Depuis le mercredi 16 septembre 2015, le Régiment de sécurité présidentielle (Rsp) a interrompu le processus de transition en cours au Burkina Faso depuis novembre 2014. Depuis le lundi 21 septembre 2015, l’Armée régulière a entamé une action dont l’objectif serait de désarmer le Rsp et de rétablir la légalité au Burkina Faso.
La Cedeao a joué, depuis le début de la crise, et continuera certainement à jouer un rôle majeur dans la recherche de voies de sortie de crise à Ouagadougou. Mais il est important, afin d’éviter la décrédibilisation de l’organisation communautaire, que les actions de la Cedeao – au Burkina Faso ou ailleurs – soient guidées par des repères dont certains sont indiqués ci-dessous.
Respecter la volonté du peuple
Les évènements depuis près d’un an de crise multiforme indiquent clairement que le peuple burkinabè est déterminé à payer le prix qu’il faut pour que n’advienne plus jamais au Burkina Faso un pouvoir militaire, autoritaire et/ou personnel. Il l’a montré lors des soulèvements des 30 et 31 octobre 2014 qui ont conduit au départ précipité du président Blaise Compaoré, après un règne sans partage de plus de 27 ans. Malgré les coûts endurés -perte en vies humaines, nombreux blessés et biens privés et publics saccagés – ils ont tenu jusqu’à la chute du pouvoir du président Blaise Compaoré. Les Burkinabè le montrent encore en ce moment alors que des membres des forces du Rsp tentent de remettre en cause la transition prévue pour s’achever avec la tenue des élections législatives et présidentielle le 11 octobre 2015. Depuis le 16 septembre 2015, et malgré le nombre de morts et de blessés et des biens privés détruits, les Burkinabè montrent une fois encore leur détermination à en découdre avec quiconque qui tente de remettre en cause le processus de démocratisation en cours dans le pays.
Les Burkinabè ne s’opposent pas seulement au pouvoir personnel, qu’il soit militaire ou civil, ils souhaitent également voir s’établir au Burkina Faso, une société de justice, d’équité, de reddition des comptes et de paix. Voilà pourquoi transparaît, dans leur prise de position depuis environ un an, le soutien aux initiatives qui visent à amener les auteurs d’abus du pouvoir par le passé à rendre compte devant la justice et/ou politiquement. Voilà également pourquoi ils estiment inadmissible la pratique d’une sorte de politique de deux poids deux mesures que constituerait le maintien du Rsp au sein des forces de défense et de sécurité burkinabè. Voilà enfin pourquoi, les Burkinabè tiennent à ce que ceux qui ont été impliqués dans des évènements douloureux du passé du pays – tel que l’assassinat du président Thomas Sankara – rendent compte de leurs forfaits devant la justice du pays.
Il n’est donc pas surprenant que le peuple burkinabè ait manifesté sa désapprobation devant les propositions de sortie de crise de la Cedeao du 20 septembre 2015. Et toute intervention future de la Cedeao, et de tout autre acteur, devrait tenir un grand compte de la volonté du peuple burkinabè.
Rester cohérent par rapport à ses actes passés et aux textes régionaux et continentaux
Il est extrêmement important, pour la légitimité et pour accroître les chances d’effectivité de ces actions futures au Burkina Faso et ailleurs dans la région, que la Cedeao reste cohérente par rapport à ses actions passées ainsi qu’aux contenus des textes régionaux et continentaux… La Cedeao, dans un communiqué du 16 septembre 2015 sur la situation au Burkina Faso, conjointement publié avec l’Union africaine et les Nations Unies, a condamné avec la plus grande fermeté «cette violation flagrante de la Constitution et de la Charte de la transition et exigent que les forces de défense et de sécurité se soumettent à l’autorité politique et dans le contexte actuel aux autorités de la transition». Le lendemain, le Groupe international de soutien et d’accompagnement à la transition au Burkina Faso (Gisat-Bf), sous la co-présidence de la Cedeao, de l’Ua et des Nu, a mis en garde les auteurs du putsch et affirmé «qu’ils seront tenus responsables de leurs actes et de toutes les conséquences de ce coup de force». Cette position de la Cedeao est confortée par le communiqué du Conseil de paix et sécurité (Cps) de l’Ua qui, le 18 septembre 2015, a rejeté «avec force les actions persistantes d’éléments appartenant au Régiment de sécurité présidentielle (Rsp) visant à compromettre la transition [… assimile ses actions] à un acte terroriste [… et] souligne que les auteurs… seront tenus responsables de leurs actes et devront en rendre compte devant les juridictions nationales et internationales».
Ces positions sont, à nos yeux, plus que judicieuses dans la mesure où il serait illusoire d’imaginer l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso avec une intrusion périodique intempestive des forces de sécurité et/ou de défense. Ces positions sont également en harmonie avec les textes régionaux et continentaux. En effet, selon le protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001, «tout changement anticonstitutionnel est interdit» (art. 1er) et que «l’armée et les forces de sécurité publique sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées» (art. 20). L’Union africaine va même plus loin en insistant, à l’article 25 de sa Charte sur la démocratie, les élections et la gouvernance, sur le fait que même un Etat partie suspendu, à la suite d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement (comme c’est le cas avec le Burkina depuis le 18 septembre 2015), «est tenu de continuer à honorer ses obligations vis-à-vis de l’Union, en particulier celles relatives au respect des droits de l’homme», contrairement à ce qui a été observé au Burkina Faso ces derniers jours.
Voilà pourquoi, le projet de Protocole d’accord de la Cedeao du 20 septembre 2015, qui a littéralement tout accordé aux putschistes du Rsp, a jeté le froid, la consternation et surtout l’indignation aussi bien au Burkina Faso que partout ailleurs dans la région. Pour l’avenir, la Cedeao doit tenir compte du fait qu’il est extrêmement important que les propositions de sortie de crise soient en harmonie avec celles de l’Union africain et avec ses propres positions adoptées au début de la crise. En effet, le Cps-Ua, dans son communiqué du 18 septembre 2015, exprime clairement que «l’Ua ne reconnaîtra ni ne soutiendra aucun processus conduit en dehors de la transition lancée au Burkina Faso en novembre 2014» et souligne que «les auteurs de l’enlèvement et de la séquestration des autorités de la transition et de leur renversement… seront tenus responsables de leurs actes et devront en rendre compte devant les juridictions nationales et internationales compétentes». Que toute proposition perçue comme susceptible d’aider les responsables passés d’abus de pouvoir et de violence à échapper à la justice rencontrerait également l’opposition farouche de la part de l’opinion publique et des forces vives burkinabè. Ces derniers sont en droit d’y voir une prime à la mauvaise gouvernance, à la violation des droits fondamentaux des citoyens et des valeurs fondamentales de la démocratie – et une violation des principes et textes de la Cedeao.
Ce qu’il convient plutôt de faire est de s’assurer que ces personnes sont traduites devant la justice afin de rendre compte de leurs forfaits passés. A défaut, il faudrait au moins s’assurer que ces personnes ne profitent de la transition pour se dérober à leurs responsabilités. Enfin, que toute proposition allant dans le sens de la garantie de l’impunité aux membres des forces de défense et de sécurité responsables de la crise actuelle ainsi que leurs associés rencontrerait l’opposition de l’opinion publique et des forces vives burkinabè. En effet, cela résonnerait comme un encouragement à de futures intrusions de ces forces dans le processus de transition en cours et comme une épée de Damoclès qui planerait en permanence au-dessus de la jeune démocratie burkinabè. A défaut de pouvoir les traduire devant la justice pour l’interruption de la transition et les coûts qui en ont découlé pour les paisibles citoyens, il faudrait au moins un mécanisme garantissant que ceci ne se reproduirait plus jamais.
Mathias HOUNKPE
Chargé de Programme gouvernance politique à
Open Society initiative for West Africa (Osiwa)