Entre Ouakam, l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) et le marché Sahm, nous avons tendu notre micro à des citoyens sénégalais afin de recueillir leurs avis sur l’abrogation de la loi d’amnistie, un sujet qui suscite de vifs débats.
Une proposition de loi pour l’abrogation totale de la loi d’amnistie votée en mars 2023 a été déposée par le député Thierno Alassane SALL, tandis qu’une loi interprétative, portée par le député Amadou BA de PASTEF, visant à en éclaircir certaines dispositions a été initiée. Pour rappel, la loi d’amnistie, adoptée à la veille de la présidentielle de 2024, avait pour objectif d’effacer les poursuites contre les auteurs des événements politiques survenus entre février 2021 et mars 2024, divisant ainsi l’opinion publique. Faut-il la maintenir, l’abroger partiellement ou totalement ? Voici ce que pensent nos interlocuteurs.
Moustapha, menuisier à Ouakam, vêtu d’un boubou beige poussiéreux et le mètre-ruban autour du cou, interrompt son travail un instant pour répondre à nos questions. Ses mains pleines de sciure s’agitent lorsqu’il explique qu’il est pour l’abrogation partielle. «Il faut faire la distinction entre ceux qui ont commis des infractions graves et ceux qui ont seulement exprimé des opinions», affirme-t-il. Toutefois, «supprimer totalement la loi pourrait poser un problème pour la paix sociale», prévient-il, insistant sur le besoin de justice mais aussi de stabilité.
A quelque 200 mètres de l’atelier de Moustapha, nous trouvons Aissatou. Derrière son comptoir rempli de produits éclaircissants et de parfums, la gérante d’une boutique de cosmétiques au marché Ouakam, n’est pas indifférente à cette actualité. Contrairement au menuisier, elle est totalement contre l’abrogation de la loi d’amnistie. «Il faut tourner la page, soutient-elle. La population a trop souffert de cette crise. Rouvrir les dossiers risquerait de replonger le pays dans des tensions inutiles. Pour moi, la paix doit primer.»
Devant la porte principale de l’UCAD, communément appelée «grande porte», par les étudiants, nous croisons Mamadou FALL, lui-même étudiant. Vêtu d’un jean bleu et d’un pull-over noir, un sac de couleur marron à la main, il s’appuie contre le mur avant de donner son avis. Il plaide, lui aussi, pour une abrogation partielle. «Il faut différencier les arrestations arbitraires des crimes les plus graves. On doit rendre justice à ces dizaines de jeunes tués», dit-il. « La réconciliation ne doit pas effacer certaines responsabilités, mais annuler la loi complètement pourrait aussi raviver les tensions à l’avenir», peste l’étudiant en Master. De l’UCAD, nous poursuivons notre chemin qui nous mène à Sahm, où nous trouvons Cheikh DIOUF, taximan originaire de Ngoundiane. Attendant que son véhicule qui est en train d’être lavé par un jeune-homme soit prêt, il nous écoute attentivement avant de donner son avis. «L’amnistie est utile pour calmer les tensions, mais elle ne doit pas couvrir tous les cas», explique-t-il. « Je pense qu’une abrogation partielle est nécessaire pour permettre à la justice de poursuivre les véritables coupables, ceux qui ont tué et ceux qui ont pillé ou vandalisé. Ils doivent tous répondre devant la justice», déclare le taximan. Cependant, il met en garde : «Une annulation totale compliquerait la situation politique et nous ne voulons plus revivre ce que avons vécu ces dernières années.»
A quelques pas de là, Omar DIOP, vendeur de friperie, ajuste une pile de vêtements. « Je ne suis pas juriste hein ! », signale-t-il, sourire aux lèvres. Pour lui, la loi doit être totalement abrogée. « C’est une injustice pour les victimes des affrontements récents », dénonce-t-il. « On ne peut pas pardonner certains crimes sous prétexte de politique. L’impunité risque de mener aux mêmes troubles à l’avenir », prévient-il.
Babacar NGOM