Le réaménagement ministériel a vécu, mais certains changements en ont plus marqué que d’autres. D’une part, le départ du magistrat Ousmane Diagne et son remplacement par Mme Yassine Fall, ci-devant ministre de l’Intégration et des Affaires étrangères et son remplacement par Cheikh Niang. Ce dernier jeu de chaises n’est pas une simple mutation dans un gouvernement déjà sujet aux secousses. C’est un signal clair : le Sénégal a décidé de revenir aux fondamentaux, à l’orthodoxie diplomatique, à la vieille école des diplomates de carrière.
Il faut dire que, dès le départ, le choix de Yassine Fall avait surpris. Economiste, militante des causes sociales, rompue aux débats de société sur le développement et le genre, elle devait apporter un souffle neuf, une nouvelle manière de voir, à la diplomatie sénégalaise. Mais l’aventure aura tourné court. Car la diplomatie, ce n’est pas seulement des idées. C’est aussi des codes, du protocole, des réseaux, un savoir-faire accumulé au fil des décennies à la portion centrale et dans les chancelleries. Et de ce point de vue, Mme Fall jouait en terrain inconnu, parfois au prix de quelques maladresses. Les férus de TikTok s’étaient familiarisés avec ses sorties de piste…peu diplomatiques.
Avec Cheikh Niang, l’Etat ne prend aucun risque. L’homme serait, selon les portraits dressés de lui depuis sa nomination, une véritable «machine diplomatique». Quarante années de service entre New-York, Tokyo, Pretoria, Washington, etc. Sans oublier les arènes de l’Union africaine et de l’ONU. Le protocole, il le connaît. Les négociations multilatérales, il en a fait son quotidien. Sa nomination signe le retour du professionnel face au profil atypique de Mme Fall. Le retour de la rigueur face à l’audace. Le retour de l’orthodoxie face à l’expérimentation. Et ce choix en dit long sur les priorités du moment. La sous-région est en crise, la CEDEAO vacille, les grandes puissances se disputent l’Afrique comme jamais. Dakar, à travers les deux têtes de l’Exécutif, multiplie les partenariats, bi et multilatéraux (sous-région ouest-africaine, France, Etats-Unis, Turquie, Russie, Chine, Emirats arabes unis, FMI, BAD…). Dans ce tumulte, le Sénégal a choisi de confier son image à un vétéran ayant blanchi sous le harnais plutôt qu’à une voix neuve.
Mais il faut le dire : en privilégiant l’expérience, le pays prend aussi le risque de perdre un peu d’originalité, d’innovation. Ce que Yassine Fall incarnait, avec ses accents progressistes et ses références aux grands débats de société, disparaît dans ce recentrage classique. Dakar gagne en technicité, mais peut-être perd en imagination.
Le retour de Cheikh Niang est donc un pari sur le professionnalisme. Un pari sur la solidité des institutions plutôt que sur la rupture. Le tandem Diomaye-Sonko a fait le choix de l’orthodoxie, convaincu que, dans un monde en pleine tempête, mieux vaut un capitaine aguerri qu’un novice inspiré. Reste à savoir si cette orthodoxie sera assez forte pour affronter des défis qui, eux, n’ont rien de classiques.
Pour rappel, Cheikh Niang est le troisième ministre des Affaires étrangères issu de la carrière diplomatique après Seydina Oumar Sy et Mankeur Ndiaye. Le retour en zone de ce diplomate de carrière ne signifie guère que les autres sont étrangers aux Affaires étrangères. L’exemple de Me Doudou Thiam illustre l’exact contraire. Cet avocat de métier, ancien député et ministre dans le gouvernement de l’AOF, a joué un rôle majeur dans les premières années de la diplomatie sénégalaise. Il a marqué l’histoire en défendant la ligne du non-alignement et en contribuant à donner au Sénégal une voix respectée dans les instances internationales. Doudou Thiam a aussi été élu président de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975 (30e session). Ce qui reste un symbole fort de l’influence diplomatique sénégalaise à cette époque.