CHRONQUE POLITIQUE
Macky Sall n’aime pas les critiques visant à mettre à nu son incompétence supposée, au point que ses proches pètent les plombs à chaque fois qu’Idrissa Seck s’y met. Et il abhorre tout autant celles tendant à prouver que sa gestion n’est non seulement pas sobre, mais qu’elle est, en plus, marquée du sceau de l’opacité la plus totale. Or, c’est ce à quoi s’essaient avec bonheur son ancien Premier ministre Abdoul Mbaye depuis qu’il est descendu dans l’arène politique avec la création de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) et Ousmane Sonko, l’inspecteur des Impôts et Domaines chef du parti Pastef. Et c’est sur quoi pourraient déboucher les investigations de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) sur les relations entre son frère Aliou Sall et Petrotim, si celles-ci arrivent à leur terme sous la direction de Nafi Ngom Keïta.
Idrissa Seck, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko et la ci-devant présidente de l’Ofnac ont en commun cette indépendance d’esprit dont s’accommodent difficilement les thuriféraires du régime. Alors, il faut les réduire au silence. Pour ce faire, l’ouverture d’une enquête judiciaire sur le protocole de Rebeuss sera agitée contre Idrissa Seck, puis remisée au placard de peur que cela ne finisse en eau de boudin. Avec Abdoul Mbaye, à défaut de pouvoir déterrer une affaire à milliards l’éclaboussant, c’est une simple affaire de divorce qui a été montée en épingle par un procureur aux ordres en vue de lui conférer une dimension de scandale. Alors qu’Ousmane Sonko a été suspendu de ses fonctions, avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête : celle d’une radiation du corps des fonctionnaires de l’Etat par une commission de discipline, elle aussi aux ordres, s’il continue ses révélations sur les graves et récurrents actes de mal gouvernance du régime de la seconde alternance politique. Pour Nafi Ngom Keïta, ils ne sont pas allés chercher loin : ils ont raccourci de huit mois son mandat.
Dans le cas de cette dernière, son départ a été justifié par la fin de son mandat. Officiellement, on excipe du fait qu’elle a été nommée par décret le 25 juillet 2013, pour annoncer que son mandat de trois ans est arrivé à expiration lundi dernier. On feint, cependant, d’ignorer qu’elle n’avait prêté serment qu’en mars 2014. Par conséquent, son mandat ne devait arriver à expiration qu’en mars 2017. Comme c’était le cas avec l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel. Nommé en février 2010 par décret présidentiel pour un mandat de six ans non renouvelable, il ne sera remplacé qu’en mai 2016 par l’ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Ucad, le Pr Ndiaw Diouf, au motif que son mandat n’avait pris effet qu’à compter de sa prestation de serment. C’est l’application de cette jurisprudence constante qui vient d’être refusée à Nafi Ngom Keïta.
La première présidente de l’Ofnac devait d’autant débarrasser le plancher que les autorités savent que cette dame de poigne n’allait jamais accepter de mettre sous le coude le rapport de cette institution sur l’affaire Petrotim, ni même d’en soustraire la moindre imputation d’une responsabilité délictuelle, si minime soit-elle. De même qu’elles n’ignorent pas qu’elle n’est pas, non plus, femme à divulguer des secrets d’Etat, ni même le secret des délibérations de l’Ofnac. Et que, quel que soit le résultat final des investigations sur l’affaire Petrotim, elle ne pipera mot de ce qu’elle en sait, dès lors qu’elle n’en assure plus la direction. Voilà pourquoi il leur a paru plus rassurant de la défenestrer à quatre mois de la publication du rapport de l’Ofnac sur ce dossier dans lequel le jeune frère du président de la République, Aliou Sall, est nommément cité. Mais Nafi Ngom Keïta s’astreindra à un devoir de réserve aussi longtemps que les fédayines de Macky ne s’évertueront pas à remettre en cause sa probité morale et/ou intellectuelle. Parce qu’elle tient à son honorabilité comme à la prunelle de ses yeux. Et avec elle, qui s’y frotte, s’y pique.
Les craintes de graves révélations dans l’affaire Petrotim provisoirement écartées, les autorités ne sont pas, pour autant, au bout de leurs peines. Parce qu’Abdoul Mbaye est déterminé à rester un vigile de la bonne gouvernance dans la gestion des ressources minières et énergétiques du pays. Et qu’il soit inculpé ou pas vendredi et qu’on le place sous contrôle judiciaire ou non, il continuera d’exiger la lumière sur tous les contrats de recherche et de partage de production d’hydrocarbures signés par le Sénégal depuis les découvertes de pétrole et de gaz, quand bien son insistance gêne beaucoup au sommet de l’Etat. Comme lui, Ousmane Sonko n’en a cure des menaces de radiation brandies par les autorités. Et ses déballages sur les scandales en matière fiscale et foncière vont continuer de plus belle, écornant un peu plus, à chaque révélation, l’image du régime.
Par Abdourahmane CAMARA
Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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