CHRONIQUE DE MOUSTAPHA
«Un peuple – Un but – Une foi». Telle est la devise de la République du Sénégal. Sur le site officiel du gouvernement sénégalais, on explique qu’elle symbolise notre volonté de vie commune, c’est-à-dire notre volonté (Une foi), d’unité (Un peuple), pour la construction nationale (Un but). Les paroles sont belles. Et l’écriture est claire. Mais dans la réalité de tous les jours, cette devise a-t-elle vraiment un sens ? Formons-nous un seul peuple ? Avons-nous les mêmes objectifs ? Les sujets débattus au Sénégal, particulièrement par la classe politique, poussent à se poser de telles questions.
Depuis plusieurs semaines, le débat politique tourne autour des supposés (ou réels) protocoles de Rebeuss et/ou de Doha. Un débat qui était venu supplémenter celui autour de la présidentielle de 2019 avec un chef de l’Etat qui se dédit pour faire un mandat de sept ans au lieu des cinq qu’il avait promis. Mais alors qu’on n’a pas fini de trancher le débat autour du «deal» qui a abouti à la libération de Karim Wade, l’élection des membres du Haut conseil des collectivités territoriales vient occuper l’espace médiatique. Et c’est le parti au pouvoir qui est le premier à étaler ses divergences. Donnant la preuve que ce qui préoccupe l’homme politique sénégalais, c’est avant tout la recherche de prébendes. C’est aussi la raison pour laquelle ceux qui sont épinglés par le premier rapport de l’Office national de la lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) continuent de vaquer tranquillement à leurs occupations narguant les organes de contrôle de la gestion des finances publiques. Et quand on aura fini d’épiloguer sur le cas Nafy Ngom Keita, il est certain que le pouvoir s’arrangera pour nous faire entrer dans une autre polémique comme celle sur la double nationalité. Ce, avec l’aide des médias devenus des complices passifs du pouvoir. Mais, qui est intéressé par ce débat ? Certainement quelques hommes politiques et personnalités de la société civile qui ne connaissent que leurs bureaux climatisés et les salles de rédaction des organes de presse.
Pendant ce temps, les débats qui devraient mobiliser tout le Sénégal n’intéressent personne. L’hôpital Principal traverse des difficultés. «Abass Ndao» est plus malade que ceux qui viennent s’y soigner. L’hôpital de Pikine va bientôt cohabiter avec des cantines. Les structures de santé de l’intérieur du pays manquent de tout. Les personnes handicapées sont laissées à elles-mêmes. Les eaux de pluies ont fini de couper des localités entières du reste du pays. L’éducation des enfants est plus que problématique…Tous ces sujets n’intéressent guère la classe politique. Encore moins les médias. Et quand le gouvernement en parle, c’est surtout après avoir sélectionné les faits en guise de propagande ou de manipulation. En réalité, tout se passe comme si les plus pauvres, les moins diplômés pouvaient être sacrifiés en toute impunité par un gouvernement qui, au lieu de resserrer les cordons de la bourse des dépenses, afin de gérer utilement le peu que le Sénégal produit, cherche plutôt à maintenir les Sénégalais dans l’ignorance et les futilités. Les Vacances citoyennes et les concerts qui l’accompagnent en sont une preuve. Alors que dans son livre «Il faut tout un village pour élever un enfant», Hillary Clinton avertit que «gaver les enfants de programme télé nuit à leur développement intellectuel et affectif», l’Etat du Sénégal finance et encourage danse, chant et lutte qui occupent presque tout l’espace médiatique.
Pourtant, malgré toutes les difficultés, le peuple sénégalais étonne par son manque de réaction alors que dans d’autres pays, les citoyens ont violemment manifesté pour moins que ça. Mais ce silence des Sénégalais devrait faire réfléchir n’importe quel dirigeant averti. Car soit les Sénégalais ont perdu toute capacité d’indignation, ce qui serait grave pour la démocratie. Ou bien alors les citoyens contiennent leur colère attendant le jour où tout va exploser. Ce qui serait encore plus grave. Et le Sénégal a failli le vivre le 23 juin 2011.
A lire chaque mardi…
Moustapha DIOP
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