Jamais la justice sénégalaise n’a été autant mise à l’épreuve que durant cette séquence 2021-2024. En mars 2021, alors que la rue était en flammes, feu le juge Samba Sall, envers et contre tout, inculpe et place sous contrôle judiciaire Ousmane Sonko, accusé, par une jeune masseuse, de viols répétés sous la menace d’une arme. Et c’est envers et contre tout que d’autres juges poseront d’autres actes de procédure aux fins de juger le tout puissant Ousmane Sonko, au firmament de sa popularité. Ce, jusqu’à sa mise sous mandat de dépôt, par un autre juge du nom de Oumar Maham Diallo, celui-là qui a remplacé feu Samba Sall alors que, pratiquement, aucun juge ne voulait plus du fauteuil «miné» du premier cabinet d’instruction.
Quelques années plus tard, d’autres juges, sur d’autres affaires, ont démontré que les juges peuvent être libres, s’ils le veulent. L’histoire retiendra que Sabassy Faye et Ousmane Racine Thione, respectivement juge aux tribunaux de Ziguinchor et de Dakar, ont enjoint l’administration de remettre le leader de Pastef dans les listes électorales, contre l’avis de l’Agent judiciaire de l’Etat. L’histoire, la grande histoire, retiendra que, par deux fois, le Conseil constitutionnel a ramé à contre-courant des désirs et volontés du président de la République, envoyé ses décrets à la poubelle, tout en prenant soin de lui rappeler que, au-delà du 2 avril, Macky Sall répondra au titre d’ancien chef de l’Etat du Sénégal. Elle ne manquera pas de retenir aussi que la Cour suprême a tenu son rang en rejetant les recours pour excès de pouvoir et autres référé-suspension contre les derniers décrets du président de la République convoquant le corps électoral et réduisant le nombre de jours de la campagne électorale à 15 au lieu des 21 traditionnels.
Le Sénégal peut désormais s’enorgueillir d’avoir des magistrats indépendants. Pas tous, bien entendu, notamment chez les procureurs. Mais une masse suffisamment critique pour faire face aux politiques, du pouvoir comme de l’opposition. Ce qu’il faut maintenant à notre pays, c’est une Assemblée nationale qui joue son véritable rôle de contre-pouvoir de l’Exécutif. Pour ce faire, il lui faut des députés suffisamment conscients de leur mission face à l’histoire. Pendant longtemps, l’on a voulu nous faire croire qu’un député indépendant, ça rime avec une belle indemnité, un véhicule 4X4, un bureau et des hectolitres de carburant. Me Abdoulaye Wade dont le rapport avec l’argent est anecdotique avait quasiment multiplié leurs revenus par trois, les avait dotés de véhicules tout terrain, rénové leurs hôtels et appartements, instauré la parité. Mais, à l’arrivée, tous ces sacrifices n’avaient point permis de rehausser le niveau de l’élu. De législature en législature, cela allait de mal en pis. Et cela, ce sont les députés eux-mêmes qui l’ont reconnu. La présente législature bat tous les records de médiocrité. Simple chambre d’enregistrement des désidératas du président de la République, ses membres s’illustrent plus dans les querelles de borne-fontaine que dans des propositions progressistes. Le comble a été atteint lorsqu’ils se sont faits complices d’un arrêt brutal du processus électoral sur la base de simples soupçons. Ou lorsqu’ils mettent leur signature au bas d’une impopulaire loi d’amnistie qui valide l’impunité des politiques au nom de la pacification de l’espace public.
Sur l’agenda du prochain président de la République devrait logiquement figurer la réforme du statut du député, non pas en termes d’avantages matériels, mais de pouvoirs et contre-pouvoirs. Pour cela, le mode de désignation même du député doit être revu aussi bien dans la représentation que dans l’investiture. Les députés doivent être intégralement élus dans leurs départements. L’idée de députés élus sur la liste nationale donne un sentiment de redevabilité à celui qui vous a mis là, au détriment de l’intérêt général. Pour réformer et avoir des députés, de vrais, on devrait commencer par là.
Ibrahima ANNE