Chapitre premier : Aïcha, la belle innocence
Anthony Fernando dit : «Ne confonds pas ton chemin avec ta destination. Ce n’est pas parce que c’est orageux aujourd’hui que cela signifie que tu ne te diriges pas vers le soleil.»
Partie Aicha
J’entends quelqu’un s’approcher, s’assoupir à côté de moi et commencer à pleurer, sans que je n’arrive à ouvrir les yeux. J’ai tellement mal à la tête que je crois qu’elle va exploser d’une minute à l’autre. Et cette odeur forte de je ne sais quoi. Mais, ce qui me fait encore plus mal, c’est mon corps, comme s’il avait été percuté par un camion. J’essaye de bouger mais reste terrassée par la douleur déchirante de mon entrejambe. Mon Dieu ! Que s’est – il passé ? Je me force à ouvrir finalement les yeux. Et c’est ma mère que je vois, le visage complétement dévasté. Je n’arrive pas à parler, je crois que je suis en état de choc. Les larmes de ma mère coulent à flots et elle tremble de tout son corps. Elle murmure : Wassanam (pardon).
Un an plus tôt…
1 Présentation
Je m’appelle Aicha Ndiaye, j’ai quinze ans et je suis sérère. Ma haute taille, enveloppée par un teint noir, laisse transparaître mes traits fins. A cet âge, les jeunes filles ne se préoccupent que de deux choses : leurs apparences et les hommes, il paraît que c’est la puberté. N’importe quoi ! Je préfère pour ma part me concentrer sur mes études et découvrir plus de nouveautés. Et quand je n’étudie pas, je passe mon temps dans les champs avec mon père. Grâce à ce dernier qui donne une importance capitale à son ethnie, je connais ma culture et mes aïeux par cœur. En fait, je suis de la tribune des Niominkas qui représente une partie de la dynastie Guelwar restée dans les îles du Saloum et sur la petite côte. Le métissage culturel du Niominka fait de lui une synthèse du paysan et du pêcheur : il s’adonne ainsi à des activités de pêche, de culture (riz, mil, arachide), et d’élevage (bœufs, petits ruminants). Les sérères sont des migrants, raison pour laquelle, on les trouve installé un peu partout dans le Sénégal particulièrement au Sine et au Saloum. Cet esprit d’indépendance parfois très prononcé fait qu’ils ont réussi à se faire une place importante dans la société sénégalaise. En effet, ils forment, en nombre, la troisième ethnie du Sénégal, après les Wolofs et les Peuls ; environ un Sénégalais sur six est d’origine sérère.
Ma ville natale est Fatick. Elle se trouve dans la partie Ouest du bassin arachidier et englobe le Delta Saloum, et son parc national. Fatick est arrosée par le fleuve Saloum et son affluent, le Sine. Ma ville est très belle puisqu’elle est traversée par des ilots interconnectés par les chenaux appelés « bolongs » et bordés de mangroves qui laissent parfois entrevoir des amas artificiels de coquillages fixés par des baobabs. J’adore ma ville et mon métier de guide durant les vacances m’a permis de connaître par cœur l’histoire, les coins et recoins de toute la région. D’ailleurs, j’ai hâte que l’école se termine pour convaincre mon père de me laisser travailler à l’hôtel encore une fois. La première fois, il avait juré que ce n’était que pour cette fois-là. Mais je réussi toujours à l’amadouer à ma manière au grand dam de maman qui est très hostile à ce métier. C’est mon frère Menoumbé, qui travaille là-bas comme maître d’hôtel, qui m’avait présenté au responsable. J’avais eu beaucoup de chance parce qu’il y avait des touristes anglais qui séjournaient à l’hôtel en ce moment-là. Avec mon anglais courant, j’avais commencé dès le lendemain. Il faut dire que niveau langue, je suis bien callée. Mais ce n’est pas seulement en langue que je suis douée. Ce n’est pas pour rien si certains m’appellent Einstein, d’autres la surdouée. Je suis première dans toutes les matières, sauf le sport. Mon prof de maths voulait que je tente le concours d’entrée à Mariama Ba, une école de filles qui regroupe les meilleures élèves du pays. Malheureusement, mes parents hyper-conservateurs ont refusé ; je n’ai pas insisté de peur qu’ils me retirent carrément de l’école. Déjà que cela a été dur de les convaincre de m’y faire entrer. J’ai d’abord était au ‘daara’ (l’école coranique) où j’ai terminé plutôt que les autres. J’avais huit ans quand mes parents m’ont inscrite à l’école. J’ai vite rattrapé les élèves de mon âge du fait que j’ai sauté la classe de CM1 et plus tard, celle de la cinquième. Avec les prix que j’ai raflés, j’étais devenue une fierté pour mon père, mes oncles et le quartier. Les sœurs et femmes de mes oncles, quant à elles, me détestent. Allez savoir pourquoi ? On ne peut pas séparer la femme de la jalousie et de la mesquinerie, elles vont de pair.
Revenons à nos moutons, j’habite dans le quartier appelé « Ndiaye Ndiaye » d’où mon nom de famille. Ce quartier est typiquement sérère et il s’est agrandi au fil des ans avec la naissance de « Ndiaye Ndiaye 2 » qui n’est qu’un prolongement de « Ndiaye Ndiaye 1 ». La famille Ndiaye, la mienne, fait partie des familles fondatrices qui ont érigé ce quartier, c’est pourquoi elle détienne une grande partie des terres arables.
Ma mère est commerçante. Elle a une boutique située au niveau du marché où elle vend des tissus de tout genre. Son commerce fleurit chaque jour un peu plus. Il y a cinq ans, elle a acheté une machine à coudre avec l’argent de la tontine à laquelle elle a participé. Aujourd’hui, c’est elle qui coud tout ce que je porte. Maman n’est pas d’ici, elle est originaire de Kaolack où son père était allé vivre très jeune, faisant serment de servir un grand marabout Niassène. Avant de se marier avec mon père, maman occupait la fonction de domestique pour une des femmes du marabout. Elle a, à l’occasion, appris par cœur le Coran et ses préceptes. Mon père l’a rencontrée à l’ouverture du Gamou annuel de Niassène. Etant un cousin proche de la famille, il n’avait pas rencontré trop d’obstacles pour demander sa main. A la fin du Gamou, comme chaque année, le marabout de la cité, unit des milliers de personnes lors d’une cérémonie spéciale. Mon grand-père maternel, qui était devenu un des fervents talibés du grand marabout, avait rejeté toutes les coutumes et traditions du mariage sérère pour appliquer celles de la charia islamique. Un mois plus tard, ma mère, escortée par sa mère et sa tante, rejoignit le domicile conjugal à Fatick sans aucune festivité au grand dam de sa belle-famille qui croyait dur comme fer à leur tradition. Dès lors, elle fut rejetée, traitée avec mépris et surtout comme une étrangère. Aujourd’hui encore, après 20 ans de mariage, sa belle-famille continue de lui lancer des piques à chaque fois que l’occasion se présente. Comme c’est le cas aujourd’hui avec le mariage de ma cousine Dibor Ndiaye.
Pour mieux comprendre pourquoi ma mère a été rejetée dès le début par sa belle-famille, il faut connaître l’importance que revêt le mariage dans la société sérère. Il est célébré en grande pompe et dure généralement quatre à six jours. Mais ici, à Ndiaye Ndiaye, la célébration dure une semaine et commence le mercredi pour finir le mardi.
Le premier jour correspond à « l’éède » qui signifie en sérère la pesée. Comme son nom l’indique, les femmes initiées du village déterminent secrètement le nombre de kilos de mil qui sera utilisé lors de l’initiation de la mariée. Le jeudi, après une cérémonie appelée « ASS », la mariée quitte sa maison vers 22 heures pour aller s’installer dans le domicile conjugal. Cette cérémonie est riche en émotion car le père de la mariée fait un témoignage à l’endroit de sa fille, à la suite de quoi les proches parents, les amis, les voisins… prennent tour à tour la parole pour encourager la mariée tout en la prévenant des difficultés qu’elle devra surmonter pour enfin lui enjoindre de tout faire pour satisfaire son mari. Toujours lors de la cérémonie « ASS », une somme d’argent est réclamée par les « thiamigne » (frères et demi-frères de la mariée) afin qu’ils consentent à livrer la mariée drapée d’un long pagne blanc. Une fois chez son mari, une autre cérémonie dénommée « maagne » a lieu juste devant la porte de la maison du marié. Celle-ci est animée par les femmes initiées du quartier qui, chantant et dansant sous le rythme des tambours, versent, à tour de rôle, du mil sur la tête de la mariée. Le mil, en référence à sa valeur symbolique qui renvoie à la prospérité, est utilisé pour leur souhaiter un mariage prospère. Juste après cette cérémonie, la mariée est isolée dans un endroit aménagé dans la maison pour les besoins de l’initiation ; elle y restera jusqu’à l’aube. Le lendemain, c’est-à-dire vendredi, elle est transférée dans une chambre de la maison autre que celle de son époux. Cette chambre est exclusivement réservée aux femmes initiées et même le mari n’a pas le droit d’y accéder. C’est samedi qu’a lieu généralement la nuit de noces qui est l’un des moments phares de la célébration du mariage. Le lendemain, si la femme est vierge, la nouvelle est annoncée dès l’aube par des sons de tambours et le drap est montré en guise de preuve. Le cas contraire serait un déshonneur pour toute la famille. Durant toute la journée du dimanche, on lui chantera ces louanges. Le lundi a lieu une cérémonie symbolique dénommée lavage d’habits, effectuée au puits « thiossane » situé à quelques encablures du quartier. A cette occasion, quelques habits sales de la maison du mari sont lavés par la mariée, assistée par toutes les femmes initiées du quartier. C’est au terme de cette cérémonie que prend fin l’initiation et la femme aura ainsi le droit de se dévoiler au grand public. Aux sons des tambours annonciateurs, les habitants du quartier se ruent massivement au puits pour accompagner la mariée vers sa nouvelle demeure. Enfin le mardi, la mariée débute officiellement ses tâches ménagères en préparant un repas copieux pour les invités. Elle sera aidée de près par les femmes initiées qui resteront avec elle jusqu’au soir pour une dernière séance de révision des règles apprises lors de l’initiation.
Voilà, vous connaissez maintenant le déroulement du mariage sérère. Ces rites ont une grande importance pour cette communauté, de ce fait le mariage de ma mère a été très mal accueilli. Pour les sérères, le mariage traditionnel amène la prospérité et la fécondité dans le foyer. Quand ma mère est restée trois ans sans enfanter, on donna à mon père une autre épouse sérère qui habitait dans le village. Ma mère m’a raconté que ce dernier mariage dura à peine cinq mois. Les sœurs de mon père disaient que ma mère avait marabouté mon père. Mais au fond, tout le monde savait que mon père adorait sa femme plus que tout. Il s’était remarié sous la pression de la famille, mais à la surprise générale, ma mère tomba enceinte de Menoumbé. Et comme vous pouvez l’imaginer, le second remariage dura le temps d’une rose, ce que ces belles sœurs ne pouvaient digérer. Elles vont encore plus la haïr quand elle refusa catégoriquement de les décorer comme cela devrait se faire le jour de mon baptême. Ainsi, de fil en aiguille, elles sont devenues les pires ennemies du monde. Il ne se passe pas une semaine sans qu’elles ne se crépitent pas le chignon. Ces conflits avaient fini par déteindre sur les enfants et aujourd’hui la maison est devenue invivable. Mon père, comme ses frères, la déserte au maximum pour ne pas avoir à prendre parti. Seul mon feu grand – père avait le pouvoir de faire régner la paix dans cette grande demeure des Ndiayènes.
En tout cas, ma mère et moi avons de plus en plus de mal à supporter mes tantes qui trouvent toujours un moyen de nous critiquer. Je sens que je vais encore les énerver quand je réussirais à décrocher mon brevet des collèges avec brio. En parlant de cela, il faut que je m’éclipse encore pour aller réviser. Ce mariage ne tombe vraiment pas à pique, nous sommes à dix jours de l’examen et j’avais déjà raté une semaine de révision. Je me lève soudainement prétextant aller aux toilettes et je bifurque vers la droite croyant que personne ne m’avait vue. Je me dirige rapidement vers la maison de Moussa et y entre en trombe. J’ai de la chance qu’elle ne soit qu’à quelques pas de ma maison ; dès que l’occasion se présente, je pars réviser là-bas. Si je me fais prendre par ma mère, elle va me déchiqueter. A l’arrivée, je trouve comme toujours le père de Moussa assis sur sa chaise brocante en train de lire son journal.
– Nou yongua diam ? (Passez-vous une journée paisible ?)
– Diam soom kay, nam fiyo ? (Oui, nous sommes en paix, comment vas-tu ?)
– Mékhé méne ! (ça va).
– Tu es très belle aujourd’hui comme toujours, comment se passe la fête ?
– Très bien mon oncle, d’ailleurs il ne manque que vous.
– Oui, oui je m’apprête à y aller.
A cet instant, Moussa sort de sa chambre et vient vers nous. J’oublie de suite son père pour parler avec mon ami des révisions du Bfem.
– Hé Aïcha, tu as une heure de retard.
– Si tu savais toutes les choses que j’invente pour venir réviser au moins une heure ou deux par jour. Ne perdons pas de temps, prends tes cahiers.
Nous nous asseyons sur la véranda et ouvrons le cahier de SVT. A peine ouvert, je vois le visage de Moussa se décomposer.
– Aicha Ndiaye, je peux savoir ce que tu fais seule dans une maison avec un homme.
Je sursaute et lève la tête. C’est Badiène Mbène, la grande sœur de mon père et l’ennemie jurée de ma mère, je suis foutue. Elle me regarde avec tellement de dégoût que j’avale ma salive avant d’oser ouvrir la bouche. La poisse.
– Moussa est un camarade de classe, nous ne faisons rien de mal à part réviser notre….
– Tais-toi, sale dévergondée. Tu crois que c’est normal de rester seule dans une maison avec un homme et d’être si collée à lui. Tu vas finir par nous déshonorer si on te laisse faire
– On ne fait que réviser, en plus son père est dans la chambre.….
– Tais-toi, telle mère telle fille, aucun respect pour nos traditions. Au lieu d’honorer ta cousine de ta présence, tu te caches ici pour faire je ne sais quoi.
Je la regarde agiter ses mains, gesticuler de gauche à droite et parler très fort pour se faire entendre. Je vais encore me faire gronder. Je déteste cette femme autant qu’elle me haie, shim. Je rêve dès fois de la chicoter mais c’est ma badiène (tante), je ne peux rien faire à part encaisser.
– Qu’as-tu à me regarder avec mépris, hamadi ba dof (impolie va).
Sans même écouter les explications du père de Moussa, elle me prend violemment la main et me dirige avec force dehors. Elle va encore faire un scandale chiiii. Arrivée devant ma mère, elle me jette de toute sa force par terre. Elle pointe un doigt accusateur sur elle avant de s’écrier :
– Au lieu de rester-là à parloter, surveilles sur ta fille. Si seulement tu pouvais imaginer l’endroit où je l’ai trouvée en train de faire je ne sais quoi.
Toutes les femmes présentes à la cérémonie me regardent avec horreur. Ce qui est normal vu la manière dont elle a présenté les choses, comme si j’avais fait quelque chose de mal. Je tente donc une dernière fois de m’expliquer.
– Si réviser ses cours est quelque chose de mal, alors où va le monde ?
– Tais – toi sale effrontée. Tu vois comme tu as mal éduqué ta fille, lance-t-elle à ma mère, avec ces pommes bien hautes, elle devrait être mariée depuis longtemps, au lieu de passer son temps à se dandiner dans les rues du quartier.
– Va rejoindre tes amies ma fille, me dit ma mère avec sa voix douce et calme. Quant à toi Mbène, tu devrais réfréner ta colère envers Aïcha. Si aller à l’école est un pêché, alors je me demande pourquoi tu milites farouchement pour le maire de la ville dont le combat principal est de scolariser les filles à l’école.
– Hi cheytane, ne me mets pas en mal avec mon mentor. Moi j’attire ton attention sur le fait que ta fille se dévergonde chaque jour un peu plus. Je l’ai trouvée seule dans une maison avec un homme et dans une position très compromettante.
– Je suis sûre qu’il s’agit de Moussa, son camarade de classe, ils n’étaient même pas seuls ; mais tu as toujours une façon bien à toi de déformer la vérité.
PAAF, la gifle de badiène Mbène ne s’est pas fait attendre. Choquée, je suspends ma respiration. La seconde d’après, ma mère répond par une autre plus cinglante. La gifle est tellement forte que le « moussore » (tissu coiffé sur la tête) de tante Mbène s’envole. J’ai vu ma mère attacher son moussore sur les reins avant que l’attroupement de femmes ne la fasse disparaître. Mon père, plus surpris que moi, n’arrivait pas à se lever de sa chaise alors que certains hommes couraient déjà vers la bagarre pour éviter que cela ne dégénère. Il a fallu près d’une heure pour calmer les esprits, je n’arrive pas à croire à ce qui venait de se produire. C’est parti tellement vite ; et voir pour la première fois ma mère réagir avec une telle violence et affronter la doyenne de la maison était juste incroyable.
Une heure plus tard, on ne parlait que de cela et dans ce quartier, où il se passe rarement quelque chose, c’était l’évènement de l’année. J’attendais avec beaucoup d’appréhension notre retour et pour la première fois de ma vie, je n’avais pas hâte qu’une fête se termine. Je sens que je vais avoir la raclée de ma vie. Le reste de la fête se passa dans une ambiance glaciale où ma mère et ma tante se regardaient en chiens de faïence. Après le déjeuner, servi très tard, les hommes quittèrent la maison pour aller s’installer, comme à l’accoutumé, sous l’arbre à palabre. Les femmes, quant à elles, devaient se retrouver autour d’une ronde pour une dernière mise au point. Les mères des deux nouveaux mariés avaient rapporté leurs griottes et chacune devait montrer, à sa manière, que son enfant était le meilleur de tous. Et comme vous pouvez le deviner, l’argent allait encore couler à flots. Comme ma mère, je n’aimais pas ce genre de cérémonie où l’on faisait du « m’as-tu vu ». Je ne comprendrais jamais le fait de gaspiller autant d’argent dans les fêtes alors qu’on a du mal à assurer le repas de tous les jours chez soi.
– Ma fille !
Je sursaute en entendant la voix de mon père derrière moi mais quand je me retourne et que je vois son sourire, les battements de mon cœur se sont ralentis.
– Appelles ta mère s’il te plaît, chuchote-t-il.
– Je jure, papa, que j’étais juste en train de réviser et….
– Chut, ne t’inquiètes pas, je ne t’en veux pas ; je te connais assez pour savoir de quoi tu es capable. Vas-y !
Je lui souris avant d’aller vers maman. Elle se lève, s’excuse auprès des invités et me suit de près. Je n’osais pas lever mes yeux vers elle. Quand nous sommes arrivées devant mon père, maman a commencé à s’expliquer elle aussi. Comme il venait de le faire avec moi, mon père la rassura.
– Je n’ai pas besoin d’explication, j’ai tout entendu. Cette fois-ci, elle est allée trop loin. En voulant nuire à la réputation de ma fille devant tout le quartier, elle m’offense moi. Je réglerai tout ceci plus tard dans la soirée, je voulais juste te dire de rentrer avec Aïcha à la maison.
– Mais il y a la cérémonie de…..
– Je sais et ce sera juste une occasion de te dénigrer et t’insulter comme elle a l’habitude de faire. J’en ai marre de tout cela ; là je suis vraiment en colère contre elle, c’est trop.
De plus en plus surprise, je regarde mon père qui, pour la première fois, est de notre côté.
– D’accord, je reviens tout de suite, dit maman en bégayant, aussi étonnée que moi.
– Non ce n’est pas la peine, si Mbène te voit prendre congé, elle va encore t’attaquer verbalement. Rentrez !
Ma mère essuie furtivement une larme en regardant mon père avec beaucoup d’amour.
– Wassanam (pardon) chuchote-t-elle à l’endroit de mon père avant de me prendre la main pour partir. Je sentais à quel point elle était émue car c’était la première fois que mon père prenait notre défense contre sa famille.
Durant le trajet du retour, ma mère ne disait rien et je n’osais rompre le silence. Quand nous sommes arrivées à la maison, il n’y avait encore personne et ma mère se dirigeait vers sa chambre sans m’adresser mot. Le cœur meurtri, je rejoignis la mienne et m’étendit sur mon lit. Je méditais sur ce qui venait de se passer quand, soudain, maman entra dans la chambre et me tendit mes cahiers. Surprise, je l’interrogeais du regard.
– Va réviser chez Sigua et tu peux rester là-bas jusqu’à la fin de ton examen.
– Ah bon, pou…pour….pourquoi ?
– Parce que tu as déjà raté une semaine de révision. Je souhaite que rien ne vienne perturber les jours qui restent. J’ai déjà averti ton père et il est d’accord. Demain à la fin des cours, je passerai parler avec Soukey (la mère de Sigua, en même temps sa meilleure amie).
– Je ne sais pas quoi dire maman, wassanam.
– Si tu restes ici, ta tante va te mener la vie dure après l’affront que je viens de lui faire au mariage de sa fille, donc c’est la seule solution, le temps de régler une bonne fois pour toute ces histoires.
Elle me prend dans ces bras et me lance avant que je ne sorte :
– N’oublies pas de prendre quelques affaires pour deux semaines.
Quand je fus seule, je fis une danse sérère et me dépêchais de faire mes affaires. Ayant peur que ma mère ne change d’avis, je sortis précipitamment de la maison avec ma petite valise toute excitée d’aller dans une maison autre que la mienne. A quinze ans, la fougue de la jeunesse nous rend inconsciente des évènements qui se passent autour de nous. La seule chose qui nous intéresse est la découverte de nouveautés. A cet instant, j’ignorais encore que ma vie était sur le point d’être complétement chamboulée.