Au Sénégal, les fêtes religieuses constituent des périodes fastes pour les tailleurs. Cette année, à quelques jours de la Korité, tandis que certains tailleurs peinent déjà à suivre le rythme infernal imposé par la fête de l’Aid Al-Fidr, d’autres guettent encore les retardataires.
Jeudi 20 mars. A Fass, dans un atelier discret, Assane ajuste un boubou sur un mannequin, le regard pensif. Pour lui, l’affluence est encore faible. « Cette année, c’est plus calme que d’habitude », dit-il en soupirant. Les clientes tardent à venir, et il redoute l’assaut des retardataires. « Tout se joue souvent dans les cinq derniers jours », ajoute-t-il en rangeant des rouleaux de tissu. Non loin de là, chez Babacar SECK, c’est une autre ambiance. Ici, l’atelier tourne à plein régime. « On a à peine le temps de respirer ! Certaines clientes viennent ici presque tous les jours pour être sûres d’avoir leurs tenues à temps », raconte-t-il en griffonnant quelques ajustements sur son carnet.
Dans l’atelier, Awa, une cliente fidèle, patiente en caressant un tissu tenu dans les bras. « Cette année je suis venue un peu en retard. Mais chaque année, je viens tôt avec mon tissu, je montre le modèle que je veux, mais je sais qu’ils vont finir ma tenue la veille de la Korité », dit-elle en riant. Pourtant, elle ne confierait sa commande à personne d’autre. « Babacar connaît mes goûts mieux que moi-même ! », dit-elle.
« Tout le monde arrive à la dernière minute »
Si la fatigue se lit sur les visages, l’excitation est aussi palpable. Pour ces artisans, la Korité est le moment de briller, de prouver leur savoir-faire et de ravir une clientèle exigeante. Les aiguilles continuent de danser, les tissus s’empilent, et malgré le stress, une seule chose compte: livrer à temps. A Ouakam, dans l’atelier exigu de Moussa, les machine vrombissent. Les apprentis s’activent sous le regard vigilant du maître tailleur. « Tout le monde arrive avec son tissu à la dernière minute et pense que sa tenue passera en priorité », s’exclame Moussa en manipulant un tissu délicatement brodé.
Assise sur une chaise de fortune, Soukèye, cliente, observe les couturiers s’affairer autour des machines. « J’ai amené mon tissu il y a deux semaines, et je viens vérifier si ma tenue est prête. Je préfère venir souvent pour éviter les mauvaises surprises », confie-t-elle, un brin inquiète. Dans un coin, une autre femme brandit l’écran de son téléphone pour montrer à un apprenti une coupe qu’elle souhaite reproduire. « Je veux exactement ce modèle, avec les mêmes finitions », insiste-t-elle.
L’apprenti jette un coup d’œil, hoche la tête avant de se remettre aussitôt au travail. À l’arrière, Anta, l’unique femme de l’équipe, repasse avec précision un ensemble flambant neuf. « On ne compte plus les heures, mais on est fiers quand nos clientes repartent satisfaites », confie-t-elle en esquissant un sourire fatigué.
À Fass comme à Ouakam, même si pour certains tailleurs, l’affluence reste encore timide, chez d’autres l’effervescence atteindra son paroxysme jusqu’à la dernière nuit. Et lorsque la fête sera là, derrière chaque tenue soigneusement confectionnée, il y aura le travail acharné de ces tailleurs qui sont les véritables architectes du style dakarois.
Babacar NGOM