A compter du 5 février 2024, nul ne doit plus nous divertir avec des expressions pompeuses comme «clauses intangibles», «clause d’éternité», «principes constitutionnels immuables». Macky Sall a ouvert la voie : plus rien n’a une valeur le faisant échapper aux caprices d’un Président sortant qui veut s’éterniser au pouvoir. Il suffit juste de trouver un prétexte, quel qu’il soit, bon ou mauvais, donner ordre à ses députés de faire passer une modification constitutionnelle, quitte à violer la loi fondamentale. Qu’importe le procédé ; l’essentiel est de parvenir au seul objectif qui vaille : rester au pouvoir le plus longtemps possible. C’est acté ! Abdoulaye Wade qui est avec la loi ce qu’est un éléphant dans un magasin de porcelaine doit désormais passer prendre des cours chez Macky Sall qui a réussi, par une voie de contournement, à s’offrir un troisième mandat sans coup férir.
A compter de ce 5 février, les facs de droit doivent être fermées, les profs de droit constitutionnel sommés de changer de métier à défaut d’être envoyés au chômage, les étudiants en droit réorientés dans d’autres filières. Est-ce que l’on ne devrait pas, à l’instar du Royaume Uni, se passer d’une Constitution écrite pour passer à nos bonnes vieilles règles coutumières de dévolution du pouvoir ? Ce n’est plus la peine de perdre son temps dans un juridisme qui, à l’arrivée, nous fera juste constater que nous, électeurs, n’avons aucun pouvoir pour arrêter ceux que nous avons élus dans leurs folles aventures de conservation du pouvoir.
Macky Sall, élu et réélu au suffrage universel, a définitivement libéré le péage. Plus aucun autre Président ne s’embarrassera de légalité pour augmenter son mandat, refuser de quitter, même vaincu, voire même instaurer une présidence à vie. Comme si cela suffisait à nous calmer, Macky répète, urbi et orbi, qu’il ne se représentera pas. Il l’a dit dans son adresse à la Nation et redit en conseil des ministres. Qu’il nous permette d’en douter. En 2012, les Sénégalais l’ont élu sur la base d’une promesse forte de faire mandat de 5 ans et retourner devant le Peuple pour en solliciter un autre. A l’arrivée, ce ne fut que reniement et retour en arrière. Il saisit le Conseil constitutionnel pour habiller le non-respect de sa promesse. Le Conseil lui dira, dans un Avis -que son camp assimilera à une Décision- que la durée du mandat est hors de portée. Parce que ça l’arrange, Macky Sall s’en accommode. Réélu en 2019, Sall redoute la fin. Son «ni oui, ni non» le fait rentrer dans les annales de l’histoire. Ceux qui, dans son camp, lui rappellent que son mandat de 2019 est le dernier sont priés d’aller brouter ailleurs. Ceux qui pensent le contraire sont promus. N’ayant préparé aucun dauphin dans son camp, Macky Sall, passé maitre dans l’art des manœuvres politiciennes, «embauche» son principal opposant, Idrissa Seck, classé deuxième à la dernière élection Présidentielle. Selon des chiffres sortis de son chapeau, à eux deux, lui et son nouvel allié pèsent «85%» de l’électorat. La nature ayant horreur du vide, d’autres leaders, aussi charismatiques sinon plus côtés que Idy chez la frange jeune, à l’image de Ousmane Sonko, émergent sur la scène. La réalité du terrain et le rapport de force lui imposent de passer la main et de choisir un dauphin dans son camp. Le choix fait sur Amadou Bâ est loin de faire l’unanimité. A preuve, Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao et Mahammad Boun Abdallah Dionne rompent les amarres. D’autres restent mais travaillent à faire capoter la candidature du PM. Ce qui compromet tout passage au premier tour. Il se raconte que tous les sondages, sans exception, ne voient même pas Amadou Bâ qualifié pour le second tour. Le chef de file de l’Apr qui veut ménager ses arrières trouve alors le prétexte de soupçons de corruption de juges constitutionnels pour s’offrir une rallonge sans frais de huit mois. Un autre reniement à la parole donnée. La vérité est que, comme il l’a confié à Yves Thréard, directeur de la rédaction du Figaro, Macky Sall ne veut pas que le pouvoir tombe entre les mains de candidats bien placés et qui ont réussi à passer entre les mailles du filet du Conseil constitutionnel. Ce faisant, avec la bénédiction du Pds, il s’est offert un rabiot, le temps de préparer un autre schéma de dévolution, au risque de piétiner la Constitution et de ramer à contre-courant de la volonté populaire. Tout le reste n’est que charabia et enfumage !
Ibrahima ANNE