Le changement de paradigme devrait commencer en mon sens par le bannissement de l’expression wolof ” ngourgui” pour désigner le pouvoir. En effet, “Ngourgui, ngourou” mettent en évidence les délices et jouissances que l’on peut tirer du pouvoir. Or, aussi longtemps que le pouvoir est perçu comme une source d’enrichissement et non un sacerdoce, on ne sort pas encore de l’auberge. Ainsi, s’agit-il de réduire drastiquement le nombre de ministres et députés en plus de supprimer les institutions inutiles, gouffres de milliards et points de rencontres des recasés politiciens. Dans la même perspective, diminuer considérablement les émoluments des ministres de la république et remettre ce pays au travail. En un mot s’agit-il de mettre fin au règne de la politique politicienne pour promouvoir un régime fait d’éthique, de rigueur et de non complaisance.
En tout état de cause, l’histoire récente nous a enseigné que les hommes politiques se sont si enrichis laissant en rade les couches laborieuses: l’échec de l’Ecole, les inondations dans les banlieues, les structures défectueuses de santé pour ne citer que ces désastres, en sont de parfaites illustrations. Délocaliser les corps de contrôle de la Présidence tel que le promet le programme Diomède Président me semble être une bonne piste pour couper le cordon ombilical [homme politique / enrichissement]. Ce faisant, la perception d’enrichissement et le verrou par et pour les hommes politiques vont sauter d’eux-mêmes.
Aussi, une réelle séparation des pouvoirs devrait-elle être envisagée par le nouveau régime pour rompre d’avec une certaine pratique surannée. La magistrature doit cesser d’être, sous quelque prétexte que ce soit, sous la coupole de l’Exécutif. Le Conseil constitutionnel devrait céder la place à la Cour constitutionnelle avec un renforcement de pouvoir et un changement radical du mode de nomination de sa composition. Dans la même perspective, on devrait s’orienter vers l’élection de véritables députés du peuple et non plus des députés du Président. Cela nous éviterait la léthargie observée au niveau du pouvoir parlementaire: en deux décennies de pouvoir libéral, nous avons plus recensé de projets de lois que de propositions de lois. Le député n’a quasiment aucune prérogative sinon celle de se placer sous l’emprise d’un exécutif écrasant et hégémonique. Les Représentants de l’Etat devraient en outre avoir plus de prérogatives eu égard à l’autorisation ou non des manifestations publiques; celles-ci, telles que le préconisait Feu Sidy Lamine NIASS participent de «la respiration démocratique” et partant de la promotion et de l’expression du citoyen. Car elles construisent des contre-pouvoirs utiles pour toute Démocratie.
Sous un autre angle, la question foncière jusque-là à l’origine de nombre de conflits, doit subir un traitement à la fois diligent, profond et objectif. Cela est d’autant plus pressant que cette question a failli à plusieurs reprises mettre le feu aux poudres.
L’Ecole mérite également une préoccupation particulière et efficace, elle doit complétement rompre d’avec sa vocation néocoloniale et s’orienter vers la construction d’un citoyen en mesure de faire face aux défis existentiels de l’heure. Pour y arriver, une refonte des programmes d’enseignement s’impose nécessairement. Aussi, s’agit-il dès le cycle du collège ériger des structures de formation professionnelle afin de permettre aux jeunes très tôt d’intégrer des corps de métier. Cela nous éviterait un encombrement dans les universités qui s’étouffent et étouffent dangereusement.
La santé de son côté reste un sérieux cancer tellement le secteur est confronté à des problèmes à la fois structurels et conjoncturels. Qu’un groupe de privilégiés se soignent à l’étranger laissant le reste de la population dans des mouroirs demeure une honte qu’il faille nécessairement et vite effacer. De même, des structures comme “L’hôpital Principal” devraient être construites à l’intérieur du pays notamment à Touba-Tamba-Saint-Louis et Ziguinchor pour une meilleure correction de l’équité sanitaire dans notre pays.
L’équité territoriale mérite également une sérieuse et minutieuse correction. Avec l’exploitation des hydrocarbures, doter chaque commune annuellement de deux milliards pourrait en mon sens permettre l’érection dans le Sénégal des profondeurs d’infrastructures de bases pour soulager les Sénégalais des régions.
Pays sahélien, le Sénégal dispose d’une agriculture extensive, peu mécanisée, sous pluie pour l’essentiel. Avec seulement 1262,8 milliards selon les données de l’ANSD, l’agriculture ne participe que de façon timide au PIB. Le cultivateur sénégalais se heurte à l’absence de capital- semence, l’Etat étant obligé chaque saison d’injecter des milliards. Le changement de paradigme serait d’inverser la tendance au point que chaque paysan puisse réserver sa propre semence. L’encadrement paysan devrait s’orienter véritablement dans ce sens en termes de changement de mentalité, d’orientations et de perspectives. Une priorité devrait aussi être accordée à la mécanisation agricole et à la disposition à bas prix des fertilisants surtout avec la présence des industries chimiques du Sénégal. Dans le domaine de la riziculture, une bataille ardue en faveur de l’autosuffisance devrait être engagée afin de rompre d’avec l’implacable logique d’importation à l’origine d’une balance commerciale déficitaire.
La pêche une mamelle juteuse de l’économie reste en hibernation, en atteste la recrudescence de l’émigration clandestine. Une réorganisation inclusive du secteur s’impose. En effet, un conseil présidentiel devrait se pencher sur les difficultés de ce secteur en déliquescence avancée. Un contrôle rigoureux des ressources halieutiques nationales, un audit des accords de pêche, une prise de conscience citoyenne sans complaisance des pécheurs sénégalais, des repos biologiques réguliers, une intelligente interaction entre le secteur et l’exploitation du pétrole s’imposent pour sortir de la torpeur.
Ces deux secteurs ci-cités détiennent des niches insoupçonnées d’emplois pour les jeunes dont les ‘attentes demeurent légitimes et permanentes. Autour de ces secteurs développer des chaines de valeurs, décomplexer les jeunes quant à la nature de l’emploi pourraient non seulement nous assurer une sécurité alimentaire autonome mais surtout sceller un link eu égard à l’éthique du travail. Dans le même sillage, la vallée fluviale, la région des niayes, la Casamance apparaissent comme les greniers alimentaires du Sénégal. A cet effet, une politique efficace d’infrastructures routières, ferroviaires de connexion entre ces régions de productions et les régions de consommation me semblent être un impératif catégorique rompant naturellement d’avec les infrastructures de prestige. Cela permettrait une complémentarité à la fois de production et de consommation au grand profit du monde rural donc de l’écrasante majorité de la population (+ de 60% de la population).
Avec une participation mitigée dans le PIB de 20%, l’industrie demeure quasiment inexistante, souffre de la concurrence et frappée par des défis à la fois structurels et conjoncturels. Le caractère stable de notre démocratie avec à la clé trois alternances en l’espace de 24 ans doit être mis en évidence par notre dynamique et séculaire diplomatie pour attirer davantage les investisseurs internationaux dans une perspective gagnant- gagnant. Pour coller à l’esprit de la Constitution en son article 25 alinéa 2 ” les ressources nationales appartiennent au peuple sénégalais”, un audit des accords miniers et un renforcement du contenu local s’imposent. Même s’il reste pertinent de renforcer le privé national, il n’en demeure pas moins vrai que le Sénégal doit se battre pour hausser davantage son IDE (arc juste un record de 2,6milliards de dollars en 2022) à la cime des espérances. Aussi, la réorganisation du secteur de la microfinance, le renforcement de capacité des associations de jeunes et des femmes devraient jeter les bases d’un secteur micro-industriel qui, à terme, pourrait servir de fer de lance d’un développement industriel local assuré. A l’instar des pays asiatiques, les effets induits des valeurs ajoutées créées par celles-ci ne seraient naturellement pas exportés rompant par ricochet d’avec les logiques désastreuses de l’économie extravertie. Le Sénégal traverse par ailleurs une crise de citoyenneté manifeste. Il convient de restaurer les valeurs républicaines: cela passe par la restauration de l’autorité parentale, par l’Ecole, le contrôle relatif des réseaux sociaux, le retour à l’orthodoxie dans le monde de la presse. Les défis sont si nombreux qu’il importe de dresser un listing de priorités pour qu’à l’issue du mandat les Sénégalais ne regrettent pas leur choix.
Par Cheikh Ahmed Tidiane SALL
Principal de Collège [email protected]