CHRONIQUE DE WATHIE
Ce n’est pas par hasard si de nombreux Français n’en ont cure des prestations des Bleus. Qu’elle soit championne d’Europe ou du monde, cette équipe de France de football ne les enchante guère. Ce désamour, pour ne pas dire cette détestation, ne date pas de la génération des Patrice Evra, Paul Pogba, Blaise Matuidi et autres. En 1996 déjà, alors que l’équipe qui allait devenir championne du monde, deux ans plus tard, se constituait progressivement, Jean-Marie Le Pen lâchait : « C’est un peu artificiel de faire venir des joueurs de l’étranger et de les baptiser équipe de France». Cette observation du patriarche des Le Pen va faire des émules. Fille, petite-fille, responsables ou autres sympathisants du Front national (FN) vont emboucher la même trompette, enchaînent les diatribes, se gardant à peine de pointer d’un doigt accusateur la couleur de peau des joueurs. Quand Karim Benzema mit en avant sa binationalité qu’il revendiquait presque, le député du Gard et non moins responsable du FN Gilbert Collard va lui demander d’aller «jouer dans son pays s’il n’est pas content». Avant l’avocat, c’est Marine Le Pen, qui préside aujourd’hui aux destinées du FN, qui observait : « Si on entendait parfois parler de patriotisme dans la bouche de ces joueurs, si un certain nombre ne refusaient pas de chanter la Marseillaise, si on ne les voyait pas enrouler dans le drapeau d’autres nations que la nôtre, peut-être les choses changeraient, mais en l’état, j’avoue que je ne me reconnais pas particulièrement dans cette équipe». Allant plus loin, la fille de Jean-Marie Le Pen trouve que : « La plupart de ces gens (les joueurs, Ndlr) considèrent, qu’un coup ils sont représentants de la France quand ils sont à la Coupe du monde, un autre coup ils se considèrent comme appartenant à une autre nation ou ayant une autre nationalité de cœur».
A force de tirs cadrés, les Le Pen ont fini par faire embarquer beaucoup de Français dans leur Wagon de xénophobie. Un sondage exclusif Ifop-metronews renseignait le 10 juin dernier que «les électeurs FN sont encore plus nombreux que le reste des Français à n’éprouver aucune sympathie pour l’équipe de France (et le monde du foot)». Mais, si les frontistes ne manquent pas d’arguments pour expliquer leur phobie, c’est que leur France ne flanche pas quand il s’agit de puiser dans ses réserves africaines. Sur les vingt-trois joueurs appelés par Didier Deschamps, dix sont d’origine africaine (Patrice Evra (Sénégal), Paul Pogba (Guinée), Samuel Umtiti (Cameroun), Steve Mandanda (Rd Congo), Bacary Sagna(Sénégal), Blaise Matuidi (Rd Congo), Eliaquim Mangala (Rd Congo), Moussa Sissoko (Mali), N’Golo Kanté (Mali), Adil Rami (Maroc). Face à la Roumanie, pour le match d’ouverture de l’Euro 2016, six d’entre eux ont été titulaires, un (Moussa Cissokho) est rentré en cours de jeu. Si à ces joueurs, vous ajoutez Anthony Martial, Kingsley Coman, Dimitri Payet, l’équipe n’est de France que de nom. Et pourtant, Mamadou Sakho, qui a brulé sa graisse pour rentrer dans son maillot, Raphaël Varane et Lassana Diarra blessés auraient bien pu faire l’Euro 2016. Tout comme Karim Benzema et Hatem Ben Arfa, si Deschamps n’avait pas «cédé à la pression d’une partie raciste de la France », comme l’a accusé le joueur du Real Madrid.
Revers de la médaille
« Les Etats n’ont pas d’ami, ils n’ont que des intérêts », disait De Gaule. Pour porter haut le drapeau français, les Africains sont mis à contribution bon gré malgré. Dans tous les sports, c’est pareil. Ce n’est par hasard si de nombreux pays africains francophones ne parviennent pas à inscrire leur nom sur les cahiers des médaillés d’or aux Jeux Olympiques. Tous leurs joueurs prometteurs se retrouvent, un beau matin, le drapeau tricolore sur les épaules. Mais, s’il lui est possible de s’imposer sur les terrains d’Hexagone, la réussite est souvent chimérique en dehors. En France tout Africain est un immigré; même ceux dont les parents ont participé à la libération et qui sont, depuis, naturalisés. Moyen sournois pour lui enlever toute opportunité de s’illustrer et sédatif pour ces Français qui se disent de souches mais fauchés. L’immigré n’exige rien. Leur grand nombre ne signifie rien. On ne les remarque que sur les pelouses des stades. Par une sélection outrageusement sophistiquée, les anciens Gaulois parviennent à sortir tous les Noirs de leur système, sans l’aide de Jean-Marie Le Pen et des frontistes. Même ceux qui ont eu le baccalauréat avec la mention très bien ou bien et qui ont été, par la suite, bradés à la France à travers des accords. Quand il s’agit d’élection, l’Assemblée nationale et le Sénat français échappent aux mixages de façade des gouvernements. Pour être élu, le Français d’origine africaine se trouve une vision qu’il n’appliquera qu’en Afrique. Cette discrimination est aussi valable pour le sport, pourtant dit ouvert. Cet anglophone se voulait plus français que les Français dans les terrains de foot. A la fin de sa carrière de footballeur, malgré son charisme et sa carrure reconnus par ses coéquipiers, il s’est rabattu, en vain, sur la sélection de son pays d’origine, le Ghana, pour en être l’entraîneur. L’équipe de France pour laquelle il s’était défoncé était devenue trop grande pour lui. Oui ! Même pour le sport, ils se choisissent les loges et les bancs de touche pendant que les autres bataillent sur la pelouse. Allez demander à Jean Tigana ou à Antoine Kambouaré si leur couleur de peau n’a pas été plus visible quand ils ont bouclé leur carrière de footballeur. Demandez à Zinédine Zidane ou à Thierry Henry pourquoi l’un s’est planqué en Espagne l’autre en Angleterre après avoir porté haut le drapeau tricolore.
Naturellement, cet ostracisme se heurte à des obstacles humains. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui est chargé de la production, de l’analyse et de la publication des statistiques officielles en France, « la population de la France s’est accrue de 0,4 % en 2015. La proportion des plus de 60 ans dans la population française est passée de 17 % à 25 % entre 1980 et 2016, et devrait approcher le tiers en 2050». Un peuple de vieillots ne procrée pas. Leur véritable obsession n’est pas à chercher ailleurs. Voir les Français dits de souches disparaître progressivement au moment où leurs compatriotes noirs deviennent de plus en plus nombreux, justifie leur système verrouillé. Vive Polonais et autres Juifs qui fuyaient jadis Hitler, haro sur ceux qui l’ont combattu. Leur peur, ne pas noircir. En 2011, le ministre de l’Education nationale, Luc Châtel, annonçait le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux à l’école primaire. Pendant que les enfants se font rares, les immigrés débarquent par tous les moyens, ceux déjà établis s’accroissent. Saint-Denis est en Hexagone la commune qui compte le plus d’immigrés qui représentent 36,65 % de sa population. Il est à Seine-Saint–Denis, le département le plus fécond de France (chiffres Insee). Face à cette logique, les pressions se multiplient, l’oppression s’intensifie, la discrimination s’amplifie. Ce n’est guère un hasard. Le prompt élargissement de l’Union européenne à certains pays très pauvres de l’Europe de l’Est, obéit à une stratégie de camouflage, eu égard aux accords de Schengen.
Mais, le processus déclenché, depuis des décennies, ne peut être aliéné. N’en déplaise au FN ou aux nostalgiques de la France du XVIIIe siècle. Quelle histoire ! La France colonisée. Colonisée, non pas par des armes mais, par des sentiments, par l’amour. La puissance intrinsèque qu’ils ont attribuée aux Africains a fini par séduire certaines…
Mame Birame WATHIE
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