L’idée d’imposer un visa aux pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes) peut avoir des conséquences économiques inattendues. C’est du moins, l’avis d’économistes joints hier au téléphone.
Grosse menace sur le franc Cfa. La tension entre la Cedeao et l’Alliance des Etats du Sahel pourrait occasionner une nouvelle dévaluation du FCfa, si jamais la monnaie perd de sa force à cause de cette brouille. «La sortie des pays de l’Aes de la Cedeao peut entraîner une dévaluation du franc Cfa. Parce que si ces Etats sortent avec 30 % du Pib en ce qui concerne l’Uemoa, c’est une dévaluation automatique», affirme l’économiste, Magaye Gaye, joint hier au téléphone.
Un point de vue qui n’est pas partagé par l’économiste Meïssa Babou. Il affirme que la sortie des pays de l’Aes de l’Uemoa n’aura pas un impact aussi négatif sur le FCfa. Parce qu’ils ne sont pas les pays les plus forts. Selon lui, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont les locomotives de la monnaie dite Cfa. «On pourra constater peut-être, au niveau de la centralisation des devises de la banque centrale, une baisse mais qui ne sera pas aussi négative. D’autant que ces pays sont beaucoup plus importateurs», dit-il. D’après lui, ils ont plus besoin de devises par rapport aux autres pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui, certes importent mais qui ont des économies beaucoup plus dynamiques. «Ils pourraient, par le jeu de la compensation, couvrir en devises certaines de leurs actions», souligne Meïssa Babou. L’économiste affirme que si ces pays quittent l’Uemoa, ils auront comme première devise le Cfa. Parce qu’ils sont entourés de pays qui utilisent cette monnaie, à l’image de la Gambie ou de la Mauritanie où le Cfa est roi. D’après lui, le Cfa pourra être encore plus fort.
Visa à l’égard des pays de l’Aes, gros risque pour la Cedeao
A l’occasion du 65e Sommet ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao, qui s’est tenu dans la capitale nigériane, Abuja, la question d’imposition du visa a été agitée. Ancien cadre de la Boad et du Fonds africain de garantie et de coopération économique (Fagace), Magaye Gaye prévient que l’imposition de visa à l’égard des pays de l’Aes risque d’être une perte pour la Cedeao. «S’il y a une réciprocité, c’est la Cedeao qui perd globalement. Cela veut dire que seuls les 17 % des 450 millions de la Cedeao vont demander le visa, payer les frais. Les 83 % vont en perdre en termes de frais de visa», prévient-il.
Le Sénégal n’en sortirait pas indemne. «En termes d’échanges, les importations des pays de l’Aes représentent la part du Sénégal et de la Côte d’ivoire soit 63 %. C’est presque le même chiffre en ce qui concerne les exportations. Ces pays exportent beaucoup de choses chez nous (le Sénégal et la Côte d’Ivoire)», estime Magaye Gaye, qui alerte : «Si le Mali décide d’aller en Algérie en passant par la Mauritanie, c’est le Sénégal qui va perdre». Pis, laisse entendre Magaye Gaye : «Je crains que le Sénégal et la Côte d’Ivoire en soient les principaux perdants. Ce sont des pays qui ont le Mali, le Niger et le Burkina Faso, comme clients potentiels qui représentent une grosse partie de leur commerce extérieur. Des deux côtés, on peut perdre, mais je crains que des pays comme le Sénégal en perdent beaucoup plus que les pays de l’Aes».
«Le Sénégal a sa première destination commerciale, le Mali. On ne peut pas se permettre de remettre tout cela en question à cause des problèmes d’égo», fustige l’économiste Souleymane Ndiaye. Ce membre d’Eco citoyen affirme qu’il faut queles gens aient le courage de s’asseoir autour une table. Pour lui, il faut une volonté de dialogue de toutes les parties, car personne ne sortira vainqueur de cette situation. «Nous avons tous à gagner à rejoindre la table des négociations. Ce sont des frères qui habitent de part et d’autre des frontières. Non au visa. Le problème c’est avec la Cedeao. L’Uemoa peut jouer un rôle en accordant les violons des deux côtés», indique Souleymane Ndiaye ajoutant que c’est une «impérieuse nécessité» que nos chefs d’Etat reviennent à la raison.
Emile DASYLVA&Salif KA