S’il y a un trait caractéristique de cette œuvre de Fatou Diome, c’est sans nul doute la force rugissante, le rutilant éclat s’entend, de son style d’écriture. Quoiqu’on dise et quelque argument qu’on puisse étaler, le sensualisme qui en transpire est une couche au-dessus des plus parlantes versifications. Ceci est mon point de vue, bien sûr. Et il faut aussi retenir qu’au-delà de la multitude et de la beauté des images, métaphores et figures de style utilisées, au-delà des milles fioritures qui tapissent la trame de l’œuvre, il est comme le fil d’une couturière, une tension, voluptueuse, permanente, qui vous tient en haleine pendant tout le voyage. L’on se demande d’où l’auteur tire sa verve, si quelque autre de ses livres pourrait ne jamais receler la même teneur significative, l’on se demande… questions sur questions ! Pour faire court disons juste que l’on est subjugué, l’on applaudit et devant nous semble s’ériger toute la magie de l’oralité africaine.
Mais ne nous emballons pas. Une fois le prologue lu et apprécié, une fois les pieds plongés au cœur de l’aventure, alors même que nous parcourions les premiers chapitres nous avions commencé à nous lasser. Tant de lenteurs nous agaçaient, l’excès que nous devinions dans l’usage des fioritures nous oppressait, nous perdions du terrain et avons marqué un temps d’arrêt, avant de poursuivre. Quelque peu trop, quand même…
Mais alors, la première vague franchie, baignant dans le plein océan de l’œuvre, nous finîmes de nous acclimater et de suivre plus qu’agréablement le rythme. L’intrigue commençait à déployer son empire. Nous nous attachions aux personnages et à leurs tribulations multiples, leurs joies, leurs peurs, leurs attentes. Nous étions maintenant totalement absorbés par l’affaire. La poésie du texte n’était plus que son enveloppe lustrée, à l’intérieur de laquelle se jouaient les manches du destin. Les détails et les péripéties de la quotidienneté du village en question n’étaient plus qu’une manière détournée de cerner les cœurs et les esprits, de saisir le contexte et de se faire des idées de ce qui allait suivre.
Bougna et Arame, deux mères aux tempéraments opposés ; Coumba et Daba, deux épouses dont les sorts n’étaient pour rien enviables ; et toutes ensemble, qui partageaient la même angoisse de l’infinie attente… de leurs émigrés… partis faire fortune en Espagne… via les pirogues.
« Ceux qui nous font languir nous assassinent ! », dit l’auteure Fatou DIOME. Et l’on n’est jamais assez conscient des mille drames qui se jouent chez les parents des préposés à l’émigration clandestine. Lorsque l’inquiétant regard de la rue se dépose sur eux. Lorsque la pression sociale les prend à la gorge et les conditionne. Lorsque maintenant dépouillés et seuls au monde, ils doivent se trouver une raison de survivre, « tuer les absents », se consoler tous seuls, sous le regard indifférent des dunes de sable et de la lune…
L’auteur nous prend au col et nous oblige à scruter ces gens-là, à nous intéresser à la question de la femme dans nos sociétés en général, et pas seulement que cela. Sur le tableau de ces deux familles d’une île du Sénégal, Fatou Diome réussit à jeter une lumière sur tant de questions. L’amour pour commencer, et comment le vivent nos femmes et ce que sont supposés être leur rôle et leurs attentes lors d’un mariage. Et pour suivre, la question de la polygamie, tant retournée, mais qu’on n’affronte jamais de face. La désespérante misère qui secoue l’Afrique. Les rapports Nord/Sud. Les us et coutumes, les valeurs sociales, l’émigration clandestine, une pléthore d’entre les tares de notre société actuelle…
C’est un truisme que dire de Fatou Diome qu’elle est engagée, ou que son approche est on ne peut plus pertinente ; tous se la remémorent à travers cette courte vidéo qui circulait il y a peu. Nous dirons alors seulement qu’il est agréable de la lire, car se gave-t-on alors d’une très belle littérature, rarement vue ailleurs. Vraiment, bouquin à lire sans modération !
Ps : Un ami avait fait noter que dans l’imprimé de F. Diome, on sentait souvent qu’elle s’adressait à un public hors Afrique. Cela est possible, nous ne savons. Dans quelques passages, nous avons cru surprendre quelque relent de pareille considération. Etait-ce fondé, avons-nous été influencés ? Encore une fois nous ne savons. Mais si telle chose devait être, nous ne la retenons pas dépréciative. Elle nous fait penser que son message est voué à l’universel. L’Afrique a, certes, surtout, besoin de se parler, mais elle nécessite aussi de parler aux autres.
*
Née en 1968 à Niodior au Sénégal, Fatou DIOME, qui abonde sur des thèmes comme l’immigration ou les relations entre la France et le continent africain, est également l’auteur du roman Le ventre de l’Atlantique, et du recueil de nouvelles La préférence nationale.
article précédent : cliquez ici