C’était plus que prévisible! La question du troisième mandat était au cœur de la plénière d’hier, lors de l’examen du budget du ministre de la Justice. On aurait dit qu’il y en avait que pour le troisième mandat.
Lunettes noires qui lui barrent le visage, le maire de Dakar Barthélémy Dias qui n’était pas dans le box réservé aux différents députés, fait subitement son apparition au sein de l’hémicycle. Accueilli par des acclamations de ses collègues de l’opposition, il s’avance et s’adresse directement au ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall. Du haut du pupitre, Barthélémy Dias allume son téléphone portable où l’on attend la voix du ministre de la Justice qui dit que «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs». Regardant droit dans les yeux Ismaïla Madior Fall, le député et non moins maire de Dakar a longuement commenté la constitution de 2016 qui constitue, à ses yeux «une grande escroquerie intellectuelle». Suffisant pour que Barthélémy Dias demande au ministre de la Justice, «par devoir à l’intelligence des Sénégalais», de donner son point de vue sur le troisième mandat que cherche le président Macky Sall.
Tout comme le maire de Dakar, l’ancienne Première ministre et Garde des Sceaux, Aminata Touré n’a pas raté l’actuel ministre de la Justice. «Vous avez défendu partout comme moi et le président du groupe parlementaire de Benno que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Je veux que vous regardiez les Sénégalais les yeux dans les yeux pour le dire une 4ème fois. Vous êtes un professeur émérite… Que les intellectuels soient fidèles à la Constitution. Monsieur le Garde des Sceaux, respectez la Constitution au lieu de penser aux privilèges. Nous voulons une réponse très claire sur cette ambiguïté dans le mandat …», a exigé l’ancienne Garde des Sceaux à l’égard d’Ismaïla Madior Fall. Contre toute attente et presque sur la même longueur d’ondes, Aïda Sow Diawara a invité le ministre de la Justice à trancher la question. «Il est vrai que nous sommes du même bord. Cependant, à 15 mois de l’élection présidentielle, il faut nous édifier d’autant qu’il y a beaucoup d’avis sur la question. Je veux savoir si je dois me préparer à une candidature du président Macky Sall ou faire autrement», déclare-t-elle.
Alors que les députés de l’opposition savouraient «la raclée» infligée au pouvoir, Cheikh Seck du Parti socialiste, du haut du pupitre déroule un son de Barthélémy Dias pour «légitimer le deuxième quinquennat» du président Macky Sall. Dans le même sillage, la députée Amy Ndiaye a estimé qu’il ne revient pas au ministre de la Justice de trancher sur la question du troisième mandat. «En tant que militant de la coalition Benno Bokk Yakaar, nous avons porté le président de la République au pouvoir. En temps opportun, nous allons déposer sa nouvelle candidature au Conseil constitutionnel, et si ce dernier tranche en faveur du pouvoir, il faudra l’accepter et affronter le terrain», affirme-t-elle, sans ciller. Alors que pour le député non inscrit Pape Djibril Fall, le président Macky Sall ne doit pas faire «moins que ses prédécesseurs». «Par conséquent, il doit organiser des élections libres et transparentes auxquelles il ne participera pas», rappelle-t-il.
Sur la question de la validité d’une nouvelle candidature de l’actuel président de la République, le ministre interpellé, en commission s’est réfugié derrière le langage juridique que seuls les initiés sont en mesure de décortiquer. D’emblée, Ismaïla Madior Fall a précisé avoir donné son avis en tant que professeur de droit sur la question, tout en relevant que cet avis n’est point revêtu de la force jugée. «Par conséquent, à la juridiction compétente de dire le droit et à la doctrine d’émettre un avis scientifique», a-t-il déclaré. Ensuite, le ministre de la Justice a renseigné que le Conseil constitutionnel, saisi à propos du projet de révision constitutionnelle par voie référendaire en 2016, avait enlevé la disposition transitoire du projet de l’article 27 de la constitution et dont le libellé était que «cette disposition est applicable au mandat au cours».
Ndèye Maguette SEYE