Va-t-on vers un branle-bas dans l’écosystème du Lac Rose ? La situation qui y sévit autorise cette interrogation. Le protocole d’accord signé entre la direction des eaux, forêts, chasses et de la conservation des sols et la Société de bâtiment moderne et de travaux publics (Sobamo-Tp) pour l’écrêtage de dunes de sables nues (dépourvues de toute plantation ou végétation naturelle) sur le site de Niague- Lac rose dans le périmètre de restauration du lac Retba, fait à Dakar en février 2015, est perçu comme un moyen de détruire très vite le micro-climat qui règne autour du lac.
Mais, également, tout l’écosystème de Niague village qui abrite le Lac Rose. Sur le site de 27 ha 57 à 73 ca, cohabitent hôtels, commerçants du village artisanal, deux villages, Niague Peul et Niague wolof. A quelques mètres, une bande de filaos qui longe le village et le sépare de la mer. Mais depuis octobre que la société Sobamo-Tp a démarré l’exploitation du sable de dune, populations, hôteliers et marchands d’art ne dorment plus. A la minute, 20 camions transportant du sable quittent les carrières, direction : Dakar, traversant le village à vive allure. Sur place, ce sont des centaines de camions qui attendent d’être remplis. La pelle mécanique ne chôme pas du tout. Le chargement des camons se fait sous le regard du chef du service des mines et du responsable des Eaux et forêts. Mapathé Wade alias Baye Fall, vice-président du syndicat d’initiative du tourisme du Lac rose et gérant d’hôtel revient sur la vie autour du lac et les dangers que ces pilleurs de dunes ont installés dans le village touristique. «Pour revenir à l’histoire, on sait que le Lac rose est un bras de mer que les mouvements dunaires ont enclavé au 15e siècle. Il était donc devenu un lac bleu et salé à la fois. Ces dunes-là que vous voyez, c’est notre mur, notre palissade contre la mer mais aussi celle du lac. Vous savez très bien que la mer, située à 800 mètres, est à plus ou moins 3 mètres au-dessus du Lac rose. Donc, dès les années 1963, un cordon de filaos avait été installé pour arrêter l’avancée de la mer. Ensuite, il y a eu deuxième cordon de filaos qui avait été installé en 1979 par les Eclaireurs du Sénégal, pour toujours renforcer ces dunes de sable et lutter contre l’avancée de mer», détaille le président du syndicat d’initiative. Lui et ses camarades ne savent plus comment les autorités en charge de la gestion des sites naturels tels que le lac ont-ils pu le livrer aux pilleurs. «Je ne sais au nom de quelle loi le service des Eaux et forêts ou un ministère ou le président de la République a autorisé des gens à couper ces filaos. Allez à Tivaouane Peulh, allez à Malika, il y a plus de filaos, la mer est en face des habitations. Les dunes de sable qui sont là ont servi pendant longtemps à rendre le lac salé et à attirer les coureurs du Rallye Paris-Dakar. Maintenant, qu’est-ce qu’on voit ? Un ballet continu de camions de sable. Et avec ces fossées qu’ils laissent derrière eux, je crois que le Sénégal est en train de favoriser un tsunami dans peu de temps. Cette mer-là, lorsqu’elle va déferler, aucune force ne pourra la retenir. Le Lac rose va disparaitre et la population avec», met en garde Mapathé Wade. Risque de tsunami Pour les responsables du tourisme, c’est une image qui n’est pas bonne pour le pays au moment où l’on parle de Sénégal émergent, au moment où on parle de développement du secteur touristique. «On permet ici, au Lac rose qui se trouve à 39 km de Dakar, que le tourisme soit dérangé avec un ballet continu de camions qui met à risque la quiétude des touristes et des populations. Imaginez un jour un des camions percuter un bus de la Fram ou d’une autre structure touristique ? Ce sera un scandale national. Malheureusement, on a toujours devant nous quelqu’un de plus fort, quelqu’un de plus gradé», indique le gérant d’hôtel. Mor Guèye, président du village artisanal du Lac rose est du même avis que les hôteliers. «Nous savons le danger que représente la présence de cette carrière de sable. Et nous avons tout fait pour empêcher l’exploitation du sable. Mais, vous savez que la force de l’argent est plus forte que nous… Avec les dunes qui sont en train de disparaître, l’eau va à coup sûr arriver sur nos hôtels. On arrivera à un moment où nous serons chassés par la mer. En compagnie des villageois, on a lutté de toutes nos forces, mais, notre combat n’a servi à rien», clame le président du village artisanal du Lac rose. Alors que la situation s’aggrave de plus en plus, les contestataires réclament l’intervention de l’Etat. «Le Lac rose est un patrimoine mondial avant d’être un patrimoine du Sénégal. Aujourd’hui, des centaines de personnes travaillent autour du lac. Il n’y a pas seulement ceux qui interviennent dans le marché artisanal mais, il y a ceux qui exploitent le sel, ceux qui font l’agriculture, il y a les hôtels. Le lac est menacé de disparition. Nous avons peur pour notre futur. Vous savez aussi que les touristes qui fréquentent les hôtels, viennent ici pour se reposer et découvrir notre beau pays. Mais, ici au Lac rose, on ne peut plus dormir tranquillement parce qu’on entend le bruit des machines à longueur de journée et de nuit», dit le président du village artisanal du Lac rose. Pape Mbaye, un habitant de Niague, dit n’avoir jamais connu une telle peur depuis qu’il est dans ce village où il est né. «Nous n’étions jamais aussi exposés. La route est envahie par les camions de la carrière. Les exploitants de tourisme, n’en parlons pas parce qu’ils n’ont plus de route calme ni de piste pour accéder aux dunes. 2 500 camions qui défilent dans un village tous les jours de 4 heures du matin à 19 heures, supplice ne peut être aussi grand pour nous qui avions l’habitude de journées tranquilles», se lamente le jeune du village.
Najib SAGNA