CHRONIQUE DE MAREME
«La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine … mène à la souffrance.»
La révolte, Aicha
Quand je vis, au pied du lit, ma mère pleurer toutes les larmes de son corps, sollicitant mon pardon, alors je repris espoir, croyant mon calvaire terminé. Pendant que Yaye Daro me massait, ma grand-mère me faisait un bain adoucissant. Quant à ma mère, inconsolable, elle n’arrêtait pas de me dire combien elle était fière de moi. «Je l’avais honorée », répétait-elle.
Deux jours après, quand elle revint me voir, une pommade à la main, je compris que ce n’était pas la fin. Je me remémorai encore de ses phrases : « le corps d’une femme appartient à son mari, il a le droit d’en disposer comme il veut. Le fait de te refuser à lui est un pêché alors laisse le faire et un jour tu t’y habitueras.» Comment ? Avais-je voulu lui demander. Comment s’habituer à être violée tous les soirs par un homme sans cœur. Comment pouvait-on imposer cela à sa fille. Savait-elle au moins ce que je ressentais, ce que je vivais. Tous les soirs on m’humiliait et je devais me taire, ne rien dire, abdiquer. Un dégoût profond de moi-même, de mon corps, de ma vie m’envahissait, on m’abandonnait à ce sort ignoble. Si ma propre mère ne voyait pas ma souffrance alors j’étais comme condamnée.
Dans la demeure du maire, vivaient une de ses sœurs, ses deux femmes, et ses enfants (huit en tout). Tous entendaient mes cris le soir, tous voyaient mes larmes, tous me regardaient dépérir, mourir à petit feu mais personne ne pipait mot. Personne n’essayait de me comprendre, de me défendre, encore moins de me consoler. Bien au contraire ! Les matins, ce sont des sourires mesquins que je rencontrai, s’il m’arrivait de sortir. Je compris que nous vivions dans une société hypocrite ou l’argent primait sur tout : valeurs et devoirs. A cette pensée, un sentiment d’impuissance total se saisissait de moi, j’arrêtai de résister. Je me résignai.
Dans ta tête, tu te dis que si tout le monde est d’accord avec ce qu’il fait, alors pourquoi continuer à dire non ? Cela fait maintenant un mois que je subis les assauts de cet homme. Au lit, je reste figée, regardant le plafond, avec l’impression d’être une poupée, priant qu’il finisse vite. Cet homme m’a détruite et les mots sont trop faibles pour décrire ma douleur. C’est à cette période que j’ai commencé à refouler mes émotions. J’ai abandonné tout espoir et j’ai arrêté de ressentir la rage, la souffrance, le désir ou la joie. J’ai enfoui et refoulé dans mon inconscient ce que je vivais jusqu’à croire que tout était normal. A force de refouler la douleur, je me suis tuée à petit feu. Aicha est morte.
Le maire avait un langage démesurément outrageant. Pour n’avoir jamais entendu mon père insulter, voir cet homme sortir régulièrement des énormités m’impressionnait. Ses colères excessives à longueur de journée me laissaient sans voix. Je ne sais pas ce qui le poussait à être aussi désagréable envers sa famille. Femmes et enfants, tout le monde le craignait terriblement. Il ne disait jamais de mots gentils et se comportait comme le roi du monde. Tous les jours, nous supportions ses récriminations infondées, ses cris hystériques et ses insultes incendiaires. C’est fou comme l’apparence peut être trompeuse. Cet homme, si violent chez lui, était d’une extrême gentillesse à l’extérieur. De plus, je ne le voyais jamais prier et quand il me voyait le faire, il se moquait. Les vendredis, dans un immense grand-boubou, un interminable chapelet à la main, il allait à la mosquée. Pour les autres, il est un fervent croyant. On le respectait et l’adulait pour cela. Bref depuis deux mois, j’essayais de survivre dans ce monde où l’on prédisait la place de choix de la femme préférée du maire de Fatick. Parce qu’il était riche et maire, cet homme avait le droit d’abuser de moi tous les soirs sans que personne n’en redise. Presque chaque soir, il venait prendre son dû comme il le disait si vulgairement. Il n’avait aucun respect pour ses autres femmes qu’il avait pratiquement abandonnées depuis qu’il m’avait épousée. Sa première femme Codou était un peu déréglée mais d’une gentillesse démesurée. D’après ma bonne, elle commença à perdre la boule quand son fils a brutalement quitté la maison. Depuis, elle était sous observation et prenait des piqures. Par contre, sa deuxième femme Mame Anta était une vraie crue. Je ne vis, de ma vie, une femme aussi excentrique, hypocrite et imbue de sa personne. Devant son mari, elle était la plus gentille et la plus disponible mais quand ce dernier n’était pas à la maison, c’était l’enfer avec les domestiques et les enfants de Codou. Le pire était sa vulgarité et sa frivolité flagrante devant les invités habituels du maire. Ce dernier ne réagissait pas, au contraire, j’avais dès fois l’impression qu’il l’encourageait. Quant à moi, je devais, à son avis, me montrer plus joviale, plus vivante, en souriant de temps à autre. Il allait même jusqu’à me menacer quand je persistais à afficher une tête de mort. Dans ces moments, je le croyais vouloir juste flatter son égo. Si seulement je savais.
Nous avions l’habitude de prendre le déjeuner tous ensemble dans le grand salon. Au départ, je ne m’étais pas habituée aux fourchettes et couteaux. J’avais droit à un régime alimentaire spécial à base de crudité, de légumes et de fruits. Il disait ne pas vouloir me voir avec des vergetures ou un teint huileux à cause des repas traditionnels. Mais qui donc peut bien se passer du thiéboudieune, du mafé ou encore du soupekandja. Je soudoyais la bonne à chaque fois que cela était possible.
Un jour, il m’annonça, durant le déjeuner, qu’il allait m’amener avec lui à Dakar pour fêter mes dix-sept ans. Codou me regarda bizarrement avant de secouer tristement la tête.
- Ne lui fait pas cela Mamadou, elle a déjà subi assez de traumatisme en si peu de temps, dit-elle sans lever la tête de son assiette.
Apeurée, je me retournai vers le maire pour savoir de quoi elle voulait parler. Mais la violence avec laquelle il avait réagi me laissa circonspecte. Empoignant Codou avec violence, il lui donna un violent coup de poing au ventre puis au visage avant de la projeter sur le sol. La scène était monstrueuse. J’avais envie de vomir.
- Ne t’avise plus à prendre la parole devant moi. Comment tu oses me mettre en mal avec ma femme ? Tu n’es qu’une vulgaire ingrate. N’oublie pas l’endroit minable où je t’ai tiré. Il lui cracha dessus avant de se tourner vers moi. Quant à toi, va faire ta valise avec juste deux ou trois robes. Et ne prends surtout pas tes habits de grand-mère.
Je restai figer sur place, observant impuissante Codou gisant par terre, entourée de ses enfants. Le sang coulé de ses lèvres et elle se tenait le ventre grimaçant. Je fis un pas vers elle.
- Où est-ce que tu vas comme ça ? Ne t’avise surtout pas à la toucher et va faire ta valise, s’écria-t-il si fort que je me m’éclipsai le cœur lourd.
Mame Anta riait aux éclats et vint se blottir contre son mari. Billahi qui se ressemble s’assemble, de vrais monstres ces deux-là.
La phrase de Codou me taraudait l’esprit. Qu’est-ce qu’elle voulait bien dire par là et pourquoi le maire réagissait de cette manière ?
Je voulais la revoir avant de partir pour comprendre et savoir si elle n’était pas blessée, mais le maire ne m’en donna pas l’occasion. Il me remballa comme une mal propre, direction Dakar.
Nous arrivâmes à la capitale vers 20 heures. Durant tout le trajet, je fis semblant de dormir pour ne pas converser avec lui. Plusieurs fois, il tenta de s’approcher de moi sans retour. Après toutes les atrocités qu’il me faisait, cet homme était comme un étranger pour moi. Je le détestai tellement que je ne faisais aucun effort pour mieux le connaître. Nous n’avions jamais échangé de paroles et surtout je ne pouvais prononcer son nom. Pour moi, c’était toujours monsieur le maire quand il s’agissait de l’interpeller. Dans ma tête, il était un violeur, rien d’autre.
L’hôtel était très joli et très moderne. Je ne voyais cela que dans les films. Mais je ne m’attardai pas sur le décor. Aujourd’hui rien ne m’enchante, je vis comme une automate. Après le dîner, nous nous couchâmes. Il était trop fatigué par le voyage et je priai pour qu’il le reste.
Le lendemain, il m’emmena dans un institut de beauté pour la totale. L’endroit était très joli et les filles chaleureuses. On me conduisit au salon de coiffure où on me fit une belle coiffure. J’avais beaucoup changé physiquement parlant comme dit le maire, il a fait du bon travail. Mon teint s’est embellit avec ces crèmes de beauté haut de gamme et ces saunas qu’il m’imposait toutes les deux semaines. Je quittai l’institut vers 18 heures, pour moi, c’était un peu trop de passer toute une journée dans un endroit pour se faire belle. En plus, je détestai les faux ongles qu’elles me mirent. Tout en moi était artifice, si cela continuait, je finirai par ressembler à Mame Binta.
Arrivée dans la chambre de l’hôtel, je vis un gros paquet noir avec une note du maire : soit prête à 20 H. J’ouvris la boite et je vis une belle robe dorée. Je ne pris pas la peine de la soulever, ni de l’admirer, en fait je m’en foutais de tout ce luxe.
Debout devant la glace, je me reconnaissais à peine. C’était la première fois que je portai une robe à bustier avec ce décolleté profond et en plus elle ne dépassait même pas mes genoux. J’eu l’impression d’être nue. Je devrais altérer la fermeture pour ne pas être obligée de la porter. Malheureusement pour moi, le maire entra à cet instant et son regard admiratif montra son satisfaction. Il se frotta les mains en disant : je sens qu’avec toi mon chaton, je vais décrocher le gros lot ce soir. Que voulait-il dire par là ?
- C’est-à-dire, lui demandais-je d’un ton brusque.
- Que je suis le plus heureux des hommes avec une femme aussi belle à mes côtés, je vais faire des jaloux ha ha ha….
Shim, depuis que je connaissais cet homme, j’avais tout le temps des envies de meurtre. Il s’approcha doucement de moi et m’enlaça. Comme à chaque fois, un dégoût profond m’envahissait.
- Aujourd’hui tu vas entrer dans la cour des grands alors j’espère que tu vas me faire honneur.
Il me retourna et prit mes joues entre ses deux mains pour un regard.
- Je te préviens, si tu me sors ta tête d’enterrement, tu auras une côte cassée en rentrant, je te le jure sur ma fortune. Je veux que tu sois parfaite car nous sommes invités par l’un des hommes les plus influents du président de la République, en même temps grand homme d’affaire. Donc tout les VIP de Dakar seront présents.
Alors c’est de cela dont parlait Codou, j’étais sa bête de foire, pensais-je un peu soulagée.
En cours de route, je me perdis dans le paysage féérique qu’offrait la corniche de Dakar avec ces cocotiers, cette plage infinie et ces belles maisons. Nous roulâmes presque 30 mn avant que la voiture ne se gare dans une imposante demeure. Des gens bien habillés s’entassaient devant la maison où des vérifications des cartes d’invitations s’opéraient. En entrant, la beauté des lieux me frappa. Une hôtesse nous dirigea vers un grand salon où se tenait la réception. J’étais subjuguée par ces grands lustres qui illuminaient le salon. Le maire m’entraina dans la foule, se frayant difficilement un chemin avec sa petite taille. A plusieurs reprises, je croisai des regards admiratifs d’hommes et cela me faisait, comme toujours, frissonner. Il me guida vers un groupe de gens, qui, d’après les salutations affectives, le connaissaient assez bien.
- Tu as décroché le gros lot, observe d’emblée un des hommes du groupe, avec le même regard vorace du maire.
Un petit pincement sur le bras du maire me rappela à l’ordre. Je me forçai à sourire pour ne pas recevoir des coups plus tard. Après les salutations et quelques échanges de civilité, un des invités me demanda d’où je venais. Avant même que je n’ouvris la bouche, le maire me devança.
- Comme moi, elle est de Fatick, ses parents vivent aux États-Unis où son père travaille comme consul. D’ailleurs, Aicha parle couramment l’anglais, finit-il. J’étais sidérée, pourquoi autant de mensonge, pourquoi m’épouser s’il a si honte de moi.
- So you speack english, good (donc vous parlez bien anglais).
Je regardai l’homme qui venait de m’adresser la parole sans pouvoir lui répondre. J’étais toujours choquée par ce que venait de débiter le maire.
- Hey mon chaton, tu vas lui répondre ! Excusez-là mais elle est très timide.
Finalement je répondais au monsieur et finis par engager une courte conversation avec lui.
- Waou, je t’envie mon frère, jeune, belle et intelligente, dit l’homme en s’adressant au maire, et les autres d’emboucher la même trompette. Une des femmes d’âge mûr assise à côté de moi prit la parole pour demander.
- Quel âge avez-vous ?
- Elle fête ses 22 ans aujourd’hui même, répond rapidement le maire.
Quel menteur ! De ces yeux pétillants, la femme me regardait avec malice avant d’ajouter.
- Elle a l’air vraiment jeune, vous ne trouvez pas, dit-elle en se retournant vers les autres convives. Moi je lui donne 15 ans et vous ?
- Toujours à voir le mal partout ma chère, dit un homme à sa gauche. Il me prend la main avant de continuer : ne soyez surtout pas offensée par ce que vient de dire ma femme. Elle a le tic du métier car elle est la directrice de l’Association Femme en détresse dont votre mari est l’un des plus grands donateurs.
Là, je ricanai sans le faire exprès. C’est l’hôpital qui se fout de la charité, avais-je envie de rétorquer. Alors je souriais à la femme et sincèrement pour la première fois depuis la soirée. Le maire prit rapidement congé prétextant vouloir saluer un ami qu’il venait de voir au loin. On dirait qu’il fuyait le diable, il avait peur d’être mal jugé ici à Dakar. Je n’avais jamais pensé à cela. Mais dans les faits, il m’avait épousée sans mon consentement, c’était un détournement de mineure. Je devrais me rapprocher de cette femme et avoir son numéro avant la fin de la soirée. Dans mes pensées, je sentis un regard appuyé sur moi. Quand je me tournai alors mon cœur se retourna : Malick, l’homme de mes rêves, oh mon Dieu. Dans son beau costume noir trois pièces, il me regardait avec une telle intensité que j’en frissonnai. Comme la première fois, j’ai commencé à avoir des picotements au ventre, la tête qui tournait et la respiration qui s’accélérait. Encore une fois, nous étions seuls au monde et aucun de nous deux n’arrivait à détourner son regard.
- Tu veux bien arrêter de fixer ce salaud, me chuchota le maire à l’oreille, ce qui me fit sursauter et m’obligea à détourner mon regard mais juste pour un court instant.
Il s’approcha de nous et je me surpris encore à admirer ces grands yeux dont la noirceur des pupilles brille comme des néons dans la nuit. Malick est debout devant moi, encore plus beau que dans mes souvenirs.
- Aicha, tu te rappelles de Malick, que la vie est courte, dit le maire d’un ton taquin. Emue, je n’osai parler. Alors il me tendit la main que je pris avec hésitation.
- Comment tu vas ? Je suis heureux de te revoir, dit-il d’un ton froid mais qui n’enlève en rien le timbre de sa voix qui m’a fait faire des nuits blanches.
Il se tourna vers une femme que je n’avais pas remarquée malgré son sourire hyper forcé. Je la vis enrouler le bras de Malick pour marquer son territoire.
- Je vous présente ma fiancée, Abi, continua Malick en la regardant amoureusement. Cette fois, la fille sourit avec enchantement. Beurk. Pourquoi j’ai si mal ?
- Enchantée madame, lui dis-je en prenant la main qu’elle me tendait.
- Tout le plaisir est pour moi. C’est votre fille, demanda-t-elle au maire qui sursauta et fit rire Malick.
- Non ma femme madame, répondit-il en me prenant lui aussi le bras. Cette fois le visage de Malick se renfrogna et une veine dansa sur sa joue. C’était évident qu’il n’appréciait pas la nouvelle qu’il venait d’apprendre.
- Elle n’est pas trop jeune pour vous monsieur le maire. Si mes souvenirs sont exacts, Aicha n’a que 16 ans.
- 17 depuis aujourd’hui et…
- Oui mais elle est toujours mineure et vous avez le triple de son âge. Sa voix était teintée de colère et il rugissait presque.
- L’amour n’a pas d’âge mon cher ami. Ne soyez pas rancunier et comportez-vous en bon perdant. Maintenant si vous voulez bien m’excuser. Il m’entraina de force et j’avais à peine le temps de voir Malick qui, en faisant un pas, fut retenu par sa fiancée. Le cœur en miette, je m’efforçais de retenir mes larmes, ce que le maire ne manqua pas de remarquer.
- Ne t’avise surtout pas d’en verser une, espèce de sale petite garce, me chuchota-t-il. Je te préviens, je ne veux pas que tu t’approches de lui jusqu’à la fin de la soirée. C’est compris ? J’acquiesçai silencieusement de la tête. Malick était la dernière personne que je voulais voir ce soir et il m’a regardé comme si j’étais la dernière des arrivistes. Et lui alors, il est fiancé. Depuis quand ? Pourquoi ça me fait si mal ? J’étais tellement occupée par mes pensées que je ne me suis pas rendu compte qu’on me présentait déjà à l’homme d’affaire qui est l’auteur de la soirée en question.
- Votre femme a l’air d’être ailleurs ? Les yeux du maire lançaient des éclairs. Je sens que je vais recevoir une bonne correction comme la dernière fois. J’avais mal répondu à un de ses invités, et il m’avait donné trente coups de cravache. Le lendemain, je n’arrivais pas à m’asseoir.
- Excusez-moi monsieur, je suis seulement un peu étourdie par la beauté de cette demeure. C’est la première fois que j’en vois une de si belle, dis-je en essayant de me rattraper. L’homme en question sourit.
- Et qu’est-ce qui vous étourdit tant mademoiselle, demanda-t-il d’un ton taquin. C’est madame voulus-je rectifier mais j’étais plus occupée à sauver mes fesses vu la façon menaçante dont le maire me regardait.
- Les lustres monsieur, répondis-je sans réfléchir. Une femme à côté de lui pouffa de rire.
- Les lustres ? Et en quoi vous fascinent-elles.
- Excusez-là monsieur, elle ne sait pas ce qu’elle dit, bafouilla le maire.
- Vos lustres confèrent beaucoup de personnalité à la pièce et lui donnent un certain degré d’élégance. Elles sont à la fois classiques et modernes et leur disposition symétrique est non seulement en harmonie avec la pièce mais elle lui donne plus d’éclat. Alors je ne peux m’empêcher de les admirer et de me perdre dans l’infinité que reflètent les cristaux. L’homme d’affaire me sourit avant de s’adresser au maire.
- Hum j’aime bien cette fille, elle a de l’œil. Si je n’avais pas tous ces gens à saluer, je serais bien resté avec toi, seulement le devoir m’appelle. J’espère te revoir tout à l’heure très chère, finit-il en me donnant une bise suggestive à la main sous le sourire béat du maire.
Ensuite, l’homme en question entraina ce dernier je ne sais où et lui chuchota quelques mots à l’oreille. A voir son sourire, il dut sûrement lui dire qu’il allait rencontrer le président ou je ne sais quoi. Pif, cet homme était juste pitoyable, j’en profitais pour m’éclipser et aller prendre de l’air au balcon. Je crois que ma mission venait d’être accomplie. Arrivée là-bas, la première chose que je fis, c’est enlever mes chaussures qui me faisaient atrocement mal. Je m’accoudai sur la balustrade et pris un grand bol d’air. J’avais l’impression d’étouffer à l’intérieur. C’est là que je sentis son parfum, je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir qui c’était. Le rythme de mon cœur s’emballa.
- Encore un qui va tomber dans ton piège. Je ne sais pas qui je dois le plus plaindre : le maire qui va bientôt avoir le cœur brisé ou ce pauvre Wilane. En tout cas tu es très forte. Tu as failli m’avoir aussi. Heureusement pour moi… Ce que je veux savoir c’est pourquoi Aicha… Il s’était approché de moi, de si près que je sentais son souffle sur mon oreille.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, répondis-je la voix cassée. En plus le maire m’a dit de ne pas m’approcher de toi et…
- Le maire ? C’est ton mari pourquoi tu ne dis pas son nom ? Pourquoi tu t’es mariée avec ce con ? Est-ce que l’argent en vaut la peine ? Réponds-moi !
J’avais les larmes aux yeux et ma lèvre inférieure tremblée.
- Parles-moi Aicha, il est encore temps de revenir en arrière, je n’ai pas cessé de penser à toi et te revoir ce soir est un supplice. Cela ne fait que confirmer les sentiments que j’ai pour toi.
Il me retourna avec force, me faisant perdre l’équilibre. Je m’agrippai sur lui pour ne pas tomber et il en profita pour m’enlacer. Nous étions si proches que nos souffles s’entremêlaient.
- Le pire dans tout ça est que je te désire, plus que la première fois.
Il baissa la tête sur le côté pour mieux me regarder ; ce qui approcha sa bouche dangereusement de la mienne. Ensuite il effleura délicieusement mes lèvres de son index. Pourquoi Aicha ? Sa bouche s’approchait et bizarrement je ne faisais rien pour l’en empêcher.
- Qu’est-ce qui se passe ici ? Je sursaute et recule d’un pas.
Malick ferma les yeux et mit ses mains dans sa poche avant de se retourner pour faire face au maire. Ce dernier contourna Malick et vint me donner une retentissante gifle qui me propulsa au sol. Le temps que de me remettre de mes émotions, je vis Malick l’empoigner et le propulser au mur.
- Comment vous osez lever la main sur une fille, seul un homme démuni peut se rabaisser comme cela.
- En tout cas, c’est cet homme démuni qui prend son pied tous les soirs et…
Malick se rua vers lui et commença à l’étrangler comme un vulgaire chiffon. Je ne voulais pas l’arrêter, il allait réaliser mon rêve de tous les jours. Mais si je ne faisais rien, il risquait, en le tuant, de détruire sa vie. Je m’approchai de lui et m’accrochais à son bras dont je sentais toute la puissance.
- S’il te plait, il ne mérite pas que tu gâches ta vie. Arrête Malick, criais-je. Il ne le fit pas sans lui administrer un bon coup au ventre qui le précipita contre le sol. Quand il se retourna vers moi, ses yeux étincelant lançaient des éclairs.
- Donner son corps et se laisser traiter comme une merde pour de l’argent, c’est juste pitoyable. Tu ne vaux pas plus que lui. Peu importe les raisons qui t’ont poussée à choisir cette vie, il n’est pas trop tard pour changer de chemin. Nous sommes tous maître de notre destin. Adieu Aicha et bonne chance dans ta quête de richesse.
Ses piques froidement lancées, il partit sans un regard sur moi. Cette fois mes larmes tombèrent et je me laissai tomber sur le sol. J’en avais tellement marre de cette vie.
Je ne sais combien de temps je suis restée assise sur ce balcon. Je restais colée là, le cœur lourd, le regard vide jusqu’à ce qu’une main m’aida à me lever. C’était cet homme d’affaire qui me souriait gentiment.
- Votre mari m’a parlé de votre petit incident et j’en suis profondément désolé. Vous ne devez sûrement plus être en mesure de continuer cette soirée alors je vais dire à une de mes hôtesses de vous conduire dans une des chambres en attendant que l’on vous reconduise à votre hôtel.
L’esprit confus, je me laissai guider par cet homme sans me méfier. Je fus «confiée» à une hôtesse qui m’installa confortablement dans une chambre où, sans arrière-pensée, je m’endormis après avoir beaucoup pleuré. Le fait de revoir ce soir Malick et de l’entendre me parler avec autant de dédain m’acheva.
Je ne sais combien de temps, je m’étais endormie mais le bruit des pas dans la chambre me réveilla petit à petit.
- Tu te décides enfin à te réveiller salle petite dévergondée, shim. Va prendre une douche et enlèves ces traces de larmes, hurla le maire.
Ma tête me faisait affreusement mal, j’entrais rapidement dans la salle de bain où je fus accueilli par un parfum irrésistible de jasmin émanant d’un jacuzzi. J’enlevai ma robe et y entra, l’eau était chaude, ce qui me procura un bien immense. Je fermai les yeux et me laissai emporter par la douceur du moment.
- Tu as de la chance, ce soir j’ai besoin de toi sinon je t’aurai donné la correction de l’année après ce que ton amant m’a fait.
Croyant qu’il allait venir dans le bain, je me dépêchais d’en sortir et de me couvrir.
- Ne t’inquiètes pas, ce soir je ne vais pas te toucher.
A ces mots je souriais, il souleva la main comme pour me gifler avant de se rétracter. Shim ! Ris bien qui rira le dernier. Attends de voir la surprise que je t’ai concoctée. A ces mots, mon sourire disparut pour laisser place à la peur. J’entendis quelqu’un ouvrir la porte et l’appeler. C’est la voix de l’homme d’affaire, je tendis l’oreille mais ne distinguais que des chuchotements. Les battements de mon cœur s’accéléreraient. Le maire entra de nouveau dans la salle de bain avec son sourire de diable. Habilles-toi vite, dit-il en tapant les mains et en me jetant une chemise de nuit. Je m’exécutai comme une automate et il me prit la main et me tira violement de la douche.
- Doucement mon cher, ce n’est pas comme cela que l’on traite les dames.
Il était là, assis sur le bord du lit, me dévorant du regard. La phrase de Codou me revint en mémoire, non, fis-je avec la tête.
- C’est une belle surprise n’est-ce pas ? Etre désiré par un homme de cette trempe est une vraie aubaine pour toi. Horrifiée, je me tourne vers le maire:
- Tu… tu… tu… tu ne vas pas donner ta femme à un autre homme ?
- Ne joue pas à la sainte nitouche alors qu’il y a juste quelques heures, je t’ai surprise avec un homme.
- Je n’ai rien fait, criais-je.
- Oui c’est ça. Amuses toi bien ma belle, moi aussi, on m’a concocté une belle soirée. Au moins, celle-là ne fera pas semblant. Il se tourne vers l’homme d’affaire.
- Je te préviens, elle est très bonne mais plus rigide qu’elle tu meurs ha ha ha.
- Mais tu es pire que Satan, lance-je en hoquetant.
Ils éclatèrent tous les deux en même temps de rire. J’essayai de me dégager de ses mains mais il me jeta par terre. Il se dirigea vers la porte et avant de refermer, il s’écria encore:
- Amusez-vous bien !
N’y croyant pas, je restai sur place n’osant bouger, peut être est-ce un mauvais cauchemar, mon Dieu aidez-moi. Je ne pourrai pas survivre avec un autre. L’homme d’affaire vint s’accroupir devant moi, encore habillé. Il me caressa le dos et je me levai d’un bon en reculant au maximum.
- Je ne suis pas comme ton porc de mari bien au contraire, dit-il en me souriant. Il enleva doucement sa veste, me sourit et commença à déboutonner sa chemise. Si tu es d’accord, je peux même t’initier.
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Vous êtes beau, riche et très puissant donc vous pouvez avoir toutes les femmes que vous voulez, alors pourquoi moi.
- Parce que vous êtes la seule de toute la soirée à ne pas m’avoir fait la grinc et surtout c’est la première fois que je n’intimide pas une femme. Bref votre indifférence et votre beauté naturelle m’ont séduit.
- Mais je suis mariée monsieur. Il éclata de rire et jeta sa chemise par terre.
- Si ça peut te consoler, moi aussi je suis marié. Il vint se mettre en face de moi et me prit violement les cheveux m’obligeant à le regarder. Il me dépassait de quelques centimètres et la force avec laquelle il m’a empoignée montrait qu’il ne ferait qu’une bouchée de moi.
- S’il vous plait, laissez-moi partir.
- Et pourquoi je ferai ça ? Sa voix est rauque et emprunte de désir.
- Parce qu’il ne faut pas toucher à la femme d’autrui, c’est interdit par Dieu et par les hommes. Il éclate encore de rire.
- Et si je vous disais que j’aime ce qui est interdit, d’ailleurs si vous voulez tout savoir, je ne crois pas en Dieu. Pour les hommes, sache que l’argent achète tout même les lois. Hum ! Tu sens très bon, je sens que l’on va passer une agréable soirée.
- Je vous en supplie, non, dis-je en essayant de me débattre. Mais il me tenait tellement fort que je n’ai pas bougé d’un iota.
- J’adore quand une femme me résiste, j’éprouve plus de plaisir. Disons que c’est grisant.
Il respirait mes cheveux avant de me laisser pour enlever totalement son habit. J’en profitai pour courir vers la porte d’entrée. Il me rattrapa dans le couloir et me souleva comme une feuille avant de me ramener vers la chambre qu’il ferma cette fois à clé. Je le frappai, me débâtai de toutes mes forces mais j’avais l’impression d’affronter un mur de glace. Il me jeta sur le lit, je haletais tellement fort que je n’arrivai plus à respirer.
- Waw, tu es une vraie tigresse toi, j’adore ha ha ha ha.
Il n’arrêtait pas de rire, l’homme élégant et rassurant avait disparu pour laisser place à un monstre.
- Hum ! Je crois que je vais t’enlever à ton mari et faire de toi ma favorite. Tu en dis quoi ?
Voyant que je ne lui répondais pas, il continuait comme si de rien n’était.
- La soirée a été longue, il faut que je prenne une douche. A tout à l’heure ma chérie.
Il se dirigea vers la douche où il s’enferma me laissant dans le plus grand désarroi. Je tremblais si fort que j’entendais le claquement de mes dents. Il est hors de question que cet homme me touche, hors de question que je continue d’être abusée, hors de question de rester mariée à ce monstre. Qu’importe ce qui se passera pour mes parents, ce n’est pas à moi de payer pour leurs erreurs. Je refuse de souffrir toute ma vie pour eux…
Je commençai à chercher partout, dans les tiroirs et les placards, n’importe quoi pour m’aider à le repousser. Dans mes recherches effrénée, je fis tomber les tiroirs, mes larmes brouillèrent ma vue. Je préférai mourir que d’être encore violé. PLUS JAMAIS CELA, me répétais-je. Au moment où je commençais à désespérer, je vis une boite noire.
- C’est quoi tout ce bouquant, hurla-t-il de l’autre côté.
Mon Dieu, aidez-moi à trouver quelque chose, n’importe quoi. C’est là que je le vis, la boite noire en haut d’un des placards. Je me dépêchai de le prendre et de l’ouvrir, bingo : un petit pistolet y était caché. Les mains tremblantes je le pris. Les images de ma nuit de noce et celles des autres défilaient dans ma tête. Toutes ces humiliations, mon avenir gâché, mon amour perdu, l’abandon de mes parents… Tout ce que je fuyais au plus profond de moi pour ne plus souffrir ressurgissait comme un volcan en ébullition. La colère est dévastatrice, quand elle vous envahit, elle vous rend aveugle.
- Qu’est-ce qui se passe ici, cria-t-il en sortant de la douche.
Comme dans un ralenti, je me relevai, me retournai vers lui en lui braquant le pistolet et sans réfléchir Pan, j’appuyai sur la gâchette.
« La colère est nécessaire, on ne triomphe de rien sans elle, si elle ne remplit l’âme, si elle n’échauffe le cœur ; elle doit donc nous servir, non comme chef, mais comme soldat», Aristote.
A lire chaque lundi….
Par Madame NDeye Mareme DIOP
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