeur automatique
Quand Aicha s’est levée de la table, je me suis encore plus énervé. A croire que le bonheur total n’existe pas. Enervé, je m’assois sur mon fauteuil en prenant la télécommande. Regardez-moi ça, une fête qui avait si bien commencé et voilà maintenant que tout le monde est fâché et que chacun part dans son coin. Est – ce que j’exagère ? Je n’ai jamais voulu être un tyran chez moi. Seulement, je n’aime pas les agissements de maman envers ma famille particulièrement envers Aicha. Pif, elle vient de gagner parce qu’elle a réussi à gâcher notre fête qui avait si bien commencé. Même Aicha, qui n’a jamais contesté mes décisions, commence à se rebeller. Je connais ma mère et si je commence à lui accorder certaine concession, elle va déborder. La preuve, il y a trois ans alors que les affaires commençaient vraiment à marcher, elle est venue me voir à quelques jours de la Tabaski. Elle voulait que j’offre des moutons aux plus âgés de la famille qui étaient dans une situation difficile. J’ai trouvé le geste noble et je lui ai remis deux millions lui disant que les cinq cent mille étaient pour elle et le reste elle n’avait qu’à voir. Une semaine après, elle revient à la charge pour me dire que ce n’était pas assez. J’ai dit niet et le pire dans tout ça c’est que le lendemain de la Tabaski, Oumi m’appelle pour me dire que Maman n’avait même pas acheté de mouton pour elle. Générosité maladive ou extravagance surnaturelle, en tout cas j’en ai pris graine et je ne l’ai plus jamais confié ce genre de tâche. Depuis je demande à mon chauffeur de le faire. Je lui donne douze enveloppes de cent cinquante mille chacune avec une liste de personnes. Hier comme aujourd’hui, elle n’est jamais satisfaite et essaye toujours de trouver un moyen de pression pour me faire dépenser plus. Pourtant j’en fais beaucoup pour sa famille et celle de mon père, seulement je ne le crie pas sur tous les toits. Aujourd’hui, à cause d’elle je suis peint comme le plus pingre de la famille alors que nenni.
Je me lève et décide d’aller parler à Aicha histoire de voir comment elle va. Elle semblait être au bord des larmes en se levant de table. Si ma mère ne me posait pas autant de problèmes, je serais l’homme le plus heureux du monde. Mes affaires vont bien et mes deux femmes s’entendent à merveille. Abi a vraiment changé depuis son retour, elle est devenue plus prévenante avec moi, moins rebelle et surtout elle ne me fait plus de crise de jalousie avec Aicha. Son atelier de couture lui est très bénéfique car elle semble plus épanouie, moins inutile. C’est seulement son côté dépensière qui quoique et je suis en train de la recadrer au maximum. Quant à ma relation avec Aicha, c’est comme un conte de fée. Elle me comble sur tous les côtés au point que mon amour pour elle ne cesse de croitre. Notre complicité est sans borne et aujourd’hui je suis si heureux avec elle que dès fois j’ai peur. De quoi, je ne saurais le dire.
Quand j’ouvre la porte de la chambre, elle sursaute et s’essuie le visage mais les larmes continuent de couler. Je me précipite vers elle complètement perturbé de la voir dans cet état.
- Qu’est – ce qu’il y a mon amour ? Elle ne dit rien et essaye de se calmer mais pleure de plus belle. Je la soulève et la prend dans mes bras
- S’il te plaît arrête de pleurer. Excuse-moi de m’être emporté. Chut, chut. Elle hoquette et essaye tant bien que mal d’arrêter. Je suis comme perdu car je me rends compte que cette situation l’affecte plus que ce qu’elle ne veut montrer. C’est la première fois que je la vois pleurer après ce fameux soir où elle m’avait raconté son histoire avec son feu mari. Je recule et encadre mes mains autour de son petit visage.
- si cette histoire avec ma mère te met autant dans cet état alors je vais faire un effort. Tu sais bien que je ferais tout pour toi. Elle sourit enfin ce qui me donne un baume au cœur.
- Je suis juste fatiguée de toutes ces disputes, hoquette-t-elle.
- D’accord c’est compris. Je vais dire aux autres de se préparer, on y va. Fais-moi une bise. Elle se mit sur la pointe des pieds et m’en donne une mais je la retiens quand elle essaye de reculer. J’ai tellement envie d’elle, depuis le temps.
- Malick Kane yémal (reste tranquille). Je prends un grand air et ferme les yeux de frustration.
- C’est la plus grosse punition de toute ma vie. Elle éclate de rire et me tape sur le bras.
- Bien fait pour toi, vas-y avant que tu ne changes d’avis.
Nous sommes arrivés chez maman vers 17H30 car ça a pris presque deux heures à Abi pour s’habiller. J’ai failli la laisser sur place. Comme nous n’avions rien dit à maman, elle n’a pas caché sa joie de nous voir. Tout de suite, tous les enfants ont couru vers elle pour l’embrasser. Il y avait dans le salon, deux de mes tantes, des cousines et leurs maris et une ribambelle de gamins. J’ai salué tout le monde et je suis venu embrasser chaleureusement ma mère. Elle a ouvert grand les yeux avant de me lancer.
- Lou khèwe (que se passe t – il) ? Je regarde Aicha qui esquisse un sourire très large, ce qui me donne plus d’élan. Je m’assois près d’elle et l’enlace.
- Hé maman ne commence pas, c’est Tabaski et je suis venu en paix. Tu m’as manqué et je l’embrasse encore. Elle se tourne vers Oumi en lui tendant la main.
- Pince-moi s’il te plaît, je veux vérifier que je ne rêve pas. Tout le monde a éclaté de rire et une belle ambiance s’est installée. Les enfants ont commencé à défiler devant moi pour réclamer leur ‘ndéwéneul’ (argent distribué aux enfants durant la fête de tabaski). Quand je finis avec eux, j’en ai fait de même avec mes tantes. Mes cousines ont réclamé aussi leur part et j’ai donné. Bref pendant une demi-heure j’étais devenu un distributeur automatique et c’est ma mère qui a eu le plus gros pactole. Je dois admettre que cette petite trêve m’a fait plaisir, voir Aicha si souriante encore plus.
Nous avons finalement quitté chez maman vers vingt – heures direction chez mes beaux-parents. Nous sommes d’abord passés chez la mère d’Abi qui nous a accueillis un peu froidement. Sa relation avec sa fille n’est plus au beau fixe et je me demande pourquoi. Même si Abi le nie, je sais que ça ne va plus entre elles. Après là-bas, direction chez Aicha. J’avais hâte de retrouver Menoumbé car j’adore ce gosse. Il est sans façon, aucun ne complexe et surtout c’est un livre ouvert qui dit toujours ce qu’il pense. Il y a quelque temps de cela, je l’avais appelé à mon bureau lui proposant un poste dans mon entreprise et à ma grande surprise il a refusé. Il m’a dit que ses parents vieillissaient et qu’il serait incongrue de les laisser gérer seule la superette surtout avec les bagages lourdes et autres. J’ai trouvé son refus noble et je l’ai encore plus respecté. Malgré que leur fille se soit mariée à un richissime, ils n’ont pas essayé d’en profiter ; au contraire. J’adore cette famille si digne et si pleine de valeurs.
Comme toujours c’est la grande joie quand on se retrouve, il n’y a pas de triche, pas de faire semblant ni de manière juste, la joie de se retrouver. Pour la première fois Abi vient chez Aicha. Elle n’arrête pas de regarder autour d’elle peut – être surprise de voir les parents de Aicha, vivre dans un endroit si modeste. On nous a installés au salon, servi de la boisson et les discutions ont commencé. Toujours égal à lui-même Menoumbé se lance.
Menoumbé (se frottant les mains) : Ani sama ‘ndéwéneul’ (où est mon argent) ?
Beau – père (sursautant) ; Tu n’as pas honte ? Tu as quel âge ?
Menoumbé (protestant): Chi papa sarahe ma ngakk boul ma yahal (s’il te plaît, ne gâche pas mon affaire).
Je sors une liasse de cinquante mille francs et la lui tend.
Belle – mère (se prenant la bouche) : Yé hèèèè…
Menoumbé (danse) : Malick Kane yaye dix mille franc, koula ame dieul, koula niake outila, yaye dix mille francs (tu es comme le billet de 10 000 fr, tout le monde te veut et qui ne t’a pas te cherche).
J’ai tellement rigolé que j’en avais les larmes aux yeux, non ce gars va me tuer surtout avec sa façon de danser. Son père lui a lancé un coussin à la tête mais il a continué à répéter la même chanson. C’est seulement quand il a pris sa chaussure qu’il est sorti du salon en courant. J’essayais d’arrêter mon fou rire quand j’ai entendu Aicha crier. Boum boum boum accélération du cœur. Elle était partie à la douche à notre arrivée. Menoumbé est rentré au salon comme un vent en criant : elle arrive, elle arrive. Nous sortons tous en courant et là je vois Aicha, me regardant paniquée.
- Je crois que je viens de perdre les eaux.
A lire chaque lundi…
Par Madame Ndèye Marème DIOP