À l’occasion de ses dix ans, le think tank WATHI a organisé jeudi un colloque pour interroger le rôle des laboratoires d’idées dans une région en proie à l’instabilité. Recul démocratique, crises sécuritaires et perte de confiance institutionnelle mettent à l’épreuve la place des think tanks dans l’espace public.
Face aux bouleversements poli-tiques, sécuritaires et sociaux qui secouent l’Afrique de l’Ouest, quel rôle pour les think tanks?
C’est la question centrale posée par le colloque organisé hier à Dakar par WATHI, à l’occasion de son dixième anniversaire.
Placé sous le thème « L’évolution des think tanks en Afrique de l’Ouest face aux mutations démocratiques et sécuritaires*, l’événement a rassemblé chercheurs, décideurs et acteurs de la société civile, autour d’une réflexion sur la place de la pensée critique dans une région confrontée à un recul démocratique, à une insécurité chronique et à une crise de gouvernance profonde.
Pour Gilles Olakounlé Yabi, fondateur et Directeur exécutif de WATHI, les think tanks sont aujourd’hui plus que jamais indispensables. « La région a besoin de laboratoires d’idées pour réfléchir, pour nous sortir de cette ornière, de cette impasse dans laquelle certains veulent nous entraîner », a-t-il déclaré avec force, tout en appelant à rester optimiste quant à la capacité des sociétés ouest-africaines à surmonter les crises actuelles.
Poursuivant son intervention, Gilles Olakounlé Yabi a souligné l’urgence de préserver les think tanks comme espaces de réflexion essentiels à la consolidation de l’État de droit et de la démocratie en Afrique de l’Ouest. “Au moment de la création de WATHI, il y a 10 ans, on voyait déjà des signaux négatifs dans le Sahel avec la crise au Mali. Mais on ne pouvait pas imaginer qu’on aurait à faire face à une série de coups d’État et à un recul de l’intégration régionale”, a-t-il laissé entendre.
Dans ce contexte de turbulences, Gilles Yabi insiste sur la nécessité de bâtir des ponts entre les peuples et les idées, par-delà les frontières nationales. Et face à des rapports de force devenus plus brutaux, il alerte sur le risque de fragmentation du tissu ouest-africain : “Nous devons tout faire pour éviter que l’Afrique de l’Ouest ne se morcelle davantage”, a-t-il conclu.
Surmonter la dépendance financière
Prenant la parole lors de la cérémonie d’ouverture, Abdoulaye Bathily, envoyé spécial pour le Sahel du président de la République du Sénégal, a rappelé la nécessité d’une responsabilité collective face aux crises multiples que traverse la région. “Ce qui se joue aujourd’hui, c’est le contexte dans lequel vivront nos enfants. Il ne s’agit pas de savoir qui va gagner ou perdre, mais de prendre conscience de l’importance d’œuvrer à la stabilité et à la paix », a-t-il affirmé.
Malgré les défis, Abdoulaye Bathily a tenu à exprimer son optimisme, notamment en lien avec les consultations en cours menées par la CEDEAO, dans la perspective d’un sommet stratégique régional. “Personnellement, je suis optimiste. Le monde réussira, les peuples réussiront à transcender cette période sombre de l’histoire”, a-t-il assuré, en appelant à un sursaut collectif.
Quant à Cheikh Guèye, ancien facilitateur du dialogue national, il a insisté dans son discours inaugural sur un point crucial : l’indépendance financière des think tanks. Selon lui, cette autonomie est indispensable pour renforcer leur capacité d’influence auprès des décideurs publics. « Les think tanks se définissent comme des institutions indépendantes ou semi-indépendantes, dont la mission est de produire des connaissances utiles à l’action collective. La dépendance au financement extérieur et la faible diversification des sources de revenus les fragilisent », a-t-il déclaré.
L’enseignant-chercheur en Géographie plaide ainsi pour la construction d’espaces intellectuels autonomes, capables de générer des idées fortes et d’éclairer les choix collectifs. Cheikh Guèye invite également les think tanks à mutualiser leurs ressources, à créer des réseaux de coopération et à adopter des positions communes sur des enjeux majeurs tels que la démocratie, le changement climatique ou encore la gouvernance régionale, afin de peser davantage dans le débat public.
L’AS