Les conducteurs de motos Jakarta sont dans le désarroi après que le gouverneur a interdit plus deux personnes à bord d’un engin. Depuis lors, ils jouent à cache-cache avec les policiers pour avoir de quoi faire bouillir la marmite.
Au pont Sénégal émergeant, ex-Sénégal 92, un conducteur de moto Jakarta surveille les déplacements de deux policiers. Tantôt, il profite de la grande affluence des véhicules et autres moyens de locomotion pour échapper à leur vigilance. «Je veux les éviter. Il est huit heures. C’est très tôt de tomber entre leurs mains», confie le jeune conducteur de moto. Tout d’un coup, les lieux se vident de personnes désirant monter sur une moto, en apercevant les flics.
«Les conducteurs de moto reviendront vers 12 heures après avoir constaté que les policiers seront partis», siffle un passager, à la recherche en vain d’une moto pour le déposer au commissariat des Parcelles Assainies. A quelques 10 minutes de marche en allant vers l’hôpital Nabil Choucair, les conducteurs qui se rassemblaient sous la passerelle de Patte d’Oie sont dispersés. Ils se sont repliés derrière le jardin. Malgré tout, ils continuent de faire monter des clients à bord de leur engin. Ceci, à l’insu des gendarmes qui régulent la circulation. Un véritable jeu de cache-cache. «C’est comme le chat et la souris. Nous faisons de notre mieux pour éviter les check-points, surtout entre 07 heures et 10 heures», fait savoir Moudou Diop, perché sur sa moto, en attente de client, au niveau dudit jardin.
Plus tard, au rond-point Cambérène, il est difficile de distinguer les motocyclistes s’adonnant au transport «irrégulier» et ceux qui ne l’exercent pas. Pourtant, des motos roulent de part et d’autre des voies sous le contrôle de deux agents des forces de l’ordre. Sur la route qui mène vers Case-Bi, un garage de réparation de motos est transformé en arrêt de Jakarta. Assis sur sa moto, Souleymane Camara du haut de ses trente ans, pleurniche : «C’est difficile. Les temps sont durs. Nous n’avons pas choisi cette activité par amour. C’est parce que nous sommes désœuvrés. C’est le contexte qui l’impose», confie-t-il. Il reconnait l’illégalité de leur «nouvelle profession» et fait savoir qu’il a été, à deux reprise en Espagne, par voie maritime. «Malheureusement, j’ai été rapatrié avec d’autres jeunes. Nous étions plus de 100 personnes. J’ai perdu 400 mille francs Cfa», révèle ce menuisier qui a mis la clé de son atelier sous le paillasson.
«Qu’on nous encadre»
Du fait de la concurrence étrangère, soutient notre interlocuteur, la menuiserie locale ne nourrit plus son homme. Alors qu’il est soutien de famille. «J’ai commencé à conduire le Jakarta lors de la grève des transporteurs. Avant cela, je passais tout le temps à dormir. Nous sommes trahis par nos dirigeants. L’actuel chef de l’Etat avait promis de créer des emplois. Ce que nous avons constaté, ce sont des recrutements politiques. L’écrasante majorité des jeunes sont toujours dans le chômage endémique», dénonce-t-il. A ses côtés, deux jumeaux, Ousseynou et Assane, tiennent debout à côté de leur moto. Ils attendent depuis le matin de clients devenus invisibles. Pourtant, les jeunes garçons, malgré leur statut de célibataire, nourrissent leur famille par cette activité qui risque de devenir un vieux souvenir dans la capitale. Selon eux, contrairement à ce que pensent les autorités, ils ne sont pas des agresseurs. «Nous sommes très responsables. Si on avait une alternative, on n’allait pas risquer notre vie sur la route. Je suis mécanicien. Nous avons été déguerpis sur l’ancienne Piste de Mermoz. Actuellement, nous sommes toujours à la recherche d’un nouveau site», laisse entendre Assane, la mine soignée. «Que les autorités ne nous poussent pas à la radicalisation. Ce sont les scootéristes qui s’adonnent aux vols à l’arrachée. Ce sont des motos rapides avec une vitesse comprise entre 150 et 200 kilomètres à l’heure. Un Jakarta ne peut pas le faire. Qu’on nous encadre. Nous n’avons plus rien. C’est notre seul espoir», lance-t-il.
Salif KA