La situation est surréaliste. Pour la première fois dans l’Histoire politique du Sénégal, une élection présidentielle est purement et simplement annulée. Pouvait-on s’attendre à autre chose ? Non. Depuis une semaine, tout le monde voyait venir. Alors que rien ne presse, les députés ont été convoqués en procédure d’urgence pour créer le terrain à l’annulation de l’élection présidentielle. L’ordre du jour est irréel. Le timing choisi l’est aussi. Tout comme la cadence. En moins d’une semaine, tout est plié : réunion du bureau de l’Assemblée, conférence des présidents, commission des lois, plénière, installation de son bureau. Et hop, au boulot ! Pour assurer le service après vente, le président de la République, alors qu’il avait fait son message d’adieu, nous revient, le samedi midi pour nous annoncer l’abrogation du décret convoquant le collège électoral. A trois semaines de la date initialement retenue pour la Présidentielle, la coalition Benno Bokk Yakaar -à distinguer nettement de la coalition «Amadou Bâ Président»- trouve du temps pour s’acoquiner avec l’ennemi d’hier, le Pds, afin d’installer une commission d’enquête parlementaire pour investiguer sur des allégations de «corruption» et de «conflit d’intérêt» visant deux juges du Conseil constitutionnel. Une parfaite mise en scène de pieds nickelés, tout droit sortis de la pègre libérale, pour, quoiqu’il en coûte, créer les conditions de la mise entre parenthèses de l’élection présidentielle. Vous cherchez une association de malfaiteurs ? Eh bien, vous êtes bien servis avec cette liaison dangereuse, Wallu-Benno !
La semaine dernière, lors de la mise en place de la commission d’enquête, l’on a entendu les députés de la Majorité répéter en boucle que le but de la manœuvre, c’est de laver l’honneur de Amadou Bâ. La vérité est que, à Benno, tout est fait pour justement torpiller sa candidature. Et bien pire que les opposants les plus radicaux. Zahra Iyane Thiam ne n’y trompe guère. «Quels plaidoyers (des députés, Ndlr) dénués de tout fondement, si ce n’est insulter notre intelligence, dans cette tentative de justification ? L’opposition est dans son rôle, mais quid de la majorité ? Le choix du candidat est définitif, l’élection inévitable et le gagnant issu de la volonté populaire. Il ne reste plus qu’à serrer les rangs pour BBY», tweete-t-elle sur X. «Ce qui se trame au-dessus de la tête des citoyens est un précédent inédit, grave et dangereux pour notre démocratie fondée sur l’Etat de droit», avait alerté l’ancienne ministre de la Microfinance et actuelle patronne de l’Asepex.
Amadou Bâ face à son destin
A la réalité, le but n’a rien à voir avec le supposé conflit entre le Législatif et le Judiciaire. Il s’est agi, pour Benno, d’user de tous les subterfuges pour faire barrage à la candidature de Amadou Bâ. Rien d’autre. Cette attitude de défiance frisant le mépris vis-à-vis de leur candidat ne date pas d’aujourd’hui. Lors de la cérémonie où a été rendu public le choix porté sur Amadou Bâ pour être leur candidat, tout le monde a dû remarquer la mine de cimetière de beaucoup de cadors de la Majorité, Macky Sall y compris. En petit comité, il se dit que Bâ, c’est le choix qui s’est imposé à eux. Par qui et comment ? Mystère ! En tout cas, la suite donne raison à ces mauvaises langues. Le Président sortant ne fait rien pour laisser la lumière à celui qui, jusqu’à preuve du contraire, est son candidat. Les inaugurations des chantiers inachevés, c’est pour Amadou Bâ. Celles des ouvrages finis, c’est pour lui. Alors que ça devait être l’inverse. Quand Karim Wade accuse des juges d’être corrompus par Amadou Bâ, il trouve, paradoxalement, soutien dans le camp de ce dernier. Mame Mbaye Niang, ministre du Tourisme, passe plus de temps sur les plateaux télé et réseaux sociaux à tourner Amadou Bâ en bourrique que dans son bureau. C’est son sport favori ! Du matin au soir, il ne fait que tailler des croupières au Premier ministre sans que rien ne lui arrive. Pour bien moins que ça, des hauts responsables de la Majorité ont été virés. Aujourd’hui, tous les forts en gueule de la fumeuse «Task force républicaine» ont déserté l’espace public. Ils se comptent sur le bout des doigts les ministres et Dg qui s’affichent ostentatoirement aux côtés de Bâ. En dehors de Abdoulaye Saydou Sow, Cheikh Oumar Anne, c’est le grand désert. Président du Cese, Abdoulaye Daouda Diallo affiche un soutien de façade. Pouvait-il en être autrement de la part de celui qui aura trainé le pied pendant plusieurs jours avant, du bout des lèvres, de déclarer être du côté du candidat choisi par Benno ? A la vérité, l’ennemi de Amadou Bâ, ce n’est ni Bassirou Diomaye Faye, ni Habib Sy, mais bien Benno Bokk Yakaar !
Quid de Amadou Bâ, lui-même ? Avait-il mesuré les risques encourus en acceptant d’être le candidat d’une coalition qui a atteint son apogée ? Avait-il sous-estimé les risques d’être candidat d’un Président qui, à la vérité, voulait bien tenter un troisième mandat mais qui a été rattrapé par la réalité politique du terrain ? Avait-il sous-estimé la capacité et l’influence qui sont encore celles du Président sortant ? Avait-il pesé et sous-pesé la capacité de nuisance des lobbies et autres groupes de pression qui rôdent autour de ce dernier ? Nous pensons que non ! Sinon, parallèlement à son acquiescement pour être le candidat, Bâ aurait négocié son départ de la Primature pour avoir une plus grande marge de manœuvre. Mais, lui aussi a voulu ruser, garder les privilèges du pouvoir et surfer sur les réalisations infrastructurelles de son mentor qui, non seulement, continue d’en revendiquer la paternité en inaugurant et toujours inaugurant des ouvrages mais le confine à chaque conseil des ministres à des tâches subalternes de coordination de ministres qui ont cessé de lui obéir depuis fort longtemps en allant recevoir directement leurs directives du Palais. Conséquence : tout l’actif pour le Président sortant ; le passif pour le candidat-PM, perçu comme celui qui, une fois élu, va incarner le troisième mandat de Macky Sall. Avec toute la charge négative qui va avec. Lui-même, pour ne pas irriter le patron, ne fait rien pour démontrer le contraire. Il s’enfonce même en déclarant, tout de go, que le Pse sera sa boussole. Alors, grand bien lui en fasse ! De toutes les façons, il lui faudra, un jour ou l’autre, apprendre à faire face à son destin. Soit il prend son courage à deux mains, comme Macky Sall en 2008, soit il continue à avaler les couleuvres au sein de Benno et acceptera la contrepartie de se faire broyer par l’impitoyable machine du «Macky-système» qui ne lui fera aucun cadeau.
Ibrahima ANNE