La justice française a donné une suite à la plainte de Karim Wade pour «détention arbitraire», laquelle a été déposée, par les avocats de Wade-fils, auprès du Tribunal de grande instance de Paris, depuis février dernier. Dans la confirmation adressée, par correspondance, aux avocats de l’intéressé, il est fait état de ce que la recevabilité de ladite plainte va donner lieu à l’«ouverture d’une procédure judiciaire», devant le juge d’instruction français.
Et même «des auditions et mandats d’arrêt ne sont pas exclus», selon les avocats de Karim. Plusieurs personnalités sénégalaises sont visées dans la plainte. «Les personnes qui ont contribué à l’arrestation et au maintien en détention de Karim en passant par celles qui ont rendu les décisions de justice à son encontre», confie un des initiateurs de la procédure. A ceux qui invoquent la clause de «l’autorité de la chose jugée» pour dire qu’une même affaire ne peut pas être jugée deux fois, il oppose l’argument selon lequel «le juge d’instruction ne statue pas sur le fond du dossier, mais uniquement sur la forme».
L’audition des personnes ciblées se fera dans les prochains jours, dans le cadre de l’instruction. Au premier chef, le président de la République, Macky Sall, est visé dans la plainte de Karim pour «détention arbitraire». Toujours chez les dignitaires de l’actuel régime qui incarnent l’Exécutif et qui sont dans le viseur des juges français, il faut mentionner l’actuel ministre de la Justice (Sidiki Kaba) ainsi que l’ex-Garde des Sceaux, Aminata Touré. S’y ajoute le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo. Toutes choses qui font que certaines personnalités visées dans l’enquête encourent une interpellation, une fois sur le sol français, comme ce fut le cas dans l’affaire du bateau Le Joola, avec l’arrestation éphémère d’un fonctionnaire sénégalais dans un aéroport de Paris. Il y a eu également le cas Guillaume Soro…
Les avocats de Wade-fils ont aussi ciblé les anciens procureurs spéciaux Alioune Ndao et Antoine Félix Diome. Le premier est devenu avocat général près la Cour d’appel de Dakar, le second nommé agent judiciaire de l’Etat.
Des mandats d’arrêt ne sont pas exclus
L’actuel procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Cheikh Tidiane Mara, va aussi s’expliquer devant le juge d’instruction français, dans les prochains jours. Toujours sur la liste des candidats à l’audition, il faut ajouter les magistrats (juges et procureurs) ayant rendu la décision de condamnation à l’endroit de Karim et participé à l’instruction du dossier.
Devant la pluralité des personnalités sénégalaises sur la longue liste, la question est de savoir de quelle marge de manœuvre dispose la justice française pour inquiéter d’abord un président en exercice, ensuite, des ressortissants d’un pays souverain. Mais cette préoccupation se heurte, selon un avocat de Karim Wadd, aux principes du Droit international qui excluent toute immunité en la matière. «L’immunité ne joue pas dans le cas d’espèce. La détention arbitraire est un crime international», confie-t-il. Et l’interlocuteur de Walf Quotidien de rappeler ces cas d’anciens chef d’Etat français et ministres français inculpés.
Cette nouvelle donne survient après plusieurs décisions favorables à Karim Wade auxquelles l’Etat n’a pas donné la suite attendue par la partie adverse. Il y a eu, d’abord, l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao au sujet des interdictions de voyage signifiées aux dignitaires de l’ancien régime. La juridiction communautaire avait, en son temps, exigé l’annulation de cette décision purement administrative que le seul le juge a le pouvoir d’ordonner. Ce furent, ensuite, les deux décisions du Groupe de travail des Nations-Unies qualifiant l’emprisonnement de Wade-fils de «détention arbitraire» à tout point de vue, avant de demander sa libération suivie d’indemnisation à hauteur du préjudice. Puis, il y a eu la position de ce membre du Congrès américain qui rejoint les précédentes décisions prononcées par les juridictions communautaires et internationales.
Le contrefeu a fait long feu
Pour amener la Justice française à ne pas donner la suite judiciaire attendue à la plainte de Karim Wade, l’Etat du Sénégal avait pourtant mobilisé l’agent judiciaire de l’Etat et ses avocats et les avait envoyés à Paris aux frais du Trésor public, pour qu’ils y tiennent une conférence de presse qui n’était en fait qu’un contrefeu. En effet, tout laisse croire que la révélation des avocats de l’Etat et de l’agent judiciaire de l’Etat, sur les 17 milliards recouvrés, n’était qu’un «moyen de pression» sur la justice française dans le sens de l’amener à déclarer «irrecevable» la requête des avocats de Karim Wade. Mais, leur tentative aura fait long feu. Trop peu pour faire plier les magistrats français en charge du dossier.
En attendant que les magistrats français finissent d’instruire le dossier et décident de l’opportunité de l’organisation d’un procès, le président Macky Sall doit se faire du mauvais sang. Lui qui avait cru s’être débarrassé de l’affaire Karim Wade après que la Cour suprême l’a débouté et confirmé sa condamnation par le tribunal d’exception qu’est la Crei, le voilà rattrapé par ce dossier qui n’en finit pas. Un dossier dans lequel il ne fait qu’accumuler des revers au niveau international.
Un autre qui doit se sentir dans ses petits souliers est sans aucun l’ambassadeur de France au Sénégal qui avait condamné Karim Wade avant même que la Crei ne rende son verdict et qui avait semblé dire récemment que la nationalité française de ce dernier ne pouvait peser lourd dans la balance.
En tout état de cause, cette succession de défaites, qui acculent l’Etat du Sénégal dans le dossier Karim Wade, ne traduit-elle pas un «échec apparent» de la traque des biens supposés mal acquis ?
WALF