Il est 3 h 45 à Paris, la nuit est encore noire à Moscou et le visage de Vladimir Poutine apparaît, par surprise, à la télévision russe.
Le décor est le même que lors de son allocution de lundi soir : le leader russe est assis à son bureau, sur fond de boiseries et de drapeaux, le visage fermé, la voix calme, la même cravate bordeaux. Comme deux soirs plus tôt, son poing est posé sur la table, dans une posture de tranquille domination. Cette fois, pas de cours d’histoire, pas de digressions fleuve. Le maître du Kremlin va droit au but et prononce ces phrases impensables :
« J’ai pris la décision d’une intervention militaire. A ceux qui tenteraient d’interférer avec nous, et plus encore de menacer notre pays, notre peuple, ils doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n’avez encore jamais connues. »
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Ce n’est pas que tout s’était apaisé ces deux derniers jours, bien sûr. Au choc de la déclaration de reconnaissance des Républiques autoproclamées du Donbass, lundi soir, avait suivi la prévisible litanie des condamnations et des sanctions économiques. Mercredi matin, Vladimir Poutine évoquait encore une recherche de « solutions diplomatiques » avec l’Occident. Mais dans la journée, l’Ukraine avait appelé à la mobilisation de ses réservistes et décrété l’état d’urgence, face au renforcement de la menace. Puis, dans la soirée, le ton s’était encore durci : tout en supplications, le chef de l’ONU António Guterres évoquait « un moment de péril » pour le monde, réunissant de nouveau le Conseil de sécurité en urgence, tandis que le Kremlin, continuant à dérouler le narratif d’une agression ukrainienne, assurait que ses nouveaux alliés séparatistes avaient appelé Moscou à l’aide.
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Une marée humaine se tient prête à la frontière : pas moins de 200 000 hommes, réunis non pas pour des exercices et des rotations de routine, comme le jurait Moscou ces dernières semaines, mais dans l’attente de l’ordre suprême. Celui-ci tombe donc peu avant 6 heures du matin, heure de Moscou : Poutine appelle les soldats ukrainiens à déposer les armes. « Nous nous efforcerons d’arriver à une démilitarisation et une dénazification de l’Ukraine », assène-t-il. Immédiatement, le prix du baril de pétrole monte en flèche et dépasse les 100 dollars, une première depuis sept ans. Les bourses asiatiques, elles, chutent. Il est alors 22 heures à Washington et le président américain Joe Biden réagit immédiatement, dénonçant une « attaque injustifiée » qui provoquera des « souffrances et pertes humaines catastrophiques ». Et de menacer, en vain :
« Le monde exigera des comptes de la Russie. »
Bombardements nocturnes
Il est 4 h 30 à Paris lorsque les premières détonations se font entendre à Kiev. Simultanément, des explosions retentissent à Marioupol, la ville portuaire du sud du Donbass, nœud stratégique du front oriental, et à Kramatorsk, cette ville au nord de Donetsk qui abrite le quartier général de l’armée ukrainienne. A 5 heures, c’est du grand port d’Odessa, sur la mer Noire, que parviennent les nouvelles d’un bombardement. Nord, Sud, Est : l’Ukraine est attaquée de toutes parts, son espace aérien se ferme à tout appareil civil. Le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba, annonce que la Russie a lancé « une invasion de grande ampleur ».
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Car les appétits du Kremlin ne se limitent pas aux oblasts de Donetsk et Lougansk. D’ores et déjà, le conflit se déporte bien au-delà des frontières administratives du Donbass : des explosions retentissent à Kharkiv, la deuxième ville du pays, à seulement 20 kilomètres de la frontière russe. Quel est donc l’objectif de Moscou ? Mettre à bas « la junte au pouvoir à Kiev », affirme l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia. L’armée russe affirme viser les sites militaires ukrainiens avec des « armes de haute précision », assurant que les civils n’ont « rien à craindre ». Si les infrastructures militaires et les gardes-frontières semblent effectivement ciblés, de premières images d’un immeuble éventré, à Kharkiv, laissent déjà présager de premières pertes civiles.
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Bombardements en Ukraine (Renaud Février / L’Obs)
La Bourse de Moscou, en chute libre à l’ouverture, suspend tous les échanges dès le petit matin après un dévissage de 17 %. Le soleil se lève à Kiev dans le son tournoyant des sirènes d’alarme, comme à Lviv, la grande ville de l’ouest du pays où se sont abritées nombre d’ambassades occidentales. L’invasion terrestre débute : l’Ukraine est attaquée le long des frontières russe et biélorusse : même si Alexandre Loukachenko assure que la Biélorussie ne prend aucune part aux combats, des troupes russes déferlent bel et bien de son territoire. A Marioupol, décrit notre correspondant, des files se forment devant les stations-service. A Kiev, les distributeurs sont pris d’assaut, rapidement vidés de leur contenu.
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Vers une « coalition anti-Poutine » ?
Kiev dit avoir abattu cinq avions et un hélicoptère russe mais subit d’emblée de lourds dégâts, Moscou assurant dans le même temps avoir déjà réduit à néant ses bases aériennes et sa défense anti-aérienne. La navigation s’interrompt dans la mer d’Azov, qui baigne l’Ukraine et la Russie. Il est 8 h 35 à Paris lorsque Kiev annonce la première victime de la journée, un garde-frontière ukrainien mort sous un bombardement. Trois heures plus tard, le bilan s’élève à 40 soldats ukrainiens et une dizaine de civils tués, l’Ukraine assurant avoir tué de son côté une cinquantaine de soldats russes.
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, omniprésent sur les écrans, enchaîne les interventions télévisées et les coups de téléphone, s’entretient avec Biden, Johnson, Scholz puis Macron. « Nous sommes en train de bâtir une coalition anti-Poutine », assure-t-il. « Le monde doit contraindre la Russie à la paix ». Le message à son armée est tout aussi clair : « Infliger un maximum de pertes » à l’envahisseur. Dans tout le pays, les autoroutes se chargent de véhicules, l’exode vers l’ouest est aussi soudain que massif. La Pologne, voisine de l’Ukraine et de la Biélorussie, commence à enregistrer les premières arrivées de civils ukrainiens et en appelle à l’Otan, demandant l’activation de l’article 4, qui prévoit une consultation des alliés « chaque fois que l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée ».
Pendant ce temps, les rebelles séparatistes, grâce à l’appui militaire russe qu’ils réclament depuis des années, progressent mètre après mètre. Les paramilitaires de la RPD ont gagné trois kilomètres dans la région de Donetsk, ceux de la RPL ont grignoté un kilomètre et demi dans celle de Lougansk. Le jour s’est désormais levé sur l’Europe et ce n’est déjà plus le temps des pourparlers feutrés : c’est le temps, imprévisible, des engrenages de chenilles, des frontières mobiles et des effusions de sang.
Nouvelobs