Pour certains observateurs, les intérêts français au Sénégal n’ont jamais été mieux préservés qu’actuellement. Du coup, la visite d’Etat qu’effectue le président sénégalais en France du 19 au 22 décembre 2016, la première depuis un quart de siècle, qui sonne comme une reconnaissance. Décryptage. C’est une relation tricentenaire qui avait connu des frictions sous la présidence d’Abdoulaye Wade (2000-2012, lequel est allé jusqu’à demander la fermerture de la base militaire française de Dakar. Mais depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, l’idylle entre le Sénégal et la France a repris des couleurs. En témoigne la visite d’Etat de trois jours que le président sénégalais effectue à Paris à partir du 19 décembre prochain. Pour la France, inviter un président africain en visite d’Etat c’est lui faire un privilège. Macky Sall le prend-il comme tel? Difficile d’y répondre à sa place, mais curieusement, aucun chef d’Etat sénégalais ne s’était rendu en France dans un tel cadre depuis près d’un quart de siècle. En effet, la dernière visite d’Etat d’un président sénégalais remonte à 1992, sous l’ère Abdou Diouf. François Hollande met les petits plats dans les grands pour accueillir son hôte sénégalais.
Les petits plats dans les grands
Macky Sall aura droit à tous les honneurs à Paris: tapis rouge, entretien avec François Hollande, dîner d’Etat à l’Élysée, déjeuner à Matignon avec Manuel Valls, réception avec les honneurs militaires à l’hôtel des Invalides, visite au Musée Quai Branly, résidence à l’Hôtel Hyat Paris Madeleine à 350 euros la nuitée pour toute la délégation présidentielle, etc. Si les Français se donnent tant de mal, il y a une raison à cela: remercier Macky Sall d’aider à redorer l’image de l’ancienne métropole. Lors de sa dernière visite au Sénégal, Manuel Valls avait reconnu que les «vieilles méthodes de pression» ne fonctionnent plus et qu’il «n’y a plus de pré-carré» français en Afrique. Une manière, pour le Premier ministre français d’alors d’inviter les entreprises françaises à «accepter» la compétition avec les pays émergents comme la Chine pour gagner des marchés. Une simple invitation de façade, puisqu’en coulisses tout est fait pour qu’Alstöm, Bouygues ou Eiffage, continuent de remporter de précieux marchés.
L’image de la Chine
«Que la France, un pays de 66 millions d’habitants, soit en concurrence avec la Chine, avec son milliard 300 millions d’habitants, prouve que nous sommes toujours présents», disait Manuel Valls. Si elle semblait effectivement en recul au Sénégal, comme presque partout en Afrique, la France a largement regagné du terrain au Sénégal ces cinq dernières années.Les exemples sont nombreux qui illustrent ce retour en force de la France et de ses nombreuses entreprises et où une main invisible semble y avoir joué un précieux rôle. Bolloré, qui avait vécu comme une humiliation l’attribution du terminal à conteneurs à DP World, a fermement repris pied au Port autonome de Dakar, raflant la concession du terminal roulier. Avec l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio-AIBD, Eiffage dispose d’une intarissable vache à lait. D’après les estimations, elle va empocher un gain de 644 millions d’euros pour un investissement de 40 millions d’euros. L’attribution du lot 2 du Train express régional (TER) au duo Engie Ineo/Thalès pour un montant de 225 millions d’euros (148 milliards de FCFA). Alstom s’est également vu confier le marché de fourniture des 15 trains Coradia Polyvalent du TER d’un montant de 149,66 milliards de FCFA (228,4 millions d’euros).
Attribution douteuse de marchés publics
Les exemples de ce type sont légion. En août dernier, le gendarme sénégalais des marchés publics, l’ARMP avait suspendu l’attribution de la construction du TER qui avait initialement été accordée à l’entreprise françaises Eiffage. Cette remise en question a été faite sur la demande du chinois China Railways Corporation (CRCC) dont l’offre était de 150 milliards de francs (225 millions d’euros) inférieure à celle du consortium Eiffage où l’on retrouve également le turc Yapi Merkazi et le sénégalais CSE. Il devrait y avoir une nouvelle attribution. Lors de la pose de la première pierre pour les travaux de construction, contre toute attente, rien n’a filtré concernant le marché dont Eiffage rêve d’être adjudicataire. Macky Sall ne s’en cache pas, puisqu’il a clairement affirmé en public qu’il allait privilégier les entreprises françaises, ce qui ferait retourner le Sénégal dans une ère de gestion douteuse de la chose publique qui fait fi des règles d’attribution des marchés publics, en particulier et de bonne gouvernance en général. Le problème est que dans cette démarche, il est légitime de se poser la question de savoir si les intérêts du Sénégal seront préservés. Certains en doutent légitimement. Mais le fait est que cela ne risque pas de s’arrêter, car d’autres marchés sont également concernés par l’envie de Macky Sall de faire plaisir à la France.
“Donner le TER aux entreprises françaises”
En octobre dernier, Stéphane Volant, secrétaire général du groupe ferroviaire français s’était déjà montré très optimisme. Selon lui, la SNCF espère “remettre le pied en Afrique de l’Ouest”, avec l’attribution prochaine de deux contrats, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Il s’exprimait en marge du 2e forum international des mobilités durables, organisé par la SNCF. Poursuivant dans la même lancée, il disait: “l’actualité brûlante c’est l’engagement (de Macky Sall, ndlr) qui dit vouloir donner la construction et l’exploitation du TER à un groupement français à l’intérieur duquel se trouve la SNCF”. Ce qui a fait dire à une grande figure du panafricanisme, lors d’une rencontre l’année dernière à Dakar, que « les intérêts français au Sénégal n’ont jamais été mieux préservés que sous Macky Sall». Pourtant Pékin est de loin devant Paris parmi les principaux partenaires financiers du Plan Sénégal émergent (PSE) avec 830 milliards de FCFA (1,26 milliard d’euros), soit 20% des accords de financements déjà signés sur la période 2013-2015. Sur la même période, l’Agence française de développement (AFD) n’a contribué que pour l’équivalent du tiers de l’effort chinois à hauteur de 283 milliards de FCFA (432 millions d’euros). Même si la France reste le premier bailleurs bilatéral du Sénégal. Bref, si tout ceci n’est pas de la Françafrique, cela y ressemble fort. Cette visite vient consacrer la «collaboration forte», terme plus que diplomatique utilisé par Stéphane Le Foll, ministre français de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement français, lors de sa visite à Dakar cet été.
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