Au Sénégal, le débat public, devenu un ring à ciel ouvert, tourne autour de ces choses, les unes pires que les autres: invectives, injures et violences verbales. Les réseaux sociaux amplifient cette tendance négative qui a commencé à pointer son bout du nez à la fin des années 2000. Certains médias, à la recherche du buzz, des clics et du fric qui va avec, ont fini le job. Ils ouvrent leurs micros et plateaux à ces zouaves à qui ils laissent tout loisir de débiter des torrents de balivernes et d’insanités sans qu’il n’y ait personne en face pour les freiner dans leurs conduites délictuelles. C’est à croire que ces soi-disant activistes sont actionnaires sur ces chaines où ils interviennent, matin, midi et soir. Tout ceci combiné crée des monstres médiatiques dont la seule compétence est leur capacité à dire tout haut ce qu’aucun esprit policé ne saurait même formuler dans une pensée. Ainsi, c’est un euphémisme de dire que, aujourd’hui, le niveau est bas, très bas. Rares sont ceux qui, parmi nos politiciens, influenceurs et activistes discutent d’idées. «Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements; les petits esprits discutent des personnes», ramasse Roosevelt dans une phrase devenue culte. Malheureusement, chez nous, les derniers cités qui devraient aussi être les derniers à ouvrir le caquet en public dominent l’espace citoyen et noient, par leurs hurlements, les premiers. «Si je termine ce discours, je sais que je serai encore insulté», avait prévenu le khalife de Médina Baye. Cette déclaration qui en avait fait frissonner plus d’un est le signe de la décrépitude des valeurs qui ont cimenté jusqu’ici l’unité nationale. On croyait, naïvement, que les convulsions politiques sénégalaises épargneraient ces solides étais de l’échafaudage national. Mais, on n’avait pas vu venir cette tendance à traîner dans la boue ce que le Sénégalais vénère le mieux : les ministres du culte. Ces derniers se sont toujours imposés en maîtres de la régulation. S’ils en démissionnent, c’est la porte ouverte au tout-venant, comme ce que l’on constate aujourd’hui et qui s’apparente aux «Galeries Lafayette», pour emprunter sa boutade à Abdourahim Agne.
C’est en ce sens qu’était attendue la tenue d’un débat entre Amadou Bâ et son lointain successeur à la Primature, Ousmane Sonko. Ce débat devait avoir lieu pour plusieurs raisons. D’abord, parce que Amadou Bâ qui n’est quand même pas au crépuscule de sa carrière a, parmi d’autres, été accusé par l’actuel gouvernement et son chef d’avoir falsifié les chiffres de l’économie sénégalaise. Ensuite, si l’élection est le seul baromètre de classement des politiques dans une démocratie, Amadou Bâ est, jusqu’à la prochaine élection, le chef de l’opposition, étant arrivé deuxième à la dernière Présidentielle. Enfin, au-delà des chiffres, graphiques et courbes sur la macroéconomie, Amadou Bâ a été accusé par le Pds d’avoir corrompu des juges constitutionnels. La commission d’enquête mise en place à l’époque n’ayant pu voir le jour à cause de la plainte des accusés – au fait, qu’est devenue cette plainte des juges Cheikh Ndiaye et Cheikh Tidiane Coulibaly ?- l’opinion est en droit d’attendre de lui qu’il apporte davantage de lumière sur cette infâmante accusation soutenue par son propre camp. Un tel débat, outre le fait qu’il aurait conforté la place de notre pays dans le concert des nations démocratiques, nous aurait soulagé, même si c’est pour un moment, de la gangrène politique dont la métastase affecte tous les membres de notre corps social. Nous étions d’autant fondés à nourrir l’optimisme que, Ousmane Sonko, dans sa dernière réponse à Amadou Bâ, avait écarté tous les obstacles à sa tenue. «Les éventuelles lacunes du code électoral ou de la loi sur le CNRA avec des dispositions obsolètes quant à l’organisation des débats à l’occasion des élections au Sénégal, ne sauraient constituer un obstacle dirimant à sa tenue», avait écrit le leader de Pastef sur ses réseaux sociaux. Hélas, le Cnra en a décidé autrement.
Post-scriptum : Le président de la République et son Premier ministre seraient-ils rattrapés par la politique politicienne, dans son acception la plus abjecte ? Alors qu’ils avaient «vendu» à leurs militants la rupture d’avec les mauvaises pratiques du passé, les voilà qui s’essaient à la transhumance. Après avoir «pêché» Déthié Fall dont la posture rappelle un sinistre personnage nommé Djbril Ngom, les voilà qui enrôlent Samba Ndiaye avec comme cadeau de bienvenue une présidence de conseil d’administration. Un poste qui semble taillé sur mesure pour servir les invités à la table des nouveaux tenants du pouvoir.
Ibrahima ANNE